Poésies (Amélie Gex)/L’Automne

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 27-30).

L’AUTOMNE



Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence.
Victor Hugo.


Jeanne, voici venir l’automne
Frileux et richement paré
Du pampre jaune qui festonne
Son large manteau bigarré ;

Voici venir les froides bises,
Les matins pâles et brumeux,
Les ombres sur les plaines grises,
Le givre aux buissons épineux.

Le brouillard couvre la colline,
Ses bois et ses ravíns profonds,
Comme la blanche mousseline
Dont tu voiles tes cheveux blonds…

Il court sur l’horizon bleuâtre…
Et des rochers gravit les flancs,
Comme fait, sous le fouet du pâtre,
Un grand troupeau de moutons blancs ;


Des sapins verts les hautes cimes
Planent sur lui, sombres îlots,
Ainsi qu’on voit sur les abîmes,
Un rocher noir surgir des flots…

Un rayon sur leur front morose
Glisse et semble se balancer
Comme une longue écharpe rose
Qu’un filet d’or vient nuancer.

Sous les frissons de la froidure
La forêt change de décor ;
Les arbres pleurent leur parure,
Leurs larmes sont des feuilles d’or !

Sur les vallons et sur les plaines
Le soleil passe en souriant
Et va changeant ses verts domaines
En un beau tapis d’Orient… —

Jeanne, voici venir l’automne,
Voici les longs jours pluvieux ;
Des vents la plainte monotone
Est l’écho des tristes adieux…

— Adieu, chantent les pâles roses,
Au printemps, sur les églantiers,
D’autres que nous seront écloses
Et parfumeront vos sentiers !…


— Adieu, dit le pigeon rapide,
Je vais passer les grandes mers
Pour trouver un ciel plus limpide,
Des fruits dorés, des arbres verts !

— Adieu, répète l’hirondelle,
Là-bas j’aurai de plus beaux jours ;
Il faut du soleil à mon aile,
De chauds abris pour mes amours !… —

Ainsi le vent murmure et pleure,
Sous nos pauvres toits désolés,
Les adieux qu’envoient à chaque heure
Nos joyeux hôtes envolés !… —

Seul, le laboureur, la main pleine,
Dans le sillon, sitôt comblé,
Fait germer l’espérance humaine
En semant le grain de son blé !

Il semble sur ce front rustique,
Mouillé de pluie et de sueur,
Que Dieu fait d’une aube mystique
Planer la sereine lueur !

Grave et pensif, il va sans crainte,
Pontife humble et laborieux,
Recommencer cette œuvre sainte
De l’avenir mystérieux !… —


Jeanne, voici venir l’automne,
L’horizon va se rembrunir…
La terre où tout tremble et frissonne
Semble ne plus se souvenir

De ces jours joyeux qui s’égrènent
Comme les perles d’un colier,
Que tous les étés nous ramènent
Que les hivers font oublier !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

…Mais de la campagne déserte,

Comme un gage de renouveau,
Dieu fait croître la robe verte
Sous les plis de son froid manteau !