Poulet-Malassis et De Broise (p. 63-86).

CHAPITRE 4



DE L’ÉPOPÉE GERMANIQUE




Rapport au Ministère de l’instruction publique[1].


En me chargeant d’aller entreprendre en Allemagne des recherches sur les poèmes de la nationalité germanique, le gouvernement m’a confié une tâche d’autant plus douce à remplir que j’allais ainsi pouvoir connaître un grand nombre d’hommes justement célèbres, de savants aimables, dont les conseils devaient me guider à travers le labyrinthe des premières études et m’éviter les tâtonnements du début. La chaleureuse estime pour la France, que j’ai été fier de rencontrer partout, a d’ailleurs doublé pour moi l’intérêt de ce long voyage sur la terre classique du travail et de la pensée.

L’itinéraire que j’avais adopté comme devant être le plus utile à mes recherches, en même temps que le plus fécond en contrastes et en comparaisons de toutes sortes, traçait ma route par la Belgique, Cologne, Dusseldorf, où je voulais visiter l’Académie de peinture, et où le poète Wolfgang Millier me présenta au peintre Lessing ; Münster, où je trouvai une femme poète d’un vrai talent, mademoiselle Annette Droste de Hulshof ; Hanovre, qui se souvient avec un juste orgueil de Leibnitz et de Frédéric Schlegel, et qui commence à savoir qu’elle possède un jeune philologue éminent et un critique judicieux dans la personne de M. Karl Godecke. M. Karl Godecke m’a fait profiter de son expérience et de ses richesses d’érudition avec une libéralité qui n’est pas commune chez les savants. De Hanovre à Berlin, la distance se franchit en chemin de fer. La pensée envahissante du jeune royaume prussien possède de la sorte un système déjà complet de voies rapides, par où son influence cherche à se répandre dans toutes les directions. Berlin, qui, indépendamment de ses philosophes, de ses écrivains et de ses poètes, possède des philologues et des critiques tels que les Lachmann, les Grimm, les Massmann, Berlin devait me retenir pendant quelques semaines. Le professeur Lachmann était malade ; il fit preuve d’une grande bonne volonté en me recevant malgré son état de souffrance, et je me serais reproché comme indiscrète la moindre question qui aurait pu le fatiguer. Toutefois cette visite ne fut pas stérile, car la vue et les encouragements d’un maître illustre ne peuvent manquer de féconder en nous l’émulation. Je connaissais d’ailleurs les titres de Lachmann à la reconnaissance littéraire de ses compatriotes, et j’emportais avec moi ses ouvrages, dont j’avais déjà lu quelques-uns. Je fus moins heureux avec le professeur Massmann, que je ne parvins pas à rencontrer chez lui. Je me dédommageai avec ses livres. Ce que des chances contraires me refusaient de ces deux côtés, je le trouvai amplement chez les frères Grimm. Les savants auteurs des Antiquités du Droit, des Recherches sur la Mythologie des peuples du Nord, de la Grammaire allemande, véritable encyclopédie de la langue allemande, et de tant de travaux de haute érudition, voulurent bien se rappeler qu’ils avaient composé jadis, dans leurs loisirs les plus désoccupés, un recueil de contes charmants, et que ces contes, j’avais essayé récemment de les transplanter en France. Cette circonstance tourna au profit de mes nouvelles études, auxquelles ils eurent la bonté de donner une direction salutaire. J’ai vécu assez long-temps à Berlin pour apprendre que MM.  Jacob et Guillaume Grimm accueillent avec une bienveillance inépuisable, tous les esprits studieux qui ont besoin de leurs conseils, et cette généreuse hospitalité de la science est d’autant plus admirable chez de tels hommes, qu’ils n’ont pas trop de tout leur temps pour leurs propres travaux. Au moment où j’eus l’honneur de les voir, MM.  Grimm étaient absorbés par la composition d’un grand ouvrage impatiemment attendu en Allemagne, un dictionnaire général et critique de la langue allemande. Pour entrer dans le cadre de ma mission, je ne dois pas oublier de mentionner la joie naïve, la satisfaction d’érudit avec laquelle M.  Jacob Grimm me montra un magnifique volume in-folio contenant une nouvelle édition du poème des Nibelûngen, exécutée sous sa direction par les ordres de Frédéric-Guillaume IV.

