Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/Le Miroir

Théophile Grandin (p. 25-27).

LE MIROIR.

Comme un enfant cruel tourmente la douceur
De l’agneau craintif qu’il enchaîne,
Amour je t’ai vu rire à l’accent de ma peine :
J’en ai pleuré, pour toi, de honte et de douleur.
Mais l’agneau gémissant rêve au joug qui l’opprime ;
Il le brise en silence, et retourne au vallon :
Adieu, cruel enfant dont je fus la victime,
Adieu, le pauvre agneau m’a rendu la raison.
Joyeux et bondissant des vallons aux prairies,
Dégagé de l’anneau de fer
Qui le blessa long-temps sous des chaînes fleuries,
Il voit l’herbe plus verte et le ruisseau plus clair.
Ma fierté languissante est enfin éveillée ;
Je repousse en fuyant tes amères faveurs ;
Et, sous ma guirlande effeuillée,
J’ai brisé tes fers imposteurs.

Ne viens pas me troubler : va-t’en, je suis heureuse ;
Je ne sens plus le poids d’un lien détesté.
Mais quoi ! sa fraîche empreinte est encor douloureuse :
Ah ! laisse un long repos au cœur qui l’a porté !

Va rendre ce lien à l’ingrat que j’oublie :
C’est à toi d’obéir, tu n’es plus mon vainqueur ;
Tu ne l’es plus ! Mes chants, ma liberté, ma vie,
J’ai tout repris avec mon cœur,
Qu’il promène le sien sur tes ailes légères ;
Je le verrai sans trouble, il n’est plus rien pour moi.
Je ne l’attendrai plus aux fêtes bocagères ;
À peine il me souvient qu’il y surprit ma foi.
Je l’ai fui tout un jour sans répandre des larmes ;
Tout un jour ! ah ! pour lui mes yeux n’ont plus de pleurs
Je souris au miroir en essayant des fleurs,
Et le miroir m’apprend qu’un sourire a des charmes.
Comme le lin des champs flotte au gré des zéphyrs,
J’abandonne ma chevelure,
Qui va flotter à l’aventure
Ainsi que mes nouveaux désirs.
Oui, l’air qui m’environne, épuré par l’orage,
Me rendra, comme aux fleurs, l’éclat et la beauté ;
Et bientôt mon sort, sans nuage,
Brillera comme un jour d’été.

Mais non, je ne veux point de fleurs dans ma parure ;
Ce qu’il aimait ne doit plus m’embellir.
Cachons-les avec soin ; s’il venait, le parjure,
Il croirait que pour lui j’ai daigné les cueillir.
S’il venait… qu’ai-je dit ? quoi ! son audace extrême

Le ramènerait-elle où mon courroux l’attend ?
Pourrait-il s’arracher à ce monde qu’il aime,
À ce juge léger qui flatte un inconstant ?

Au fond de mon miroir je vois errer son ombre ;
Une ombre plus légère appelle son regard ;
Il la cherche lui-même, il l’aborde ; il fait sombre ;
Il soupire… Ah ! perfide ! est-ce encor le hasard ?
Oh ! comme il la regarde ! Oh ! comme il est près d’elle !
Comme il lui peint l’ardeur qu’il feignit avec moi !
Il ne feint plus, car elle est belle
Amour ! va les unir, ils n’attendent que toi.

Je garde mes bouquets. Ma parure est finie :
Ma parure ! et pour qui tant de soins superflus ?
Ce beau jour est voilé, cette glace est ternie,
Et le miroir ne sourit plus.