Poésies (Amélie Gex)/Terre morte
TERRE MORTE
Ô lune ! lune si triste et si belle !
Es-tu vierge, es-tu mère ?…
Sous la mouvante ogive
De son palais d’argent,
Aux cieux toujours captive,
La lune va songeant…
La pâle solitaire,
Au bord du sentier bleu,
Chaque soir, à la terre
Vient jeter un adieu :
« Sœur, je m’en vais, dit-elle,
Seule au fond de l’éther,
Dans ma course éternelle,
Portant mon deuil amer.
« Pauvre planète morte
Que le froid engourdit,
La loi fatale emporte
Mon triste sol maudit.
« Je suis spectre et fantôme !
Et, du sombre infini,
Je parcours le royaume,
Comme un monde banni.
« Je vais sans but, ni trêve,
Sans espoir pour demain !
Ainsi qu’on fuit en rêve,
Je poursuis mon chemin.
« Dans le ciel balancée,
Comme un morne flambeau,
Toujours triste et glacée,
Je ne suis qu’un tombeau !
« Que m’importe si l’heure
Me ramène le jour,
Puisqu’ici nul ne pleure
Sa fuite ou son retour ?
« Puisque dans mes bois sombres
On ne voit plus d’amants,
Que m’importent les ombres
Sur mes grands lacs dormants ?
« Nul n’entend plus les brises
Qui sanglotent parfois ;
Des hautes vagues grises
Nul n’entend plus les voix !
« Qu’importent les tempêtes
Et leurs bruyants efforts,
Puisqu’il n’est plus de fêtes
Sur aucun de mes ports !…
J’eus des jours triomphants :
L’été, la gerbe blonde
Couronnait mes enfants.
« J’eus des races vaillantes,
Des fils fiers et nombreux :
J’eus des villes bruyantes
Et des sentiers poudreux.
« J’étais gloire et lumière !
Et mes soirs étaient doux…
Le matin j’étais fière
Du soleil mon époux !
« Mais Dieu qui me fit belle
D’un souffle et d’un regard,
Sur mon grand front rebelle
Mit un voile blafard !
« Comme une ombre j’assiste
Aux fêtes de l’azur,
Je suis la mère triste
Traînant son deuil obscur !
« C’est pourquoi sous l’ogive
De mon palais d’argent
Toujours blême et captive
Je vais seule en songeant…
« Si mon rayon s’attarde
Au ciel où je reviens,
Sœur, quand il te regarde
Plains-moi ! Je me souviens !…