Comment parler des frères Grimm sans dire un mot de Bettina d’Arnim, qui, lors de la destitution des deux illustres professeurs voulut protéger leur disgrâce ? Madame la baronne d’Arnim, ou, pour l’appeler par son vrai nom glorieux, Bettina, l’excentrique et poétique auteur de ce livre qui fit tant de bruit à Berlin il y a deux ans, et qui était si audacieusement dédié au roi de Prusse, occupe une trop grande place dans la littérature moderne de l’Allemagne, j’allais presque dire dans sa politique, pour que je ne lui consacre pas quelques lignes. Je ne pouvais passer à Berlin sans chercher à connaître l’enfant gâtée de Gœthe. Bettina est, en effet, toujours encore une enfant sérieuse, une enfant pleine de fous caprices, une enfant pétulante et pétillante d’esprit, qui triomphe à merveille de trois difficultés, d’être femme, d’être une femme allemande, et d’être une femme de plus de cinquante ans. Il y a en elle de l’artiste, du poète et du dictateur ; sa conversation fait briller une foule de rayons qui se croisent, qui s’entre-choquent, et rentrent dans la nuit pour en jaillir de nouveau avec le même manque de symétrie et de méthode. En sortant de chez Bettina, je ne pus m’empêcher d’établir un rapprochement entre ces œuvres du passé que j’étais venu chercher en Allemagne, et cette femme remarquable qui en est le présent, le présent vivant, et peut-être un peu l’avenir.

Après avoir longuement parcouru les bibliothèques et les musées, feuilleté les manuscrits et les livres, interrogé les écrivains, les penseurs et les artistes, je partis pour Leipzig. J’y arrivai en pleine foire, c’est-à-dire que, moi qui poursuivais les poèmes du moyen-âge, je rencontrai à Leipzig un vrai spectacle du moyen âge : des hommes de toutes les nations, et surtout des juifs ; la confusion des physionomies, des costumes et des langues. Si Leipzig n’eût pas été le séjour de M.  Maurice Haupt, je me serais demandé ce que j’étais Tenu faire dans cette ville envahie par les marchands. Toutefois, j’ai hâte d’ajouter que la foire de Liepzig est, avant tout, le rendez-vous des grands libraires de l’Allemagne et de l’Europe, et qu’à ce titre j’y trouvai encore plus d’un sujet d’étude intéressant. M.  Maurice Haupt est un homme jeune dont on cite déjà le nom parmi ceux des maîtres les plus estimés. Il compte trente-huit ans à peine, et pourtant ses œuvres exigeraient une longue énumération. Il possède à fond la connaissance des poèmes épiques de l’Allemagne, et, quoiqu’il soit chargé de professer la littérature latine, sa plume s’est presque toujours exercée de préférence sur la poésie allemande du moyen-âge. Il a édité, en les annotant avec sagacité, plusieurs Minnesingers du XIIIe siècle ; en outre, il a été pendant quatre ans (1844 à 1845) le rédacteur en chef d’une revue consacrée exclusivement à l’antiquité classique, et dont les frères Grimm, Lachmann, Guillaume Wakernagel, Schmeller et Karajan s’honoraient d’être les collaborateurs.

J’ai remarqué chez M.  Maurice Haupt une vive préoccupation de la vieille poésie française, préoccupation partagée aujourd’hui en Allemagne par un grand nombre de philologues, car nous ne sommes plus au temps où la vanité nationale empêchait de reconnaître au delà du Rhin l’imitation dont les troubadours français devinrent l’objet en Allemagne après l’ébranlement des premières croisades. C’est à cette époque que les Minnesingers traduisirent les épopées chevaleresques et autres poèmes de la France, tels que la Guerre de Troie et la Bataille de Roncevaux, L’Enéide de Henri de Veldeck n’est encore que la traduction d’une libre version française. Dans cette reconnaissance de l’ancienne parenté qui unit la poésie des deux peuples, M. Maurice Haupt prépare depuis dix ans un recueil des vieilles chansons populaires de la France, qui ne tardera pas à paraître, et dont le classement méthodique m’a frappé. Le recueil est divisé en trois parties, dont la première contient les chants religieux ; la seconde les chants relatifs à des faits historiques, et la troisième, les chants d’amour, des vaudevilles et des romances. L’ouvrage, précédé d’une introduction sur l’origine et les destinées de la chanson en France, se termine par des remarques historiques et philosophiques, dont le talent de M. Maurice Haupt autorise à beaucoup espérer.

De Leipzig, où j’étais venu par la voie de fer, le chemin de fer me conduisit à Dresde. S’il entrait dans ma mission de parler des beaux-arts, j’aurais ici l’occasion de vous soumettre un long chapitre admiratif. Dresde est une ville d’enchantement ; ses collections de tableaux et de statues sont peut-être plus riches, incontestablement plus complètes que celles de Munich. Si Munich a presque mérité d’être appelée l’Athènes du Nord, je donnerais plus volontiers ce nom à Dresde. Ici la population est plus vive, plus active, plus naturellement douée du sens artiste ; Munich n’est qu’une improvisation de l’imagination poétique du roi Louis. Mais Dresde ne doit être qu’un épisode de fantaisie dans mon voyage.

L’intérêt de mes études m’appelant à Vienne, je profitai de l’occasion qui m’était offerte d’entrer en Autriche par la Bohême, et je pris le bateau à vapeur de l’Elbe, On arrive ainsi jusqu’à quelques lieues de Prague, en traversant le beau pays si bien nommé la Suisse saxonne. On ne tarde pas à saluer les montagnes pleines du souvenir de Jean Huss. Comme on remonte le fleuve, on a le temps de tout voir et de tout admirer.

