Poésies (Éphraïm Mikhaël)/Le Cor fleuri

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Cor fleuri.


PERSONNAGES


ORIANE
DORIETTE
SILVÈRE
OBÉRON


La scène représente une clairière dans la forêt des fées. Parmi des herbes lumineuses et des fleurs coule une fontaine. À droite, des buissons de roses. Oriane est assise près de la fontaine. Elle dévide sur son rouet des fils pareils à des rayons de lune.


ORIANE

Ô fils resplendissants, ô fils couleurs d’étoile,
Serez-vous le manteau d’un prince ou bien le voile

D’une reine ?... Non, non, fils couleur du printemps,
Je veux que vous soyez les clairs rideaux flottants
Éployés sur le lit ardent d’une amoureuse,
Comme un pavillon d’or sur une barque heureuse.
Un silence. Le rouet s’arrête. Oriane laisse tomber son fuseau et rêve.
Oui, moi la calme sœur du lys et du ramier,
J’aime l’amour, et c’est mon plaisir coutumier
D’endormir une vierge en des songes d’épouse.
O songes nuptiaux...
Vivement, se faisant un reproche.
                               Eh bien ! suis-je jalouse ?
Oriane serait jalouse des amants ?
Ah ! folle !... N’ai-je pas dans mes palais dormants
L’orgueil des voluptés ineffablement pures ?
Là-bas, aux buissons bleus je cueille au lieu de mûres
Des saphirs... Et le soir, en tournant mes fuseaux,
J’entends chanter les mandragores. Mes oiseaux
Exhalent dans leur vol un parfum de corolles.
Et je suis une fée, et je sais les paroles
Qui font surgir au ciel des astres inconnus.
Je peux tout !
Tristement.
                           Non ! car mes longs cheveux, mes bras nus,
Ma gorge qui s’émeut sous ma robe étoilée,
Nul ne les voit ! et si, parfois, dans une allée

Un voyageur épris de cieux et de forets
Passe en chantant au loin, vite, je disparais !
Car Obéron, le roi des forêts merveilleuses,
Le veut ainsi ! Je puis dormir sous les yeuses
Du chemin. Le passant ne vient pas, ébloui,
Me réveiller : Je suis invisible pour lui,
Et, toute, je me mêle à la vapeur des sentes,
Aux brumes de la lune, aux clartés frémissantes
Qui meurent sur les champs, les jardins et les bois.
Elle se mire dans la fontaine.
Pour qui donc suis-je belle, hélas !
                                              Mais tu me vois,
Ciel où veillent des yeux ; et toi, forêt vivante,
Tu me vois. Le baiser que mon rêve me vante,
Le baiser ne vaut pas la caresse du soir,
Tout parfumé de fleurs féeriques. Mon pouvoir
Est plus doux que l’amour. Je suis l’heureuse reine
Que jamais nul désir ne troublera.

DORIETTE, entrant brusquement.
                                                 Marraine,
Venge-moi !

ORIANE.
Doriette ! Oh ! quels yeux en courroux !

DORIETTE.
Écoute-moi ! jadis parmi les buissons roux

Tu m’as trouvée ainsi qu’une abeille exilée
Des belles ruches d’or.

ORIANE, riant.
                                    Et je vous ai volée !

DORIETTE.
Tu m’as prise en tes bras, marraine, et j’ai grandi
Dans la forêt que dore un magique midi.

ORIANE.
Oui, mais tu fuis parfois la divine clairière.
Tu t’en vas, déployant, ô ma douce guerrière,
Comme un noble étendard tes cheveux dans le vent,
Et je sais que là-bas tu triomphes souvent
Et qu’en des soirs d’orgueil tu choisis pour escorte
Des rois tristes que tu domptas.

DORIETTE.
                                               Oui, je suis forte !
Mes pieds se sont posés sur les grands boucliers
Comme de blancs oiseaux frêles et familiers
S’abattent sur les toits altiers des citadelles.
Oui, partout, des amants inconnus et fidèles
M’attendent. Eh bien, là, dans le bois, ce matin,
Je ne sais quel chanteur puéril et hautain
M’insulta, comprends-tu, moi la victorieuse !
Mais tu me vengeras.


ORIANE.
                                 Ma belle furieuse,
Conte-moi quelle fut cette insulte !

DORIETTE.
                                              J’errais,
Écoutant vaguement sous les feuillages frais
Les murmures amis d’une source sacrée.
Soudain (certes, j’eus tort I) ma ceinture dorée
Et ma robe, je les jetai dans les buissons,
Et, souriante, avec de farouches frissons,
Je me cachai dans la splendeur de la fontaine.

