Poèmes antiques et modernes/Le Déluge

Poèmes antiques et modernes, Texte établi par Edmond Estève, Hachette (p. 74-91).


LE DÉLUGE

mystère[1]
Serait-il dit que vous fassiez mourir le Juste avec le méchant ?
Genèse[2].


Dédicace : A-C3, À M. Émile Deschamps.

Épigraphe : P2, A-C2, Sera-t-il dit — P2, A-C3 le juste


I

La Terre était riante et dans sa fleur première[3] ;
Le jour avait encor cette même lumière

Qui du Ciel embelli couronna les hauteurs
Quand Dieu la fit tomber de ses doigts créateurs.
Rien n’avait dans sa forme altéré la nature,
Et des monts réguliers l’immense architecture
S’élevait jusqu’aux Cieux par ses degrés égaux,
Sans que rien de leur chaîne eût brisé les anneaux.
La forêt, plus féconde, ombrageait, sous ses dômes,
Des plaines et des fleurs les gracieux royaumes,
Et des fleuves aux mers le cours était réglé
Dans un ordre parfait qui n’était pas troublé.
Jamais un voyageur n’aurait, sous le feuillage,
Rencontré, loin des flots, l’émail du coquillage[4],
Et la perle habitait son palais de cristal :
Chaque trésor restait dans l’élément natal,
Sans enfreindre jamais la céleste défense ;
Et la beauté du monde attestait son enfance[5] ;
Tout suivait sa loi douce et son premier penchant,
Tout était pur encor. Mais l’homme était méchant.



Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres,
Avaient vu jusqu’au fond des sciences obscures ;

Les mortels savaient tout, et tout les affligeait ;
Le prince était sans joie ainsi que le sujet ;
Trente religions avaient eu leurs prophètes,
Leurs martyrs, leurs combats, leurs gloires, leurs défaites.
Leur temps d’indifférence et leur siècle d’oubli ;
Chaque peuple, à son tour dans l’ombre enseveli.
Chantait languissamment ses grandeurs effacées :
La mort régnait déjà dans les âmes glacées[6] :
Même plus haut que l’homme atteignaient ses malheurs.
D’autres êtres cherchaient ses plaisirs et ses pleurs.
Souvent, fruit inconnu d’un orgueilleux mélange,
Au sein d’une mortelle on vit le fils d’un Ange[7][8][9].
Le crime universel s’élevait jusqu’aux cieux[10].
Dieu s’attrista lui-même et détourna les yeux.



Et cependant, un jour, au sommet solitaire
Du mont sacré d’Arar, le plus haut de la Terre,
Apparut une vierge et près d’elle un pasteur :
Tous deux nés dans les champs, loin d’un peuple imposteur[11],
Leur langage était doux, leurs mains étaient unies
Comme au jour fortuné des unions bénies[12] ;

Ils semblaient, en passant sur ces monts inconnus,
Retourner vers le Ciel dont ils étaient venus ;
Et sans l’air de douleur, signe que Dieu nous laisse,
Rien n’eût de leur nature indiqué la faiblesse.
Tant les traits primitifs et leur simple beauté
Avaient sur leur visage empreint de majesté.



Quand du mont orageux ils touchèrent la cime,
La campagne à leurs pieds s’ouvrit comme un abîme.
C’était l’heure où la nuit laisse le Ciel au jour[13] :
Les constellations pâlissaient tour à tour ;
Et, jetant à la terre un regard triste encore[14].
Couraient vers l’Orient se perdre dans l’aurore,
Comme si pour toujours elles quittaient les yeux
Qui lisaient leur destin sur elles dans les Cieux[15].
Le Soleil, dévoilant sa figure agrandie.
S’éleva sur les bois comme un vaste incendie ;
Et la Terre aussitôt, s’agitant longuement,
Salua son retour par un gémissement[16].
Réunis sur les monts, d’immobiles nuages
Semblaient y préparer l’arsenal des orages ;
Et sur leurs fronts noircis qui partageaient les Cieux

Luisait incessamment l’éclair silencieux[17].
Tous les oiseaux, poussés par quelque instinct funeste,
S’unissaient dans leur vol en un cercle céleste ;
Comme des exilés qui se plaignent entre eux,
Ils poussaient dans les airs de longs cris douloureux[18][19].



La Terre cependant montrait ses lignes sombres
Au jour pâle et sanglant qui faisait fuir les ombres[20] ;
Mais, si l’homme y passait, on ne pouvait le voir :
Chaque cité semblait comme un point vague et noir,
Tant le mont s’élevait à des hauteurs immenses !
Et des fleuves lointains les faibles apparences
Ressemblaient au dessin par le vent effacé
Que le doigt d’un enfant sur le sable a tracé.