Vienne avait mieux pour moi que ses souvenirs, ses monuments, ses curiosités, sa physionomie originale et ces charmantes surprises que procure à l’esprit le spectacle d’une vie nouvelle : elle avait sa bibliothèque, et M. Karajan, son bibliothécaire. C’est par des travaux analogues à ceux de Guillaume Grimm, et surtout par une restitution savante des vieux textes, que M. Karajan a mérité la place honorable qu’il occupe à la bibliothèque impériale de Vienne. Je saisis avec joie l’occasion de remercier publiquement un homme qui, apprenant l’objet de ma mission, s’empressa avec tant de zèle bienveillant de me montrer les trésors littéraires confiés à ses soins, les vieilles éditions et les manuscrits précieux qui font de la bibliothèque de Vienne un des plus riches dépôts scientifiques du monde. C’est encore là que je trouvai M. Wolf, dont la modestie égale le mérite, et que la nature de ses travaux rapproche davantage de nos philosophes français, dont il est l’émule dans bon nombre de dissertations critiques relatives à notre ancienne littérature nationale. Entre autres œuvres, je citerai de lui une histoire de la littérature française, depuis l’époque des croisades jusqu’à celle de François 1er . M. Wolf m’a offert ses services avec le double empressement de l’érudit toujours prêt à se dévouer dans l’intérêt de la science, et de l’homme qui aime la France et qui est heureux de pouvoir nous témoigner sa sympathie dans cette sphère sereine de l’étude où les rivalités de la politique n’apportent point leurs ombrages.

Gœthe a dit très-justement que, pour comprendre les œuvres des poètes, il faut commencer par visiter le pays des poètes. Cette remarque est surtout vraie en ce qui concerne ces poëmes, produits d’une civilisation moins raffinée, où la marque de la nature et des objets extérieurs laisse toujours une plus profonde empreinte. Comment la pensée ne me serait-elle pas venue à Vienne de remonter le Danube au moins jusqu’à Lintz, ce vaste et mystérieux Danube dont certains épisodes de l’épopée allemande augmentaient encore pour moi le prestige ? Le fleuve témoin du passage d’Attila, présente depuis Vienne jusqu’à Lintz le caractère grave, religieux et même un peu terrible, que lui donne le poème des Nibelûngen. En contemplant ses eaux vertes et profondes, ses rives plates couvertes de bouleaux et de sapins, ses îles de sable Jaune et stérile, je me rappelais ces sirènes que l’implacable Hagen alla consulter avant de conduire l’armée bourguignonne sur l’autre bord. Rien ne saurait exprimer la solennité calme et triste d’une nuit étoilée sur ces ondes solitaires, où l’on ne rencontre, à de longs intervalles, que de grands bateaux, chargés de chênes centenaires aux racines pendantes, sur lesquels une vingtaine d’hommes silencieux se tiennent debout, les bras appuyés sur des rames énormes qui leur servent de gouvernail. Quand ils passent lentement, entraînés par le courant du fleuve, on arrête les roues du bateau à vapeur, dans la crainte que le mouvement qu’elles impriment aux flots ne fasse chavirer ces masses flottantes. De loin en loin, retentissent des chants religieux : ce sont de frêles embarcations remplies de pèlerins qui vont honorer quelqu’un des saints ou des vierges dont les rives du Danube sont peuplées. Les pèlerins se tiennent agenouillés dans la nacelle ; d’autres lèvent leurs bras vers le ciel, et l’un d’eux dresse en l’air une image grossière du Christ, ou quelqu’autre symbole pieux.

De Lintz, dont je n’ai gravi la citadelle que pour jeter un dernier regard sur les majestueux méandres décrits par le Danube, je me suis dirigé par Salzbourg sur Munich, où je voulais voir les peintures inspirées par les principales scènes des Nibelûngen. Mon voyage s’est terminé par Stuttgard, oh je désirais visiter Uhland, ce poète moderne qui a si bien compris le fait comprendre la poésie du passé. À Mannheim, le Rhin m’a emporté sur ses flots, et j’ai pu saluer en passant les clochers de Worms, si chère aux admirateurs de l’épopée germanique, ainsi que toutes ces ruines fameuses qui, au moyen-âge, effrayaient le voyageur, pour le charmer aujourd’hui. Le dernier homme que j’ai consulté est Karl Simrock, qui, dans la jolie ville de Bonn, s’occupe depuis douze ans de traduire en haute poésie moderne et de ramener à une harmonieuse unité ce legs long-temps négligé de l’épopée allemande, dont je vais tâcher de dresser l’inventaire.


