Poésies (Poncy)/Vol. 1/Matinée en rade

MATINÉE EN RADE



I


Depuis que l’aurore étincelle.
Je l’attends dans notre nacelle,
Ô ma paresseuse beauté !
Déjà la matinale lame
T’appelait, ainsi crue mon âme :
Embarque-toi : la svelte rame
S’impatiente à mon côté…

La mer, pour toi, ma Désirée,
A fait toilette ce matin.
Elle a mis sa robe azurée

Dont le vent frôle le satin :
Sa robe où la neige saline,
L’écume blanche et cristalline,
Semble un volant de mousseline
Brodé par les doigts d’un lutin.

La barque indolente côtoie
La falaise où le flot ondoie.
Vents, taisez-vous ! silence, flots !
La jeune fille que j’adore
À ses concerts prélude encore :
Elle va célébrer l’aurore
Et le réveil des matelots.



II



chant de désirée



« Je te salue, aube naissante !
Tu rougis la mer caressante
Et tu viens, pourpre de plaisir,
Annoncer que le roi du monde
Qui de ses clartés nous inonde,
Pour féconder la terre et l’onde
Sous notre ciel va revenir.

« La lune à l’occident s’efface.
Le soleil, son époux, la chasse

En prenant son royal essor.
Ces blanches et froides rosées
Dont, le matin, sont arrosées
Nos fleurs aux coupes irisées,
Ce sont les pleurs de ses yeux d’or.

« Voici que l’oiseau maritime
De nos vergues rase la cime.
Dans le remous du gouvernail,
Blanc goéland, baigne tes pattes
Aussi frêles que délicates,
Et dont les anneaux écarlatcs
Ressemblent au plus pur corail.

« Huit heures ! la brume épaissie
Par le soleil est éclaircie.
Ecoutez rouler le tambour :
On livre les voiles mutines
Aux fraîches brises levantines,
Et sur les hautes brigantines
Le drapeau monte avec le jour.

« De loin, ces mâtures si belles,
Ces pyramides de dentelles,
Ces drapeaux aux vives couleurs
Semblent des harpes éoliennes,
Ou des villas aériennes,

Avec des haubans pour persiennes
Et des toits pavoises de fleurs. »


— « Écoute, Désirée, entends-tu ces bruits vagues ?
« Regarde frissonner la crinière des vagues !
« Vois quel nuage immense escalade les cieux…
« L’aurore, tout-à-coup d’un orage est suivie !…
« C’est ainsi que les maux, obscurcissant la vie,
« Troublent les jours les plus heureux !
 
« Fuyons ! déjà le vent fait moutonner les lames…
— Sur les flancs de l’esquif se courbèrent les rames ;
Son mât, sans se briser, plia comme un roseau.
Mais il fut à l’abri dans l’anse du rivage,
Bien avant que la mer, sous le fouet de l’orage,
Eût bondi comme un grand troupeau !