ORIANE, vivement.
Et l’enfant qui rêvait sur la route lointaine
Accourut, vit briller l’éclair de tes cheveux,
S’enivra de ta chair et, dans ses bras nerveux,
Prit, comme un ægipan vainqueur d’une faunesse,
Ton cher corps éclatant de royale jeunesse ?

DORIETTE, un peu confuse.
Eh ! non, ce ne fût pas cela...

ORIANE.
                                              Tu me parlais
D’une insulte ?

DORIETTE.
T andis, hélas ! que je voilais

Ma face avec mes doigts mal clos, l’enfant sauvage,
Sans se cacher parmi les saules du rivage,
Sans épier la source où je riais, pourtant !
Passa, les yeux au ciel, dédaigneux et chantant.

ORIANE.
Certes, filleule, il t’a gravement offensée.
Il va mourir, c’est dit !

DORIETTE, vivement,
                                     Je n’ai pas la pensée
De le tuer ! Vois-tu, cet enfant étranger,
Je le hais ! Mais on peut haïr sans égorger,
Et je ne rêve pas pour uniques délices
De le voir dévoré des louves et des lices.

ORIANE.
Veux-tu qu’il t’aime ?

DORIETTE.
                                    Non ! Il est trop tard. Vraiment,
Je ne sais que vouloir. Imagine un tourment.
Elle cherche.
L’enchaîner sur le bord effroyable d’un gouffre ?
Non ! Le changer en pierre, en arbre ?... Il faut qu’il souffre.
Et le roc ne sent rien et l’arbre a trop de fleurs.
Cherchons encor !... La terre est pauvre de douleurs.
Tiens ! Que près de la source où je fus offensée
Il

Il soit troublé de quelque étrange fiancée ;
Que j’entende monter aux cieux lointains et sourds
Ses sanglots et les cris de ses vaines amours.

ORIANE.
Par qui le ferons-nous punir ?
Brusquement, à elle-même.
                                            Oh ? quelle idée !
À Doriette.
Le châtiment est sûr, car tu seras aidée
Par quelqu’un de très grand...

DORIETTE.
                                               Ciel ! Ai-je deviné.
C’est toi qui vas...

ORIANE.
                                      Pourquoi ce regard étonné ?
Je t’obéis. Je veux le châtier moi-même.

DORIETTE.
Réfléchis... Tout à l’heure il te criera : « Je t’aime. »
Et penché vers ta lèvre il te dira tout bas
Des mots victorieux... Tu ne faibliras pas ?

ORIANE.
Oriane ne peut s’attendrir.

 
DORIETTE.
                                            Es-tu sûre ?

ORIANE.
Oui, mon cœur souverain ne craint pas la blessure
Des amours vaines...

DORIETTE, résignée.
Soit ! si tu veux, venge-moi !
Oriane s'avance vers les arbres et fait des signes magiques avec son fuseau.

ORIANE.
Obéron, Obéron, je t’appelle, ô mon roi !

Obéron parait.

OBÉRON.
Que veux-tu donc ? Vas-tu me demander encore
Une robe trempée au gouffre de l’aurore ?
Veux-tu boire du clair de lune ? Te faut-il
Quelque voile tissé d’une brume d’avril ?
Faut-il que pour parer ton front et tes oreilles
Je prenne aux nuits d’été des étoiles vermeilles ?

ORIANE.
Non, ni joyaux du ciel, ni robe ! Mon souhait,
C’est de n’être plus seule avec le bois muet.
Roi, je veux qu’un jeune homme à la lèvre attendrie
Voluptueusement ne parle

 et ne sourie.
Déliez ce serment cruel qui me défend
D’apparaître. Je veux que là-bas un enfant
Voie au fond de la nuit éternelle du monde
Ma gorge resplendir comme une clarté blonde :
Je veux livrer au vent terrestre mes cheveux.

OBÉRON.
Vous voulez être femme, Oriane ! Ces vœux
Sont indignes de vous ! Comment ! vous êtes fée,
Vous passez dans le soir, lumineuse et coiffée
De rayons ; vous cueillez toutes les fleurs du ciel,
Vous saccagez, comme un enfuit voleur de miel,
Le nuage rempli de clarté savoureuse !
Et puis, vous voulez être, hélas ! quelque amoureuse,
Quelque fille rôdant le soir furtivement
Dans l’ombre des chemins, au bras de son amant,
Et vous vous éprendrez, ô ma blanche Oriane,
Comme Titania, d’un rustre à tête d’âne !