Les traditions épiques de l’Allemagne, celles qui concernent exclusivement ses épopées héroïques, soit complètes, soit à l’état de fragments, remontent en général aux premiers siècles de l’ère chrétienne, au temps des migrations des races germaniques. Elles se croisent et se mêlent en tous sens, comme les essaims confus de ces peuples venus du Nord, et qui, après avoir renversé le colosse romain, devaient former les nations modernes. Ces traditions, que la poésie nomme à bon droit héroïques, où l’histoire, qui ne doit faire sa gerbe que de dates et d’événements précis, aurait peine à glaner des inductions suffisamment plausibles, ces traditions, précieuses pourtant pour l’historien, en ce qu’à défaut de la lettre morte elles renferment l’âme et les passions d’une époque où tant de grandes choses se sont accomplies et préparées ; ces traditions, dis-je, long-temps trop oubliées ou trop négligées en Allemagne, dont elles avaient été d’abord toute la poésie, toute l’histoire et tout l’orgueil, ont reconquis aujourd’hui au-delà du Rhin le culte et l’attention qu’elles méritent. Depuis trente ans que, mus par un louable sentiment de nationalité, des hommes tels que les Schlegel, les Van der Hagen, les Grimm, les Lachmann, se sont mis à l’œuvre, un immense travail de critique a été entrepris, d’où l’on a vu sortir, comme autant de statues et de tronçons précieux sous la pioche de mineurs intelligents, les fragments épars des vieilles épopées de l’Allemagne.

Ce travail qui se poursuit sans relâche, encouragé qu’il est chaque jour par de nouvelles découvertes, arrivera peut-être enfin à reconstruire dans son ensemble le vaste monument des traditions épiques de l’Allemagne, symbole non moins expressif de son unité nationale que cette cathédrale de Cologne où notre siècle posera la dernière pierre, et que ce Zollverein, destiné à réunir prochainement, en un seul et robuste faisceau, les membres trop long-temps séparés de la grande famille germanique.

Ces traditions, long-temps flottantes parmi les peuples du Nord, qui se les empruntaient les uns aux autres, en y ajoutant sans cesse de nouveaux détails et des figures nouvelles, n’ont pu parvenir jusqu’à nous que par une succession de métamorphoses, d’altérations et de changements, d’où résulte aujourd’hui pour la plupart des poëmes qu’elles ont inspirés, la difficulté d’en connaître les auteurs. Les remaniements que presque tous ont subis dans la suite, particulièrement à une époque où prévalut le goût chevaleresque qui suivit les croisades, ajoute encore à ces embarras, si bien faits d’ailleurs pour aiguillonner le zèle persévérant de l’érudition allemande. Si l’étude approfondie de la vieille langue et des antiquités germaniques a déjà répandu de vives clartés sur plusieurs questions obscures, il reste encore beaucoup à faire ; mais les résultats obtenus, ainsi que le dévouement laborieux d’hommes tels que ceux dont je viens de citer les noms, permettent de beaucoup espérer.

Maintenant déjà l’Allemagne est en état de dresser le catalogue de ses richesses épiques. Non-seulement elle possède deux épopées complètes, les Nibelûngen et Gûdrûn, mais encore elle peut grouper avec orgueil autour d’elles bon nombre de fragments et de poëmes qui élargissent indéfiniment le cadre de ces deux vastes cycles, et qui en préparent de nouveaux.

Entre les diverses méthodes adoptées pour le classement de ses traditions épiques, l’Allemagne n’en a pas de meilleure, à mon avis, que celle imaginée dernièrement par M. Vilmar, directeur du gymnase de Marburg, et qu’on pourrait désigner sous le nom de méthode historique.

Cette méthode partage en six cercles ou cycles différents les traditions épiques de l’Allemagne :

1o  Le cycle du bas Rhin, que l’on peut aussi appeler le cycle Frank. Le héros en est Sigfrid, qui a pour résidence Santen.

2o  Le cycle bourguignon. Ses héros sont Gunther, Gernot et Giselher, rois de Bourgogne. Il faut y joindre leur mère Ute, leur sœur Chriemhilt ; Brunhild, épouse de Gunther ; puis la foule des vassaux, parmi lesquels Hagen et Volker occupent la première place. Leur résidence est Worms.

3o  Le cycle ostrogothique. Le héros en est Dietrich (Théodoric), que sa résidence, Vérone (en allemand Bern), a fait nommer Dietrich-de-Bern. Le plus considérable de ses vassaux, ainsi que son premier homme d’armes, est le vieil Hildebrand, de la race des Wolfings ; puis viennent Wolfhart, Wolfbrant, Wolfwin, tous trois de la famille des Wolfings ; puis Sigestab, Helferich ; puis encore quatre autres hommes d’armes.

4o Le cycle d’Attila (Etzel), roi des Huns, auquel se rattachent Helche, première femme d’Attila, ainsi que ses fils Scharf et Ort ; Rüdiger de Bechlarn, son fidèle vassal ; son tributaire, le Lorrain Havart, accompagné de son vassal Iring ; enfin le prince de Thuringe Irnfrid. La résidence d’Etzel est Etzelburg en Hongrie (aujourd’hui Ofen).