Ce fut là que deux voix, dans le désert perdues,
Dans les hauteurs de l’air avec peine entendues,
Osèrent un moment prononcer tour à tour
Ce dernier entretien d’innocence et d’amour[21] :


— « Comme la Terre est belle en sa rondeur immense !
La vois-tu qui s’étend jusqu’où le Ciel commence ?
La vois-tu s’embellir de toutes ses couleurs ?
Respire un jour encor le parfum de ses fleurs,
Que le vent matinal apporte à nos montagnes.
On dirait aujourd’hui que les vastes campagnes
Élèvent leur encens, étalent leur beauté,
Pour toucher, s’il se peut, le Seigneur irrité[22].
Mais les vapeurs du Ciel, comme de noirs fantômes,
Amènent tous ces bruits, ces lugubres symptômes
Oui devaient, sans manquer au moment attendu,
Annoncer l’agonie à l’Univers perdu[23][24].
Viens, tandis que l’horreur partout nous environne,
Et qu’une vaste nuit lentement nous couronne,
Viens, ô ma bien-aimée ! et, fermant tes beaux yeux.
Qu’épouvante l’aspect du désordre des Cieux[25],
Sur mon sein, sous mes bras repose encor ta tête.
Comme l’oiseau qui dort au sein de la tempête[26] ;
Je te dirai l’instant où le Ciel sourira,
Et durant le péril ma voix te parlera. »

La vierge sur son cœur pencha sa tête blonde ;
Un bruit régnait au loin, pareil au bruit de l’onde :

Mais tout était paisible et tout dormait dans l’air ;
Rien ne semblait vivant, rien, excepté l’éclair[27].
Le pasteur poursuivit d’une voix solennelle :
« Adieu, Monde sans borne, ô Terre maternelle !
Formes de l’horizon, ombrages des forêts.
Antres de la montagne, embaumés et secrets ;
Gazons verts, belles fleurs de l’Oasis chérie,
Arbres, rochers connus, aspects de la patrie !
Adieu ! tout va finir, tout doit être effacé[28],
Le temps qu’a reçu l’homme est aujourd’hui passé,
Demain rien ne sera. Ce n’est point par l’épée,
Postérité d’Adam, que tu seras frappée,
Ni par les maux du corps ou les chagrins du cœur
Non, c’est un élément qui sera ton vainqueur.
La Terre va mourir sous des eaux éternelles[29],
Et l’Ange en la cherchant fatiguera ses ailes.
Toujours succédera, dans l’Univers sans bruits[30],
Au silence des jours le silence des nuits[31].

L’inutile Soleil, si le matin l’amène,
N’entendra plus la voix et la parole humaine ;
Et quand sur un flot mort sa flamme aura relui,
Le stérile rayon remontera vers lui[32].
Oh ! pourquoi de mes yeux a-t-on levé les voiles[33] ?
Comment ai-je connu le secret des étoiles ?
Science du désert, annales des pasteurs !
Cette nuit, parcourant vos divines hauteurs
Dont l’Égypte et Dieu seul connaissent le mystère,
Je cherchais dans le Ciel l’avenir de la Terre ;
Ma houlette savante, orgueil de nos bergers,
Traçait l’ordre éternel sur les sables légers,
Comparant, pour fixer l’heure où l’étoile passe.
Les cailloux de la plaine aux lueurs de l’espace[34][35].



« Mais un Ange a paru dans la nuit sans sommeil ;
Il avait de son front quitté l’éclat vermeil.
Il pleurait, et disait dans sa douleur amère :
« Que n’ai-je pu mourir lorsque mourut ta mère !

» J’ai failli, je l’aimais. Dieu punit cet amour,
» Elle fut enlevée en te laissant au jour.
» Le nom d’Emmanuel que la Terre te donne,
» C’est mon nom. J’ai prié pourvue Dieu te pardonne ;
» Va seul au mont Arar, prends ses rocs pour autels,
» Prie, et seul, sans songer au destin des mortels,
» Tiens toujours tes regards plus hauts que sur la Terre ;
» La mort de l’Innocence est pour l’homme un mystère[36] ;
» Ne t’en étonne pas, n’y porte pas tes yeux[37] ;
» La pitié du mortel t’est point celle des Cieux.
» Dieu ne fait point de pacte avec la race humaine ;
» Qui créa sans amour fera périr sans haine[38].
» Sois seul, si Dieu m’entend, je viens. » Il m’a quitté ;
Avec combien de pleurs, hélas ! l’ai-je écouté !
J’ai monté sur l’Arar, mais avec une femme[39]. »

