Poésies (Amélie Gex)/Magenta

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 99-101).

MAGENTA

1871


Qu’ils étaient beaux tes fils, ô ma grande patrie,
Quand d’un bras valeureux et d’un poignet de fer,
Brisant les durs liens de la vieille Italie,
Ils chassaient, à jamais, des champs de Lombardie
            L’aigle farouche et fier !

France, qu’ils étaient beaux dans la chaude mêlée
Alors qu’en souriant ils bravaient le canon !
Frayant sa large route à la victoire ailée,
Ils faisaient tressaillir l’écho de la vallée
            En invoquant ton nom !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et maintenant, couchés sous cette herbe flétrie

Que les vents et l’hiver ont fait choir sur vos fronts,
Ô morts, entendez-vous, dans votre rêverie,
Comme un écho lointain, la voix de la patrie
            Qui pleure ses affronts ?…


Soldats, entendez-vous la France désolée
Qui vers chaque horizon jette son triste appel,
Mais qui, fière et sanglante et de tous isolée,
Dédaigne cet espoir d’être un jour consolée
            De son deuil maternel !

« Oh ! mes preux où sont-ils ?… Ceux que j’ai vus naguère,
Jeunes et souriants à leur rêve vermeil,
Partir, enfants joyeux, pour quelque sainte guerre,
Dites-moi sous quels cieux et sur quelle autre terre
            Ils dorment leur sommeil !

« Oh ! dis-moi, qu’as-tu fait de mes fils, Italie ?…
De ceux qui, t’arrachant à ton rude geôlier,
Quand tu tendais la main, languissante, affaiblie,
Te rendirent, un jour, fière, forte, ennoblie,
            À ton roi chevalier ?…

« Magenta ! Palestro ! Solferino ! batailles
Où d’un sang jeune et pur j’arrosais ton drapeau,
N’ai-je pas pour payer ces chaudes représailles,
Su donner, ô ma sœur, le fruit de mes entrailles,
            Sans murmure, au tombeau !

« Hélas moi seule sais ce que la gloire est vaine !
Car seule je prêtais, sans jamais les compter,
Contre tous les tyrans de la famille humaine,
Mes trésors et mes fils… À ma main toujours pleine
            Rien ne semblait coûter !


« Chaque peuple a son temple ou sa colline sainte
Où, près de ses héros, dorment mes preux enfants…
Toute place où l’on meurt de leur sang reste teinte :
Chaque ville conquise a conservé l’empreinte
            De leurs pas triomphants !

« O mes guerriers vaillants ! quand sous les coups je tombe,
Dormirez-vous encor ?… Du sinistre étranger,
Sur mon sol dépouillé, passe l’horrible trombe…
Ah ! Seigneur, laissez-moi réclamer à la tombe
            Mes fils pour me venger ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le silence répond à la mère qui pleure

En songeant à l’exil de ses chers endormis…
… Et le vent des grands monts qui frissonne à cette heure,
D’un souffle fait ployer le gazon qu’il effleure
            Sur tous ces fronts blêmis…

Pourtant, vers l’horizon, la cité milanaise,
Orgueilleuse et superbe en sa prospérité,
Chante, rit et bourdonne, effroyable fournaise,
Où s’agite, s’émeut, crie, éclate ou s’apaise
            Un peuple en liberté.

Mais ici plus de bruits, plus de chants, plus de fêtes…
Plus de ces chauds élans que ton âme enfanta !
L’oubli, le sombre oubli payera tes conquêtes,
Ô France car toi seule en soupirant répètes
            Le nom de Magenta !