Ces quatre grands cycles se sont fondus dans l’épopée des Nibelûngen, ainsi que dans la Plainte, leur pendant médiocre sous le rapport de la forme poétique. En outre, le premier de ces cycles, celui relatif à Sigfrid, possède lui-même son chant héroïque consacré aux faits de Sigfrid avant l’arrivée de ce dernier à la cour de Bourgogne. Ce chant est nommé le Chant sur le combat de Sigfrid avec le Dragon, ou encore, le Chant sur Sigfrid couvert de corne. De même, on a sur Dietrich-de-Bern toute une série de chants qui racontent ses aventures, soit en dehors de toute connexion avec les autres cycles, tels que les chants intitulés la Sortie de Ecke, le Roi Laurin, le Géant Sigenot, soit en connexion unique avec le cercle d’Etzel, tels que les chants intitulés Fuite de Dietrich chez les Huns, la Mort d’Alphart, la Bataille de Ravenne, et quelques autres encore. Plus tard les poètes populaires ont essayé de faire lutter Dietrich avec Sigfrid et les Bourguignons, comme nous en avons la preuve dans le poëme intitulé Rosengarten (le Jardin des Roses). M. Vilmar cite encore ici avec raison la légende de Walther d’Aquitaine, originaire du cycle bourguignon, et que des remaniements ultérieurs ont mêlée aux autres cycles.

Le cinquième cycle est celui de l’Allemagne du Nord, autrement dit le cycle Frison-Danois-Normaod, qui a particulièrement pour objet Texistence maritime des Allemands du Nord. Ses héros sont : Hettel, roi des Hegelings (Frisons) ; Horant, roi des Danois, et son oncle Wate ; enfin Gûdrûn, fille d’Hettel ; Gûdrûn, qui a donné son nom au poëme considéré, à juste titre, après les Nibelûngen, comme la plus noble perle de la poésie épique allemande.

Enfin le sixième cycle est le cycle lombard. Il a pour héros le roi Rother, le roi Otnit, Hugdietrich et son fils Wolfdietrich. D’après les Inductions de la critique, ces traditions particulièrement la fable d’Otnit et celle de Hug et Wolfdietrich, doivent être de beaucoup antérieures au cycle de Dietrich-de-Bern. Toutefois, dans la forme où elles nous sont parvenues, elles présentent plusieurs traits particuliers à l’époque des croisades, et ces traits sont si habilement fondus dans l’ensemble, qu’on n’a pas encore pu réussir à les en dégager. Il résulte de là que ce dernier cycle est considéré comme le plus récent, et qu’il devra en être ainsi aussi long-temps que de nouvelles découvertes, auxquelles on est en droit de s’attendre, n’auront pas confirmé et justifié les présomptions de la critique.

Il convient maintenant de faire rapidement l’historique de ces divers poëmes, de dire par quelles phases d’estime ou de discrédit ils ont passé avant d’arriver jusqu’à nous ; d’indiquer leur ancienneté présumée ou reconnue, les diverses éditions qui en ont été faites, ainsi que le nom des hommes qui ont le plus contribué à les placer au rang honorable qu’ils occupent aujourd’hui dans la littérature allemande. L’époque de l’engouement le plus désintéressé, le plus naïf, et par cela même le plus virtuellement poétique pour ces traditions, est la seconde partie du XIIe siècle et le XIIIe siècle tout entier. C’est à cette période qu’il faut faire remonter le premier agencement définitif de l’épopée des Nibelûngen, la première fusion en un poëme unique des éléments divers qui circulaient d’abord isolément. L’opinion qui a long-temps désigné pour l’auteur des Nibelûngen Henri d’Ofterdingen, maître chanteur et bourgeois de la ville d’Eisenach (1212-1225), est aujourd’hui complètement discréditée. Il en est de même des conjectures, dénuées de fondement, qui ont attribué cet honneur au poète Klingsor, de Hongrie. L’existence de ce poète n’est plus désormais qu’une fable ingénieuse. Le XVIe et le XVIIe siècle paraissent avoir ignoré complètement ce legs glorieux de la vieille poésie allemande, comme aussi ils ne savaient rien ou ne voulaient rien savoir de l’antique splendeur, de l’antique puissance de l’Allemagne. C’est seulement vers le milieu du siècle dernier que J. J. Bodmer découvrit deux manuscrits (le poème entier des Nibelûngen) dans le château du comte d’Ems, et qu’il publia l’un d’eux sous ce titre : Vengeance de Chriemhilt. Plus tard, le suisse Müller, professeur à Berlin, fit paraître le poëme intégral sous le titre de Nibelûngenlied (Chant des Nibelûngen), titre qu’il a conservé depuis. Le grand Frédéric, dont, comme on sait, le goût littéraire était obstinément français à la suite de Voltaire, accueillit l’édition par ce billet décourageant adressé à Müller : « Vous avez sur de pareilles choses une opinion beaucoup trop favorable ; mon avis est qu’elles ne valent pas une charge de poudre, et je ne voudrais pas les conserver dans ma bibliothèque. » Schiller, dans ses trois fameuses strophes sur la poésie allemande, devait bientôt venger l’épopée germanique de ces dédains inintelligents du grand roi. Müller ne se laissa pas abattre par cet échec. Le moment approchait où ses idées allaient recevoir une éclatante réparation. Il fallait l’ébranlement de la nationalité allemande pour tourner vers les souvenirs les sympathies générales. C’est ce qui arriva en 1813. Les Nibelûngen devinrent alors le saint livre, et les poètes du XIIIe siècle, la sainte étude. Dans ses ballades et romances, Uhland ressuscita les Heldensagen et le vieux chant dont Karl Simrock est aujourd’hui le dernier rhapsode. Henri van der Hagen donna des éditions des Nibelûngen en 1810, en 1816 et en 1820.