ORIANE, très grave.
Aucun philtre, ô mon roi ! n’a troublé ma raison.
Moi, déchoir ! Non : Je suis de trop noble maison,
Étant née, un printemps, d’une perle enchantée.
Mais vous ne m’avez pas, sire, assez écoutée,
Car je veux apparaître, un seul jour, un moment,
Pour qu’un enfant plaintif m’appelle éperdument
Et pleure de me voir...
 

Suppliante.
                                         Un seul jour ! Que t’importe ?
Puis il me verra fuir comme une étoile morte
Qui s’engloutit dans la tristesse de la mer.
Et son cœur gardera comme un parfum amer
Le souvenir mortel de ma lèvre illusoire.

OBÉRON.
Va ! mais garde ce cor d’argent pâle et d’ivoire.
Si l’enfant prisonnier de ta jeune splendeur
Troublait ton cœur sacré d’une mauvaise ardeur,
Si ton front rougissait d’une aurore charnelle,
Appelle-moi. Sinon tu seras l’éternelle
Exilée. A jamais, avec des sanglots vains,
Femme tu pleureras loin des palais divins.
Mais quand tu voudras fuir la honte de la terre,
N’importe où tu seras, dans le val solitaire,
Aux champs tumultueux, dans les bois endormis,
Sonne de l’olifant vers les astres amis.
Je viendrai t’emporter comme une belle proie
Vers les pays de rêve et de féerique joie.

Obéron disparaît.

ORIANE.
Doriette, j’ai peur délicieusement.
Femme !... J’ai sous les pieds le grêle froissement
De l’herbe fraîche, moi qui volais dans la nue ;
Maintenant je me sens comme si j’étais nue

Et comme si le vent du soir était plus près
De mon front... O senteur nouvelle des forêts !
Naguère j’aspirais en mes divines courses
Je ne sais quels parfums magiques. L’eau des sources
Se changeait sous ma lèvre en céleste liqueur.
Qu’elle est bonne, l’eau des fontaines !... Tout mon cœur
Frémit quand le vent rude effleure mes épaules !
Oh ! je voudrais courir là-bas, parmi les saules.
Mais il est temps. Tu vois que je te vengerai.
Cherchons cet insolent.

DORIETTE.
                                    Ah ! j’aurais préféré
Moins de zèle !
Oriane fait un geste de surprise.
Ne va pas croire que je l’aime,
Ce rôdeur de forêts, harmonieux et blême !
C’est un rêveur, un fou qui cause avec le vent
Et marche dans les fleurs frémissantes, buvant
Les vaines voluptés de la brise estivale.
Puis tu ne serais pas d’ailleurs une rivale.
Certes, s’il t’effleurait de ses désirs humains,
Si sa lèvre insultait la neige de tes mains,
Tu sonnerais du cor et tu te perdrais toute
Dans les brouillards du ciel natal...

ORIANE, impatientée.
                                                           Eh ! oui, sans doute.

Allons vers cet enfant !

Une flûte chante au loin, puis une voix s’élève.

DORIETTE.
                                          Il est ici. J’entends
Ses chansons.

ORIANE.
                            Oui, là-bas, indécis et flottants,
Des murmures de flûte éveillent les fleurs closes.
Epions-le. Viens nous cacher parmi ces roses.

Oriane entraîné Doriette dans les buissons. Elles se cachent.


SILVÈRE, au loin [1].

Les filles dansent dans les vignes ;
Sur le grand lac sombre et charmant,
Entendez-vous l’adieu des cygnes
Mourant mélodieusement ?

Des chœurs dansants de vendangeuses
S’unissent autour du pressoir ;
Entendez-vous les voix songeuses
Des cygnes mourant dans le soir ?

Il parait à la lisière du bois.

Oui, les cygnes ! les blancs chanteurs ! Je les envie

Et je voudrais mourir comme eux, l’âme ravie,
En chantant noblement sur les fleuves aimés.
Ô musique ! Des bois, des vergers embaumés,
S’échappe une chanson puissante qui m’enivre.
Là-bas, des gens m’ont dit, un jour, qu’on pouvait vivre
Sans écouter le bruit des arbres triomphaux ;
Mais, bien sûr, ils se sont moqués de moi. C’est faux,
Car, moi je le sais bien, il faut, pour que l’on vive,
Mêler sa voix à la rumeur gaie ou plaintive
De la bonne forêt, des brises et des eaux.
Ô mon Dieu ! je voudrais être tous les oiseaux.
Il écoute chanter un rossignol.
Rossignol ! Il s’en va ; les bêtes sont méchantes !
Il se tourne vers les arbres, Ils mains jointes comme pour prier le rossignol.
Je voudrais tant savoir la chanson que tu chantes !
Il est adosse à un arbre, comme en extase. Oriane sort à demi des buissons et fait signe à Doriette de rester cachée.

