Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/La Nuit

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PoésiesA. BoullandTome 1 (p. 35-38).
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LA NUIT.


Viens ! le jour va s’éteindre… il s’efface, et je pleure.
N’as-tu pas entendu ma voix ? Écoute l’heure ;
C’est ma voix qui te nomme et t’accuse tout bas ;
C’est l’Amour qui t’appelle, et tu ne l’entends pas !
Mon courage se meurt. Tout à ta chère idée,
D’elle, de toi toujours tendrement obsédée,
Pour ton ombre j’ai pris l’ombre d’un voyageur,
Et c’était un vieillard riant de ma rougeur.

Eh quoi ! le jour s’éteint ? n’est-ce pas un nuage,

Un vain semblant du soir, un fugitif orage ?
Que je voudrais le croire ! Hélas ! un si beau jour
Ne devrait pas mourir sans consoler l’Amour.
Viens ! ce voile jaloux ne doit pas te surprendre.
Dans les cieux à son gré laisse-le se répandre ;
Ne va pas comme moi le prendre pour la nuit !
Quand son obscurité m’importune et me nuit,
Si le soleil plus pur allait paraître encore !
Si j’allais avec lui revoir ce que j’adore !
Si je pouvais du moins, en lui livrant ces fleurs,
Me cacher dans son sein, et rougir de mes pleurs !
Il me dirait : « Je viens, j’accours, ma bien-aimée !
« Ce nuage qui fuit t’aurait-il alarmée ?
« La nuit est loin, regarde ! » Et je verrais ses yeux
Rendre la vie aux miens, et la lumière aux cieux.

Non ! le jour est fini. Ce calme inaltérable,
L’oiseau silencieux fatigué de bonheur,

Le chant vague et lointain du jeune moissonneur,
Tout m’invite au repos… tout m’insulte et m’accable.
Un seul et doux objet me plaint dans ce séjour ;
Il a subi mon sort : c’est la pâle anémone,
Sous le vent qui l’effeuille, elle tombe ; et ce jour,
Pour nous brûler ensemble, en orna ma couronne.

Mais adieu tout ; adieu, toi qui ne m’entends pas.
Toi qui m’as retenu la moitié de mon être,
Qui n’as pu m’oublier, qui vas venir, peut-être,
Tu trouveras au moins la trace de mes pas,
Si tu viens ! Adieu, bois où l’ombre est si brûlante ;
Nuit plus brûlante encor, nuit sans pavots pour moi,
Tu règnes donc enfin ! Oui, c’est toi, c’est bien toi !
Quand me rendras-tu l’aube ? Oh ! que la nuit est lente !
Hélas ! si du soleil tu balances le cours,
Tu vas donc ressembler au plus long de mes jours !
L’alouette est rentrée aux sillons ; la cigale

À peine dans les airs jette sa note égale ;
Un souffle éveillerait les échos du vallon,
Et les échos muets ne diront pas mon nom.
Et vous, dont la fatigue a suspendu la course,
Vieillard ! ne riez plus ; si mes tristes accens…
Non ! déjà le sommeil appesantit ses sens ;
Il rêve sa jeunesse au doux bruit de la source.
Oh ! que je porte envie à ses songes confus !
Que je le trouve heureux ! Il dort, il n’attend plus.