Six années plus tard, le professeur Lachmann publia une nouvelle édition du texte ramené à son intégrité primitive par une collation scrupuleuse des plus anciens manuscrits et par une critique savante. De tels travaux étaient déjà beaucoup pour faire apprécier aux philologues les mérites de l’œuvre ; mais ils ne suffisaient pas pour la rendre populaire. La langue dans laquelle avaient été composés tous ces anciens poëmes n’étant plus comprise que des érudits, il fallait, désormais, des traductions dans la langue moderne ; tel est le travail auquel se dévouèrent à l’envi les écrivains et les poètes. Zeune donna une version en prose, Karl Simrock, une traduction en vers, que toutes celles publiées depuis n’ont pu encore égaler. Guillaume Grimm fît paraître vers le même temps (1829) tout un gros volume de recherches, d’éclaircissements et de critiques, sur l’ensemble des traditions héroïques de l’Allemagne (Die Deutsche Heldensage). Cet ouvrage, la meilleure boussole pour quiconque veut s’engager dans ces études, est dédié par G. Grimm, à son ami Lachmann : touchant hommage d’un cœur profondément allemand envers le professeur dont les écrits avaient le mieux servi la gloire renaissante de l’épopée allemande I Je n’en finirais pas si je voulais citer tous les travaux utiles auxquels donna naissance cette résurrection des antiques poëmes nationaux. Je dois me borner à mentionner encore ici, à cause des services qu’il peut rendre, le livre de M. Mone, intitulé : Recherches pour servir à l’histoire des traditions héroïques de l’Allemagne (Untersuchungen zur Geschichte der Teutschen Heldensage). Toutefois, cet ouvrage de M. Mone étonne plus par l’entassement énorme des matériaux et des indications qu’il ne satisfait par l’évidence des résultats acquis. En réalité, son travail aurait besoin d’étre remanié par une main ferme et sûre, par un esprit essentiellement clair et pratique. M. Mone sait beaucoup, mais peut-être ne se défie-t-il pas assez de son imagination. Au lieu de simplifier une question, il lui arrive souvent de la compliquer comme à plaisir ; et chaque difficulté lui sert de texte à des dissertations, très-ingénieuses sans contredit et très-savantes, mais qui vous laissent, après les avoir lues, plus indécis qu’auparavant.

L’épopée de Gûdrûn n’a pas dû traverser moins d’épreuves. Après un long oubli, elle a été rétablie dans le texte originaire du XIIIe siècle sur un manuscrit du XVe siècle que possède la bibliothèque de Vienne, et publiée en 1835 à Quedlinburg, par M. Ad. Ziemann. Parmi les meilleures traductions qui en ont été faites dans ces derniers temps, il faut citer celle d’Adalbert Keller (Stuttgard, 1840), et celle plus récente de Karl Simrock (1843, Stuttgard et Tubingen). La conservation de Gûdrûn est due à la sollicitude éclairée de l’empereur Maximilien 1er , qui fit transcrire ce poëme sur du parchemin, et ordonna qu’on le déposât avec quelques manuscrits non moins précieux (les Nibelûngen en faisaient partie) dans la bibliothèque impériale d’un de ses châteaux du Tyrol.

Le Roi Rother a paru en 1808 à Berlin, dans l’édition de Van der Hagen et Buschiug ; de même, en 1837, dans le recueil des poésies du XIIe siècle, publié par Massmann.

Otnit a été édité dans la langue du XIIIe siècle par Mone (Berlin, 1821), et par Ettmüller (Zurich, 1838). Otnit a été remanié par les poètes du XVe siècle, ainsi qu’on en trouve la preuve dans le Livre des Héros (Heldenbuch), publié à Hagenau en 1509, et dans les différentes éditions qui se succédèrent jusqu’en 1590.

Hug et Wolfdietrich, originaires aussi du XIIIe siècle, ont été publiés par Van der Hagen et Primisser dans le remaniement de Von der Rohn.