ORIANE.
Nuit langoureuse ! Odeur lointaine des moissons,
Extase ! Ah ! je suis folle. Il est temps. Punissons
L’insulteur !
Elle va vers Silvère.
                          Tiens ! il dort. Une magicienne
L’aura touché peut-être, ou quelque égyptienne

Épancha sur ses yeux des urnes de sommeil.
Que fait-il là, debout ?
A Silvère.
                                        Mais vous êtes pareil
Aux oiseaux endormis dans les branches ! Sans doute
Vous ne m’entendez pas !

SILVÈRE, sans se retourner.
Je ne dors pas, j’écoute.
Aller-vous-en. Le soir tranquille était si doux.

ORIANE.
Farouche ! Non, je veux m’asseoir auprès de vous,
Tout près, pour vous troubler !

Elle éclate de rire. Silvère se retourne, étonné.

SILVÈRE.
                                                    Mon Dieu, suis-je en délire ?
Quel oiseau merveilleux a chanté ?

ORIANE.
                                                   C’est mon rire !

SILVÈRE.
Oh ! par grâce, riez encore !

ORIANE.
                                                  Vous vouliez

Être tout seul dans l’ombre heureuse des halliers ;
Faites rire les bois. Je pars.

SILVÈRE, suppliant.
Je vous en prie !
Nous veillerons tous deux dans la forêt fleurie,
Reste ! Tu dois savoir des airs mystérieux.
Tout à l’heure j’étais méchant. Comme tes yeux
Sont clairs !
Il cueille une fleur. Oriane s’est assise sur une espèce de
banc couvert de mousse. Elle joue avec le cor qu’elle tient à
la main.
                             Prends cette fleur, c’est une primevère.
Cette autre encor !

ORIANE, prenant les fleurs,
                                  Comment te nommes-tu ?

SILVÈRE.
                                                                               Silvère !

ORIANE.
Eh ! que fais-tu ?

SILVÈRE.
                                     Je chante au milieu des bergers.
Tenez, ces fleurs aussi ! Mettez ces lys légers
là, dans ce cor, ainsi que dans une urne blanche.
Je connais tout le bois. Je sais où la pervenche

Se dérobe et je sais quel arbre va fleurir.
Veux-tu de l’aubépine ? Oh ! je voudrais t’offrir
Tout le printemps ! Pourtant, j’ai peur de vous. Vous êtes
Trop belle !

ORIANE, coquette.
                           Vous trouvez !

SILVÈRE.
                                                            Oui, j’ai vu dans des fêtes
Parmi les rois vêtus d’argent et de satin
Une joyeuse reine au sourire enfantin.
Mais votre main est plus royale que la sienne.

ORIANE.
Vraiment ?

SILVÈRE.
                             Et votre voix, blonde musicienne,
A l’air de commander aux bois obéissants.
Venez plus près, parmi les lys. Oh ! je me sens
Défaillir doucement.
Pendant toute la scène , il n’a cessé de cueillir des fleurs. Il les apportait à Oriane. Oriane qui joue avec le cor y place les fleurs comme dans une urne. Au moment où Silvère l’attire vers lui, elle dépose nonchalamment le cor sur le banc de mousse.
Reste ainsi rapprochée.

Je rêve que la nuit divine s’est penchée
Sur moi comme une belle et pacifique sœur.

DORIETTE, sortant du buisson.
Va-t’en, il t’aime assez.

ORIANE, à Doriette.
                                  Tout à l’heure.
A elle-même.
                                                                    O douceur
Des paroles d’amour !

SILVÈRE.
                                        Vois-tu, dans ton haleine
Je respire les fleurs absentes de la plaine.
Donne ta lèvre !

ORIANE, se défendant mal.
                               Non ! Non !

DORIETTE, sortant du buisson.
                                                          N’est-ce pas encor
Le moment ?

ORIANE, comme en extase.
                          Le moment ?


DORIETTE.
                                                        Allons, vite, le cor !

SILVÈRE.
Ta chevelure blonde illumine et parfume
L’ombre douce et le soir voilé de claire brume.

DORIETTE.
Hâtons-nous !

ORIANE, à Doriette.
                          Un instant ! Aurais-tu peur ?
Elle rit. A elle-même.
                                                                         Je ris.
Mais mon cœur a tremblé comme un oiseau surpris.
SILVÈRE, il se lève, va vers elle et l’enlace.
Je t’aime !