Sara lui dit : « Ton âme est semblable à mon âme,
Car un mortel m’a dit : « Venez sur Gelboë,
» Je me nomme Japhet, et mon père est Noë.
» Devenez mon épouse, et vous serez sa fille ;
» Tout va périr demain, si ce n’est ma famille[40]. »

Et moi je l’ai quitté sans avoir répondu,
De peur qu’Emmanuel n’eût longtemps attendu[41]. »
Puis tous deux embrassés, ils se dirent ensemble :
« Ah ! louons l’Éternel, il punit, mais rassemble ! »
Le tonnerre grondait ; et tous deux à genoux
S’écrièrent alors : « Ô Seigneur, jugez-nous ! »

II


Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent.
Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent,
Et du sombre horizon dépassant la hauteur.
Des vengeances de Dieu l’immense exécuteur,
L’Océan apparut. Bouillonnant et superbe,
Entraînant les forêts comme le sable et l’herbe,
De la plaine inondée envahissant le fond.
Il se couche en vainqueur dans le désert profond[42],
Apportant avec lui comme de grands trophées
Les débris inconnus des villes étouffées.
Et là bientôt plus calme en son accroissement.
Semble, dans ses travaux, s’arrêter un moment,
Et se plaire à mêler, à briser sur son onde
Les membres arrachés au cadavre du Monde.

Ce fut alors qu’on vit des hôtes inconnus
Sur des bords étrangers tout à coup survenus ;
Le cèdre jusqu’au Nord vint écraser le saule ;
Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle,
Heurtèrent l’éléphant près du Nil endormi[43],
Et le monstre, que l’eau soulevait à demi,
S’étonna d’écraser, dans sa lutte contre elle.
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers.
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers ;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
Regrettant ses roseaux et ses sables arides.
Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert.
Et jusqu’au vent de flamme exilé du désert.



Dans l’effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature ;
195 Les animaux n’osaient ni ramper ni courir.
Chacun d’eux résigné se coucha pour mourir[44].

En vain fuyant aux Cieux[45] l’eau sur ses rocs venue,
L’aigle tomba des airs, repoussé par la nue[46].
Le péril confondit tous les êtres tremblants.
L’homme seul se livrait à des projets sanglants.
Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre.
Se disputaient longtemps les restes de la Terre[47] :
Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis
Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis.
Alors un ennemi plus terrible que l’onde
Vint achever partout la défaite du Monde ;
La faim de tous les cœurs chassa les passions :
Les malheureux, vivants après leurs nations,
N’avaient qu’une pensée, effroyable torture,
L’approche de la mort, la mort sans sépulture.
On vit sur un esquif, de mers en mers jeté.
L’œil affamé du fort sur le faible arrêté[48] ;

Des femmes, à grands cris insultant la nature,
Y réclamaient du sort leur humaine pâture ;
L’athée, épouvanté de voir Dieu triomphant.
Puisait un jour de vie aux veines d’un enfant ;
Des derniers réprouvés telle fut l’agonie.
L’amour survivait seul à la bonté bannie ;
Ceux qu’unissaient entre eux des serments mutuels,
Et que persécutait la haine des mortels.
S’offraient ensemble à l’onde avec un front tranquille[49],
Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile[50].



Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas.
Pour sauver ses enfants l’Ange ne venait pas ;
En vain le cherchaient-ils, les vents et les orages
N’apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages.



Cependant sous les flots montés également
Tout avait par degrés disparu lentement :
Les cités n’étaient plus, rien ne vivait, et l’onde
Ne donnait qu’un aspect à la face du monde[51].

Seulement quelquefois sur l’élément profond
Un palais englouti montrait l’or de son front ;
Quelques dômes, pareils à de magiques îles,
Restaient pour attester la splendeur de leurs villes[52].
Là parurent encore un moment deux mortels :
L’un la honte d’un trône, et l’autre des autels ;
L’un se tenant au bras de sa propre statue.
L’autre au temple élevé d’une idole abattue.
Tous deux jusqu’à la mort s’accusèrent en vain
De l’avoir attirée avec le flot divin[53].
Plus loin, et contemplant la solitude humide,
Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide[54].
Dans l’immense tombeau, s’était d’abord sauvé
Tout son peuple ouvrier qui l’avait élevé[55] :
Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes.
Avait tout arraché du fond des catacombes :
Les mourants et leurs Dieux, les spectres immortels.
Et la race embaumée, et le sphinx des autels[56],
Et ce roi fut jeté sur les sombres momies
Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies.
Expirant, il gémit de voir à son côté
Passer ces demi-Dieux sans immortalité[57],

Dérobés à la mort, mais reconquis par elle
Sous les palais profonds de leur tombe éternelle ;
Il eut le temps encor de penser une fois
Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois,
Qu’un seul jour désormais comprendrait leur histoire.
Car la postérité mourait avec leur gloire.



