Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/L’Absence

Pour les autres éditions de ce texte, voir L’absence (« L’avez-vous rencontré ? guidez-moi, je vous prie. »).

PoésiesA. BoullandTome 1 (p. 41-45).
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L’ABSENCE.


Lavez-vous rencontré ? guidez-moi, je vous prie.
Il est jeune, il est triste, il est beau comme vous,
Bel enfant ; et sa voix, par un charme attendrie,
De la voix qui l’accueille est l’écho le plus doux.
Oh ! rappelez-vous bien ! sa démarche pensive
Fait qu’on le suit long-temps et du cœur et des yeux.
Il vous aura souri. De l’enfance naïve,
Naïf encore, il aime à contempler les jeux.

Écoute ! ses regards distraits, chargés d’alarmes,

Effleuraient tes doux jeux, peut-être sans les voir.
Plains-moi, car c’est pour moi qu’il dévorait ces larmes,
Et de m’en consoler il a seul le pouvoir.
Guide-moi ; réponds-moi !… Mais tu ne peux m’entendre :
Tu demandes son nom ?
Ah ! s’il t’avait parlé, m’aurais-tu fait attendre ?
L’aurais-tu méconnu dans ma prière ? oh ! non.
Va jouer, bel enfant, va rire avec la vie ;
Car ton âge est sa fête, et déjà je l’envie.
Va ! mais si ton bonheur te l’amène aujourd’hui,
Souviens-toi que je pleure, et ne le dis qu’à lui.
Comme la route au loin se prolonge isolée !
Eh ! pour qui ces jardins, ce soleil, ces ruisseaux ?
Je suis seule, et là-bas, sous de noirs arbrisseaux,
La moitié de mon ame est errante et voilée.
Mes suppliantes mains voudraient la retenir :
J’ai cru respirer l’air qui va nous réunir !
L’avez-vous rencontré, nymphe à la voix plaintive ?

L’avez-vous appelé ? s’est-il penché vers vous ?
Si son ombre a passé dans votre eau fugitive,
Nymphe, rendez-la moi, je l’attends à genoux.
Mais jusqu’à l’oublier si vous êtes légère ;
Mais si vous n’emportez que vous dans l’avenir ;
Si l’image qui fuit vous devient étrangère ;
De quoi vous plaignez-vous, nymphe sans souvenir ?

Quelle est cette autre enfant sous les saules couchée ?
De paisibles rameaux enveloppent son sort ;
Comme une jeune fleur dans la mousse cachée,
À l’abri des vents, elle dort.
L’orage aux traits brûlans ne l’a pas effeuillée ;
Loin du monde et du jour lentement éveillée,
Un jeune songe à peine ose effleurer ses sens ;
Elle rit… qu’offre-t-il à ses vœux caressans ?
Lavez-vous rencontré, dites, belle ingénue ?
Sa voix, qui fait rêver, vous est-elle connue ?

Au fond d’un doux sommeil écoutez-vous ses pas ?
Non ! si vous l’aviez vu, vous ne dormiriez pas !
Dormez. Je vous rendrais et pensive et peureuse ;
Vous diriez : Dès qu’on aime on n’est donc plus heureuse ?
Je ne sais. Pour la paix de vos nuits, de vos jours,
Ignorez-le toujours.

Mais de nouveaux sentiers s’ouvrent à ma tristesse :
Je voudrais tous les suivre, et je n’ose choisir ;
L’espoir les choisit tous. Oh ! qu’il a de vitesse !
Il m’appelle partout… où vais-je le saisir ?
Au pied de la chapelle où serpente le lierre,
Courbé par la prière,
Un vieillard indigent porte aussi ses douleurs :
Allons ! ses yeux éteints ne verront pas mes pleurs.
Comme il prie ! ou dirait qu’une lumière heureuse,
Pour éclairer son front, vient d’entr’ouvrir les cieux ;
On dirait que le jour est rentré dans ses yeux,

Ou qu’il bénit tout bas une main généreuse.
Dieu ! l’a-t-il rencontré ? Si calme, si content,
Presse-t-il un bienfait sur son cœur palpitant ?
Est-ce lui qu’il bénit ? et la voix que j’adore,
Dans ce cœur consolé résonne-t-elle encore ?
Écoutez-moi, mon père, au nom de ce bienfait !
Celui qui vous l’offrit à vous m’a demandée
Peut-être… ? Oh ! que ma main, par la sienne guidée,
Joigne son humble offrande du don qu’il vous a fait.
Mais, en vous consolant, soupirait-il, mon père ?
Déchiré du tourment dont il me désespère,
Injuste, mais fidèle, en soupçonnant ma foi,
Vous a-t-il dit : Priez et pour elle et pour moi ?
Oui, je sais qu’il est triste, et qu’un accent plus tendre
Au malheureux jamais n’a su se faire entendre.
Oui, je vais retrouver mon bonheur qu’il troubla,
Car mon bonheur, c’est lui, mon père, et le voilà !