Poésies (Poncy)/Vol. 1/Le soir

PoésiesI (p. 40-42).

LE SOIR



Quand l’angle que les cieux forment avec les ondes,
Semble se rétrécir tandis que le jour fuit ;
Quand l’adieu du soleil qui luit sur d’autres mondes
Plonge le nôtre dans la nuit ;

Lorsque ses derniers feux, sur les cimes chenues,
Bien que déjà la nuit règne dans les vallons,
Jettent des flots de pourpre, et rougissent les nues
Que promènent les aquilons ;

Quand la mer retentit du morne bruit des rames
Et que ses flots, tournant autour des noirs écueils,
Semblent, au sein de l’ombre, un vol de blanches âmes
Dansant autour de leurs cercueils ;


Quand l’univers s’endort dans d’épaisses ténèbres,
Que des torrents lointains on distingue la voix
Et qu’on entend, aux monts, les murmures funèbres
que la nuit pousse au fond des bois ;

Oh ! n’avez-vous jamais, à cette heure suprême,
Marché silencieux près d’un ange qu’on aime ;
Contemplé dans ses traits les vertus de son cœur ;
Ravi dans un baiser, son âme enthousiaste,
Et lu dans ses regards, pleins d’une flamme chaste,
Tout un avenir de bonheur ?

Ou bien, sur quelque mont couronné de nuées,
Où les foudres du ciel cent fois se sont ruées,
N’avez-vous jamais, seul, et le monde à vos pieds,
Scruté l’orageux cours de cette pauvre vie,
Où l’on voit constamment sous le pied de l’envie
Les plus beaux fronts humiliés ?

N’avez-vous pas songé qu’en ces ruches humaines,
Sous ces milliers de toits, souvent de tristes scènes,
Quand, gorgé du festin, le riche est endormi,
Troublaient des nuits d’hiver les heures si tranquille !
N’avez-vous pas songé que, dans les grandes villes,
Vous n’aviez pas un seul ami ?

Et quand votre pensée est rentrée en vous-même,
N’avez-vous pas lancé quelque horrible anathème

Contre ce monde où tout n’est que tristesse et fiel ?
Et tandis que vos pas s’égaraient dans les ombres,
N’avez-vous pas senti, comme les brumes sombres,
Vos soupirs monter vers le ciel ?



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