L’arche de Dieu passa comme un palais errant.
Le voyant assiégé par les flots du courant,
Le dernier des enfants de la famille élue
Lui tendit en secret sa main irrésolue,
Mais d’un dernier effort : « Va-t’en, lui cria-t-il,
De ton lâche salut je refuse l’exil ;
Va, sur quelques rochers qu’aura dédaignés l’onde,
Construire tes cités sur le tombeau du monde ;
Mon peuple mort est là, sous la mer je suis roi.
Moins coupables que ceux qui descendront de toi,
Pour étonner tes fils sous ces plaines humides,
Mes géants[58] glorieux laissent les pyramides[59] ;
Et sur le haut des monts leurs vastes ossements,
De ces rivaux du Ciel terribles monuments,
Trouvés dans les débris de la terre inondée[60],

Viendront humilier ta race dégradée[61]. »
Il disait, s’essayant par le geste et la voix
À l’air impérieux des hommes qui sont rois,
Quand, roulé sur la pierre et touché par la foudre,
Sur sa tombe immobile, il fut réduit en poudre[62].



Mais sur le mont Arar l’Ange ne venait pas ;
L’eau faisait sur les rocs de gigantesques pas.
Et ses flots rugissants vers le mont solitaire[63]
Apportaient avec eux tous les bruits du tonnerre.



Enfin le fléau lent qui frappait les humains
Couvrit le dernier point des œuvres de leurs mains[64] ;
Les montagnes, bientôt par l’onde escaladées.
Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées.
Le volcan s’éteignit, et le feu périssant
Voulut en vain y rendre un combat impuissant ;
À l’élément vainqueur il céda le cratère,
Et sortit en fumant des veines de la Terre[65].

III


Rien ne se voyait plus, pas même des débris ;
L’univers écrasé ne jetait plus ses cris.
Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages,
On vit se disperser l’épaisseur des orages ;
Et les rayons du jour, dévoilant leur trésor,
Lançaient jusqu’à la mer des jets d’opale et d’or ;
La vague était paisible, et molle et cadencée.
En berceaux de cristal mollement balancée ;
Les vents, sans résistance, étaient silencieux ;
La foudre, sans échos, expirait dans les cieux ;
Les cieux devenaient purs, et, réfléchis dans l’onde.
Teignaient d’un azur clair l’immensité profonde.



Tout s’était englouti sous les flots triomphants.
Déplorable spectacle ! excepté deux enfants.
Sur le sommet d’Arar tous deux étaient encore.
Mais par l’onde et les vents battus depuis l’aurore.
Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin,
La vierge était tombée aux bras de l’orphelin ;
Et lui, gardant toujours sa tête évanouie,
Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie[66].
Cependant, lorsqu’enfin le soleil renaissant

Fit tomber un rayon sur son front innocent,
Par la beauté du jour un moment abusée,
Comme un lis abattu, secouant la rosée[67],
Elle entr’ouvrit les yeux et dit : « Emmanuel !
Avons-nous obtenu la clémence du Ciel[68] ?
J’aperçois dans l’azur la colombe qui passe,
Elle porte un rameau ; Dieu nous a-t-il fait grâce ?
— La colombe est passée et ne vient pas à nous.
— Emmanuel, la mer a touché mes genoux.
— Dieu nous attend ailleurs à l’abri des tempêtes.
— Vois-tu l’eau sur nos pieds ? — Vois le ciel sur nos têtes,
— Ton père ne vient pas ; nous serons donc punis ?
— Sans doute après la mort nous serons réunis[69].
— Venez, Ange du ciel, et prêtez-lui vos ailes !
— Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles ! »



Ce fut le dernier cri du dernier des humains.
Longtemps, sur l’eau croissante élevant ses deux mains.
Il soutenait Sara par les flots poursuivie ;
Mais, quand il eut perdu sa force avec la vie.
Par le ciel et la mer le monde fut rempli,
Et l’arc-en-ciel brilla, tout étant accompli[70].


