Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/Le Retour aux champs

Théophile Grandin (p. 28-29).


LE RETOUR AUX CHAMPS.

 Que ce lieu me semble attristé !
Tout a changé dans la nature :
Le printemps n’a plus de verdure :
Le bocage est désenchanté !
Autrefois l’onde fugitive
Arrosait, en courant, les cailloux et les fleurs.
Je ne vois qu’un roseau languissant sur la rive,
Et mes yeux se couvrent de pleurs !
Hélas ! on a changé ta course,
Ruisseau ; de l’inconstance on te fait une loi,
Et je n’espère plus retrouver à ta source
Les sermens emportés par toi.
Ah ! si pour rafraîchir une âme désolée,
Il suffit d’un doux souvenir,
Ruisseau ! pour ranimer l’herbe de la vallée,
Parfois n’y peux-tu revenir ?

J’entends du vieux berger la plaintive musette ;
Mais qu’est devenu le troupeau ?
Sous l’empire de sa houlette
Il n’a plus même un innocent agneau.
Tout en rêvant il gravit la montagne ;
Il traîne avec effort son âge et son ennui :

Les moutons ont quitté la stérile campagne ;
Le chien est resté près de lui.
Mais que sa peine est facile et légère !
Du bonheur qui n’est plus il n’a point à rougir ;
Sans trouble, sur un lit de mousse ou de fougère,
Quand la nuit vient, il peut dormir.
Que de riches pasteurs lui porteraient envie !
Combien voudraient donner les plus nombreux troupeaux,
La houlette, la bergerie,
Pour une nuit d’un doux repos.
Et moi, d’amis aussi je fus environnée ;
Mon avenir alors était brillant et sûr.
Vieux berger, comme toi je suis abandonnée ;
Le songe est dissipé ; mais le réveil est pur !

Me voici devant la chapelle
Où mon cœur sans détour jura ses premiers vœux :
Déjà mon cœur n’est plus heureux,
Mais à ses vœux trahis il est encor fidèle.
J’y vins offrir, l’autre printemps,
Une fraîche couronne, aujourd’hui desséchée.
Cette chapelle, hélas ! dans les ronces cachée,
N’est-elle plus l’amour des simples habitans ?
Seule, j’y ferai ma prière :
Mon sort, je le sais trop, me défend d’espérer :
Eh bien ! sans espérance, à genoux sur la pierre,
J’aurai du moins la douceur de pleurer.