Poésies (Amélie Gex)/L’Absente

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 105-108).

L’ABSENTE.


À M. QUI L’AIMAIT.


Elle revenait joyeuse
Du pays des fiers sultans
L’hirondelle voyageuse,
Un beau matin de printemps.

Elle apportait sous ses ailes,
Pour les jeunes écoliers,
Toutes les chansons nouvelles
Des rustiques chameliers.

Elle savait tant de choses
De ce pays enchanté !
La mer, l’ouragan, les roses,
L’azur qu’elle avait quitté ;

Le vieux palais des rois maures
Dont s’écroulaient les lambris,
La cour où les sycomores
Formaient de sombres abris.


Tout serait joie et merveille
Pour les enfants des hameaux ;
Elle conterait Marseille,
Elle conterait Bordeaux…

Ah ! comme elle était joyeuse,
Volant dans les airs rougis,
L’hirondelle voyageuse
S’en revenant au logis !

— Voici l’Aude et Carcassone ;
Nîmes n’est pas loin d’ici…
Je dinerai sur l’Yonne,
Ce soir, j’atteindrai Nancy…

D’un coup d’aile, je dépasse
Les bourgs du pays lorrain,
Puis j’arrive, heureuse et lasse,
Sur les bords fleuris du Rhin…

Et quand les vieux au village
Sous les ormes vont s’asseoir,
Dans mes habits de voyage,
J’irai leur dire : Bonsoir !

Je serai la bienvenue
Je dirai : Soyez contents !
« L’hirondelle est revenue,
« Voici, voici le printemps ! »


Ah ! comme elle était joyeuse,
Passant la plaine et les bois,
L’hirondelle voyageuse
Songeant aux nids d’autrefois !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Deux jours après, la pauvrette
Criait seule sur l’ormeau :
« Où donc est la maisonnette ?
« Où sont les gens du hameau ?

« Dites-moi, car je l’ignore,
« Qu’a-t-on fait du vieux clocher ?
« Près du drapeau tricolore,
« Tous les ans j’allais nicher…

« Du curé j’étais voisine ;
« Souvent, pour me reposer,
« Avec Barbe en sa cuisine,
« Sans façon, j’allais causer…

« Barbe était vieille et, peut-être,
« Dort-elle sous le gazon…
« Savez-vous pourquoi son maître
« N’est plus là dans la maison ?


« Oh ! répondez-moi, de grâce,
« Où sont-ils tous mes amis ? »
— Oiseau, dans les champs d’Alsace
Ont passé les ennemis !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Qu’elle était triste et songeuse
L’hirondelle à son retour !…
À la pauvre voyageuse
Puisse Dieu penser un jour !