Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/Le Troubadour en voyage

Théophile Grandin (p. 160-162).

LE TROUBADOUR EN VOYAGE.

« Avec ta gente mie,
Où vas-tu, troubadour ? »
« — Je vais à ma patrie
Demander un beau jour.

Salut, rive enchantée,
Qui vis mes jeunes ans ;
De mon âme agitée
Reconnais les accens.

» Jadis ma souveraine
À sa cour m’arrêta ;
Et pour si noble reine
Ton troubadour chanta.

» Des belles la plus belle
Tombe en captivité ;
Avais chanté pour elle ;
Perdis ma liberté.

» De l’auguste Marie
Déplorai les malheurs :


Chasselat del.                                                                                                                   Ad. Godefroy sculp.

Pastourelle naïve
Écouta mes leçons ;

(le Troubadour en Voyage, page 161.)

En ce temps de furie,
On punissait les pleurs.

» Pour charmer ma misère,
Orgueil du troubadour,
J’ai chanté Bélisaire,
Henri Quatre et l’Amour.

» N’ai sauvé de ma chaîne
Que ma lyre et l’honneur ;
Et l’or, qui tout entraîne
N’entraîna pas mon cœur.

» Pastourelle naïve
Écouta mes leçons ;
Sa voix tendre et plaintive
Y mêla ses doux sons.

» La jeune enchanteresse,
Écolière d’Amour,
Devint dame et maîtresse
Du pauvre troubadour.

» Au lieu de ta naissance ;
Dit-elle, conduis-moi ;
Tu m’appris ta romance,
La chanterai pour toi.

» Venez donc, gente mie,
Lui dit ton troubadour ;
Allons à ma patrie
Demander un beau jour.

» Lyre ! ma douce lyre !
Obéis à mon cœur.
Le chant que je soupire
Est le chant du bonheur. »