Ce Livre des Héros, de Gaspard von der Rohn, est un travail totalement dénué du sentiment poétique, et qui révèle chez l’auteur une vulgarité d’esprit incroyable. Suivant Grimm, le maître chanteur le plus borné du XVe siècle est plus près des excellents poètes du XIIIe siècle que ce grossier manipulateur des vieilles sources. Après un intervalle d’environ trois siècles, la tradition héroïque (die Heldensage) est tombée des mains les plus nobles entre les mains les plus indignes. Gaspard s’est acquitté de sa tâche comme un manœuvre payé à la journée. Il lui arrive quelquefois de se complimenter lui-même sur son ouvrage, où « il a soin d’élaguer bon nombre de mots inutiles. » Il faut le lire pour pouvoir se faire une idée de son langage sans nerf et sans la moindre poésie.

Pour le Chant de Sigfrid couvert de corne, le Rosengarten (Jardin des Roses), la Mort d’Alphart, la Bataille de Ravenne, la Sortie de Ecke, etc., il faut consulter la collection des poésies allemandes du moyen-âge, publiées par Van der Hagen et Primisser.

Tel est l’inventaire des principaux poëmes dont se compose l’épopée nationale allemande. Il ne peut être inutile de rappeler maintenant en peu de mots les jugements qu’en ont portés des critiques considérables. Quant à la valeur de ces poèmes, même dans l’état imparfait où il nous sont parvenus, dit Gervinus, elle nous paraît aujourd’hui bien autrement importante que ne le trouvaient jadis les chantres pieux et les poètes de cour. Seule parmi tous les poèmes du monde chrétien, l’épopée des Nibelûngen se rattache à l’antiquité par sa forme plastique, objective, populaire, ainsi que par les souvenirs historiques qui en forment le fond. Elle est le fruit de cette poésie primitive qui naît de la pure contemplation des choses, et qui chante et décrit ses impressions sans parti pris et sans système.

Guillaume Grimm fait ressortir les différences qui existent entre les chants de l’Edda et le poème des Nibelûngen : les Nibelûngen ne se bornent pas à suivre les traditions et à les présenter sous un jour lumineux ; ils s’appliquent surtout à en développer le plus possible le contenu. Ce but y a été atteint avec une plénitude de réalité qui prend sa source dans une fraîcheur et une vivacité de sentiment dont chaque vers, chaque mot du poème est pénétré. L’Edda raconte avec plus de précision, elle semble pressée de finir ; dans les Nibelûngen, au contraire, règne une tranquillité inaltérable qui accorde aux moindres parties de la fable une égale attention, et s’applique à leur donner à toutes le même développement harmonieux. L’élévation qui distingue les chants de l’Edda ne se trouve pas, à vrai dire, au même degré dans le poëme des Nibelûngen. En revanche, l’Edda manque du charme, de la grâce touchante, de l’effusion naïve dont l’épopée allemande est remplie, qualités qui lui gagneront toujours les âmes simples et pures. Les Nibelûngen sont comme l’épanouissement majestueux de cette époque débordante de sève et de vie, où la forme poétique dans laquelle nous la possédons aujourd’hui s’est fixée. Ils réfléchissent la vie publique et privée, les mœurs et les coutumes de ce temps, l’éclat de ses fêtes, et surtout son organisation sociale. La réalité y domine partout, mais dans la splendeur du rayon poétique.

Gervinus admire la délicatesse d’exécution qu’un œil exercé remarquera dans Gûdrûn, « le pendant des Nibelûngen, l’Odyssée germanique à côté de l’Iliade germanique. » C’est le chant de la fidélité et de la vertu telles que l’âge héroïque semble les avoir cultivées mieux qu’aucun autre. Sous le rapport de l’habile souplesse du langage, de la richesse des pensées, des images, des rimes, en un mot de tout ce qui concourt à la perfection d’une œuvre d’art, Gervinus fait passer Gûdrûn avant les Nibelûngen. Les situations y sont plus vives, les caractères dessinés en général d’un crayon plus ferme, quoique dans des proportions moins colossales. On y retrouvera à chaque pas le contre-coup des immenses chocs d’hommes et de peuples qui avaient lieu dans la mer du Nord, et dont le poëme reproduit les instincts aventureux et les passions : à ce titre, la valeur historique de Gûdrûn est incontestable.

Grimm s’exprime avec la même admiration. Suivant ce judicieux critique, le poëme ne s’épanouit dans toute sa fleur qu’au moment Gûdrûn arrive en Normandie. Tout ce qui suit alors, et particulièrement le récit des humiliations dont Gûdrûn est abreuvée et auxquelles elle oppose tant de noblesse d’âme, est d’une beauté telle que Guillaume Grimm n’hésite pas à ranger ce poëme parmi les plus remarquables chefs-d’œuvre de la poésie épique.

