Poésies (Amélie Gex)/Terre morte

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 91-94).

TERRE MORTE



Ô lune ! lune si triste et si belle !
Es-tu vierge, es-tu mère ?…

Georges Sand,
(Les sept cordes de la lyre.)


Sous la mouvante ogive
De son palais d’argent,
Aux cieux toujours captive,
La lune va songeant…

La pâle solitaire,
Au bord du sentier bleu,
Chaque soir, à la terre
Vient jeter un adieu :

« Sœur, je m’en vais, dit-elle,
Seule au fond de l’éther,
Dans ma course éternelle,
Portant mon deuil amer.

« Pauvre planète morte
Que le froid engourdit,
La loi fatale emporte
Mon triste sol maudit.


« Je suis spectre et fantôme !
Et, du sombre infini,
Je parcours le royaume,
Comme un monde banni.

« Je vais sans but, ni trêve,
Sans espoir pour demain !
Ainsi qu’on fuit en rêve,
Je poursuis mon chemin.

« Dans le ciel balancée,
Comme un morne flambeau,
Toujours triste et glacée,
Je ne suis qu’un tombeau !

« Que m’importe si l’heure
Me ramène le jour,
Puisqu’ici nul ne pleure
Sa fuite ou son retour ?

« Puisque dans mes bois sombres
On ne voit plus d’amants,
Que m’importent les ombres
Sur mes grands lacs dormants ?

« Nul n’entend plus les brises
Qui sanglotent parfois ;
Des hautes vagues grises
Nul n’entend plus les voix !


« Qu’importent les tempêtes
Et leurs bruyants efforts,
Puisqu’il n’est plus de fêtes
Sur aucun de mes ports !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Sœur, comme toi féconde,

J’eus des jours triomphants :
L’été, la gerbe blonde
Couronnait mes enfants.

« J’eus des races vaillantes,
Des fils fiers et nombreux :
J’eus des villes bruyantes
Et des sentiers poudreux.

« J’étais gloire et lumière !
Et mes soirs étaient doux…
Le matin j’étais fière
Du soleil mon époux !

« Mais Dieu qui me fit belle
D’un souffle et d’un regard,
Sur mon grand front rebelle
Mit un voile blafard !

« Comme une ombre j’assiste
Aux fêtes de l’azur,
Je suis la mère triste
Traînant son deuil obscur !


« C’est pourquoi sous l’ogive
De mon palais d’argent
Toujours blême et captive
Je vais seule en songeant…

« Si mon rayon s’attarde
Au ciel où je reviens,
Sœur, quand il te regarde
Plains-moi ! Je me souviens !…