Poésies (Amélie Gex)/La Moisson

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 24-26).

LA MOISSON



Prends le râteau, prends la faucille ;
Prépare nouvelle chanson ;
Comme de l’or la plaine brille ;
Tous les épis ont le frisson !
Aujourd’hui s’ouvre la moisson.

Alerte ! alerte ! voici l’aube ;
L’air est tranquille et les cieux purs…
Qu’à l’œuvre nul ne se dérobe,
Car dans nos champs les blés sont mûrs.
          Garçons, fillettes,
          Vite en chemin !
          Les amourettes
          Sont pour demain…

La caille déjà se désole ;
On voit courir dans les sillons
Le lézard, qui de peur s’affole,
Et vers les bois, en bataillons,
S’enfuient tous les oisillons.

En avant la bande joyeuse !
Le temps nous presse, il faut partir ;
Fillette, aux champs, laborieuse
Le soir pourra se divertir…
          Laissez, fillettes,
          Les doux propos…
          Les amourettes
          Sont en repos !

La meule grince et l’acier crie,
Chacun travaille allègrement,
La faux nivelle la prairie ;
Comme à la guerre un régiment,
On voit se coucher le froment.

Enfants, que la gaîté s’éveille !
Adieu misère, adieu chagrin !…
Dieu sème la fleur pour l’abeille
Et garde au laboureur son grain.
          À vous, fillettes,
          Il donne aussi
          Les amourettes,
          Sans le souci

Chantez, vieillards ! chantez les armes
Chantez la France des vieux jours !…
Jeunes conscrits, chantez ses larmes !…
Plus tard, au bruit des gais tambours,
Nous fêterons vos fiers retours !

Ô paysans, chantez la gerbe !
Gloire au travail,— ce doux vainqueur ! —
Grâce à lui, la vigne superbe
Nous verse sa rouge liqueur…
          Et vous, fillettes,
          Tant que voudrez,
          Chants d’amourettes
          Vous nous direz…

Le soir venu, les attelages
Par nos grands bœufs seront traînés
Et les enfants de nos villages
Crieront sur leur porte, étonnés :
Vivat ! les chars sont couronnés !

Sous les hangars, autour des tables,
Les moissonneurs iront s’asseoir ;
Si les tonneaux sont insolvables,
Amis, nous le saurons ce soir !…
          Enfin, fillettes,
          L’amour nous sert
          Les amourettes
          Pour le dessert.