Poésies (Dujardin)/Loulou, black Loulou

PoésiesMercure de France (p. 141-150).


LOULOU, BLACK LOULOU



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      Lou -- lou my dar -- ling  Lou -- lou black Lou -- lou my dear. 
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THÈME


Tandis que seul chez moi je rêve
Et que le jour s’achève
Et que j’attends
Celle qui revient à pas si lents,
Oh ! la douce chanson
Qui là-bas traîne à l’horizon…
— « Loulou, ma chérie,
Loulou, noire Loulou, ma vie !… »


Tandis que sonne l’heure
Et que je demeure
A songer de l’absente,
Oh ! là-bas, la vieille chanson dolente
Qui douce et calme et berçante
Et ingénue
Monte le long de l’avenue…
— « Loulou, ma chère âme,
Loulou, noire Loulou, mon âme !… »

Tandis qu’ô mon cœur, tu t’endors,
Oh ! là-bas, au dehors,
La bonne chanson qui passe
Et me berce mon âme lasse…
— « Loulou, ma bien-aimée,
Noire Loulou, Loulou, ma pensée !… »


VARIATIONS

I


Elle est humble, celle que j’aime,
Son œil
N’a pas d’orgueil,
Son front n’a pas de diadème,
Sa mise est un demi-deuil.

Les autres
Sont belles très noblement,
Indifféremment
Elles seraient aussi bien vôtres,
Et toujours elles sont l’honneur de leur amant.

Certaines
Ont des regards
Qui pénètrent les sens hagards,
Avec des pâleurs de reines
Parmi la violence des fards.


Ah ! combien de princesses
Au corps de soie et de splendeurs vêtu !
Les unes portent l’adorable tutu,
Les autres de longues traînes avec des joliesses,
Quelques-unes arborent même de la vertu.

Qu’elles sont belles
Et tentatrices ! et qu’elles ont
Des yeux profonds,
Toutes celles
Qui s’offrent aux baisers longs !

Courtisanes, gent émérite.
Amoureuses au front de langueur,
Pucelles, délicates fleurs !…
Moi, c’est une pauvre petite
A qui s’est donné mon cœur.


II


Elle est humble, mais elle m’appartient ;
Son cœur est un bien
Absolument mien ;
Ce toit de chaume
Me revient
Mieux qu’à nul roi aucun royaume.

Elle est à moi ;
Je gouverne d’un doigt
Son âme en émoi
Et son âme en fête ;
J’y suis la loi
Et les prophètes.

Elle est bien peu de chose ;
C’est une toute petite rose
Atteinte de chlorose ;
Mais je l’ai cueillie de ma main
Et je l’ai prise toute rose
Entre mes lèvres pour faire mon chemin.


Elle est moi-même en une autre apparence ;
Elle est le miroir où j’aperçois ma ressemblance,
L’écho où je m’entends qui pense,
Le poitrail de ce qu’enfant je fus,
Le rêve où va mon espérance ;
Si je disparaissais, elle ne serait plus.


III


Ô passant, suis la route confuse
Des voyageurs pas à pas vagabonds,
Et dans les doigts pressant ta cornemuse
Répands parmi les horizons
Ces naïves chansons
De ton âme simple et tranquille
Et juvénile,
Au hasard des vents profonds.

Elle t’attend, la fiancée,
Sur l’autre bord,
Au bas de la vallée,
Devant le port,
En face de la mer qui vient du nord.
Bonne, fidèle et pas jalouse,
Tu la retrouveras, l’épouse,
Auprès de qui tu dormiras avant la mort.


Par delà le ravin qu’ont creusé les avalanches
Tu as vu, tu connais
Des femmes plus minces et plus blanches,
Avec des traits
Plus délicats et des attraits
Nouveaux et des grâces plus subtiles,
Parmi les villes
Où parfois tu t’égarais.

Tu les oublies !
Celle de ton hameau,
Celle à qui tu te lies
Et que tu suivras jusqu’au tombeau,
C’est elle, ô matelot,
La plus souriante et de toutes la plus jolie,
Et ta rêverie
N’a jamais su rien de plus beau.


IV


Et la chanson
Repasse dans les brumes de l’horizon…

Il était un pauvre nègre
Qu’avait fait la traversée.
Là-bas dans le pays nègre
Sa bonne amie est restée…
— Loulou, ma chérie,
Loulou, noire Loulou, ma vie !

Que songes-tu, négrillon ?
Voici le pays anglais. —
Doucement le négrillon
Songe au loin à ses forêts…
— Loulou, ma chère âme,
Loulou, noire Loulou, mon âme !


Tu regard’ les femmes blanches,
Aux yeux bleus, aux cheveux lisses ?
Il regard’ les voiles blanches
Qui loin sur les vagues glissent…
— Loulou, ma bien-aimée,
Noire Loulou, Loulou, ma pensée !

Et la chanson dolente
Passe calme et berçante,
La bonne chanson,
La douce chanson…