DORIETTE.
                     Sonne donc !

ORIANE.
                                                  Soit ! Ma tâche est finie.
Avec une ironie affectée, elle se dégage.
Bonsoir, enfant ! Oui, j’ai laissé par ironie

Errer ta jeune lèvre en mes cheveux épars,
Et je riais de toi. Mais c’est assez, je pars.

Elle va vers le banc et reprend le cor.

SILVÈRE.
Vous partez ! O mon Dieu, vous me quittez. Je tremble.
Que vous ai-je donc Eût ? Restez ! Mais il me semble,
Puisque vous me fuyez, que la lune d’été
Se retire du ciel et reprend sa clarté ;
Il me semble que les forêts sont désolées,
Que tu vas emporter comme des fleurs volées
Dans ta robe et tes mains tous les astres des cieux.
Oh ! je souffre d’amour !
Il pleure, la tête entre ses mains. Oriane repose le cor sur le banc.

ORIANE, rêvant.
                                        Songe délicieux !
Plane encore sur moi !...

SILVÈRE.
                                            Tu m’as pris mes soirs calmes,
Tu m’as pris les forêts et les jardins de palmes,
Tu m’as pris l’amitié des oiseaux fraternels.
Je ne chanterai plus : des sanglots éternels
Étoufferont en moi mes chansons bien aimées ;
Lorsque je marcherai sous les tristes ramées,

Je ne connaîtrai plus la caresse des bois
Et mon cœur exilé n’entendra plus de voix.
Oriane le regarde, affectant l’ironie.
Oh ! je mourrai de ton regard qui me méprise !

ORIANE.
Eh bien ! non. J’ai menti ! Vous le savez, ô brise,
O sentier lumineux et blond où je passais ;
Et toi, claire fontaine amie, oui, tu le sais,
Toi vers qui je penchais ma gloire aérienne,
Je ne puis plus partir maintenant. Je suis sienne.

SILVÈRE.
Que dit-elle ?

ORIANE.
                                Prends-moi, Silvère. Je consens.

SILVÈRE.
Viens ! je vais t’emporter dans mes bras frémissants
A travers la splendeur de la forêt complice.
Pour que l’hymen de nos deux rêves s’accomplisse
Les astres nuptiaux ferment leurs yeux cléments.
Dans tout le bois pour le triomphe des amants
Un féerique printemps épaissit la feuillée.
Tout se tait. Pas un cri d’oiselle réveillée,

Pas un frisson de vent sur le calme gazon.
Viens ! Je crois voir là-bas le ciel de l’horizon
S’ouvrir pour nous ainsi qu’une porte divine.
Viens ! Nous nous en irons dans la bonne ravine
Et, pendant nos premiers baisers, nous sentirons
Les rosiers indulgents se pencher sur nos fronts.

ORIANE.
Oui, l’ivresse d’aimer trouble mon âme ardente.
Fuyons !

DORIETTE, sortant du buisson.
Mais sonne donc !... Elle fuit... Imprudente !
Tu me venges trop bien, Oriane ! Merci...
Je n’avais pas rêvé de le punir ainsi.
Oriane, Oriane ! Hélas ! dans la broussaille,
Elle regarde dans le buisson.
Elle faiblit ! la feuille autour d’elle tressaille.
Ses cheveux dénoués semblent un ruisseau d’or !
Oh ! je veux la sauver. Je vais prendre le cor
Moi-même !
Elle saisit le cor et le forte à ses livres. Le cor ne rend
aucun son.
                      L’olifant reste muet ! Prodige !
Mais non, ce sont les fleurs !... Allez-vous-en, vous dis-je,
Mauvaises fleurs !
Elle arrache violemment les fleurs.
                                 Enfin !

 Mes appels éclatants
Vont évoquer le roi sauveur.
De nouveau elle porte le cor à ses lèvres. Mais avant de
sonner elle regarde encore le buisson.
                                           Il n’est plus temps !

Oriane et Silvère reparaissent au milieu des arbres.

[À la représentation, après ce vers venait le couplet suivant qui terminait la pièce :]

ORIANE.
Je te préfère au roi des clairières magiques,
Je suis femme et fuyant les rêves nostalgiques,
J’oublierai dans tes bras par les joyeux chemins
L’ombre divine et les silences surhumains.
Lorsque le baiser joint les lèvres attendries,
L’amour terrestre est la plus douce des féeries.

  1. La musique des deux strophes chantées a été écrite par M. A. Gedalge.