On cherche en vain dans Otnit, Wolfdietrich, Rosengarten et Alphart, la liaison, le charme et la vive haleine qui séduisent dans Gûdrûn et dans les Nibelûngen. La rudesse des mœurs y est en maint endroit choquante, quoique ce signe de l’ancienneté de ces poëmes ne soit pas non plus sans valeur. Dans le Rosengarten, Chriemhilt frappe du poing au visage une jeune fille qui s’est permis d’élever la voix en faveur de Rüdiger, et nous la voyons plus tard, dans un moment de mauvaise humeur, s’administrer à elle-même une correction semblable. Il y aurait beaucoup à citer en ce genre. Comment ne pas trouver trop crue, par exemple, la peinture de ce terrible moine Ilsan qui, après avoir tant abusé de la patience de ses bons frères, met le comble à ses méchants tours en les accrochant par la barbe aux clous plantés dans les murs du cloître, et en les forçant de la sorte à entonner des psaumes pour la rémission de ses propres péchés ? Évidemment cette création, à la fois énergique et burlesque, est une de ces épigrammes, quelque peu grossières, que la malice populaire décochait, vers la fin du XIIIe siècle, contre les habitudes mondaines, les envahissements temporels et les débordements du clergé.

Gervinus fait observer que, si le Roi Rother nous rappelle une de ces antiques légendes germaniques concernant le choix ou la conquête d’une fiancée, le poëme que nous possédons s’est écarté complètement de la donnée primitive. Au lieu de se passer dans les pays du Nord, suivant le récit de la Vilkina Saga, la scène a été transportée à Constantinople et en Italie, et l’on trouve dans le Roi Rother bon nombre de détails empruntés à la cour de Byzance, au temps de l’empereur Alexis. Ce détournement, ce remaniement de la légende originale, est dû sans doute à quelque poète du temps des croisades. Il fut de mode à cette époque, où l’imagination allemande revenait éblouie des pompes et des splendeurs orientales, de travailler à nouveau les vieux thèmes poétiques. De là ce mélange des anciennes traditions avec des idées, des sentiments et des ornements nouveaux. Le souvenir de Frédéric Barberousse apparaît en maint endroit dans ce poëme remanié du Roi Rother.

Guillaume Grimm regrette que nous ne possédions pas dans leur forme primitive la Bataille de Ravenne et la Sortie de Ecke. Ici pourtant on peut, sans trop de peine, dégager le noble et précieux métal de l’enveloppe terreuse et de la rouille dont les siècles l’ont recouvert. Il est aisé de reconnaître le génie de la poésie dans les passages qui racontent le combat ainsi que la mort de Diether et des deux fils de la reine Helche, malgré les répétitions et les ornements parasites dus à une main maladroite. Il est juste aussi de signaler le sentiment essentiellement poétique qui distingue la rencontre de Dietrich et de Ecke, leur entretien et leur combat, non moins que les plaintes arrachées à Dietrich par la mort de son ennemi.

Ce travail serait incomplet si je ne parlais pas, en finissant, d’un remaniement définitif de tous ces poëmes, en poésie moderne, que M. Karl Simrock termine à cette heure. Dès 1827, M. Karl Simrock prouva sa vocation par son beau travail sur les Nibelûngen. Gûdrûn suivit bientôt, et forme aujourd’hui le deuxième volume de sa collection, publiée sous ce titre : Das Heldenbuch (le Livre des Héros). Le tome troisième est intitulé : Das Kleine Heldenbuch ( le Petit Livre des Héros). Il contient les meilleurs fragments et petits poëmes des cycles germaniques, mis pour la première fois, par le poète, en haute poésie moderne. Le quatrième volume du grand ouvrage de M. Simrock est désigné par le nom de Amelûngenlied (Chant des Amelûngen). Ce cycle, qui développe particulièrement les faits et gestes de Dietrich, remplit les trois derniers volumes de la collection. Toutes les aventures concernant Dietrich, qui ne sont pas comprises dans les Nibelûngen ni dans le Petit Livre des Héros, mais dont on retrouve la trace dans l’Edda, ainsi que dans la Vilkina Saga, ont été habilement reproduites par M. Simrock, dans des poëmes nouveaux dont il est l’auteur original, tels que Wieland le Forgeron et Wittich, fils de Wieland. Dans ces deux poëmes, la mythologie du Nord joue un rôle principal, et ajoute encore à l’intérêt de la tradition. Trois autres volumes, dont le dernier seul n’a point paru, achèveront ce monument élevé à l’épopée allemande.

Une traduction en langue française de ce vaste ouvrage de M. Karl Simrock serait non-seulement un travail utile pour nos érudits, mais encore un sujet d’étude fructueuse pour nos littérateurs sérieux et pour nos poètes. Malgré l’opportunité d’un tel travail, au point de vue de la science philologique et de l’histoire, il est à craindre que la France n’en soit encore long-temps privée. Une version intelligente des Nibelûngen et de Gûdrûn serait un vrai service rendu aux bonnes lettres et aux saines études. Ces épopées réclament leur droit de cité chez nous à côté de l’Iliade, de l’Odyssée, de l’Enéide, de la Jérusalem délivrée, des Lusiades, de toutes ces œuvres originales qui ont obtenu tour à tour, pour la conserver à jamais, une consécration glorieuse dans l’admiration sympathique de la France.


  1. Alors M. le comte de Salvandy.