Écrit à Oloron, dans les Pyrénées, en 1823[71].

    sommet que Sémin, jeune homme généreux, avait sauvé Sémire sa bien-aimée : deux tendres amants qui venaient de se jurer un amour éternel.

  1. Ce sous-titre, comme celui d’Éloa (voir p. 20) est emprunté à Byron, dont le drame biblique Ciel et Terre, mystère, est une des principales sources du Déluge. — Il est bon de se rappeler, en lisant le poème, que Vigny admirait fort le Déluge du Poussin, et que ce tableau était familier à sa mémoire : « Ce beau et réel talent de compositeur [il s’agit de Berlioz] semble surtout, en musique, ce qu’est celui d’un sombre paysagiste en peinture. En l’écoutant, je songe toujours involontairement au Déluge du Poussin. » (Lettre au comte d’Orsay, du 50 janvier 1848, citée par M. E. Dupuy, R. des D. M., 15 avril 1911, p. 858). — Il ne faut pas oublier non plus que la pièce devait être primitivement dédiée « aux mânes de Girodet » dont le tableau représentant une Scène du Déluge avait obtenu le grand prix décennal en l’an X. (Voir à l’Appendice le fragment intitulé : La Beauté Idéale). — On notera enfin que tel ou tel trait descriptif a pu être suggéré à Vigny par un orage qu’il avait vu, en septembre 1823, dans les Pyrénées, et dont le souvenir est évoqué d’une manière beaucoup plus précise dans le ch. XXII de Cinq-Mars.
  2. Genèse, XVIII, 22-23 : Alors deux de ces hommes partirent de là et s’en allèrent à Sodome : mais Abraham demeura encore devant le Seigneur ; Et, s’approchant, il lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ?
  3. Moore, Les Amours des Anges, début (traduction Belloc, 1823, p. 13) : Le monde était dans sa fleur ; les étoiles brillantes venaient de commencer leur course radieuse, et le temps, jeune alors, comptait ses premiers jours par le soleil… C’était avant le règne de la douleur, avant que le péché eût étendu son voile sombre entre l’homme et les cieux. La terre était alors plus près du ciel que dans ces jours de crime et de désolation… — Directement ou non, le premier vers du poème parait dériver d’un vers de Lucrèce, De natura reruin, v. 940 : novitas tum florida mundi…
  4. Byron, Ciel et Terre, sc. 3 : La vague se brisera sur vos rochers, et les coquillages, les petits coquillages, les moindres créatures de l’océan, seront déposés là où maintenant habite la progéniture de l’aigle.
  5. Var : P2, A-C2 Monde
  6. Var : B-C3, Mort
  7. Les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes celles qui leur avaient plu. (Gen., chap. vi, v. 2.)
  8. Byron, Manfred, III, 2 et 4, et Moore, Am. des Anges, passim.
  9. Var : P2, A-C2, de l’Ange.
  10. Var : P2, A-C2, Cieux.
  11. Var : A-C2, loin d’un peuple imposteur,
  12. Gessner, Tableau du Déluge (trad. Huber) : Le front sourcilleux d’un rocher s’élevait seul encore du fond des eaux… C’est sur ce
  13. Var : P2, A-C1, ciel
  14. Var : P2, A-C2, Terre
  15. Var : P2, cieux
  16. Byron, C. et T., sc. 3 : La terre geint comme sous un pesant fardeau.
  17. Byron, C. et T., sc. 3 : Les nuages reprennent les teintes de la nuit, sauf là où leurs bords bronzés rayent l’horizon sur lequel se levaient d’ordinaire de plus brillantes aurores. — Et voyez ce jet de lumière, messager du tonnerre lointain, qui apparaît là-bas !
  18. Byron, C. et T., sc. 3 : Entendez ! Entendez ! les oiseaux de mer crient ! Ils couvrent de leurs nuées le ciel blafard, et planent autour de la montagne… Et les oiseaux crient leur angoisse dans l’air.
  19. Entre 68 et 69, P2, A, B, ni filet ni fleuron.
  20. Byron, C. et T., sc. 3 : Au lieu du soleil une pâle et sinistre lueur a enveloppé l’atmosphère mourante. — Ténèbres : La terre glacée se balançait sombre et noirâtre dans l’atmosphère sans lune.
  21. Entre 80 et 81, P2, A, ni filet ni fleuron.
  22. Entre 88 et 89, P2, A, B, un blanc de deux on quatre lignes, C1, d’une ligne.
  23. Byron, C. et T., sc. 5 : Écoutez ! Écoutez ! déjà nous pouvons entendre la voix des sombres vagues de l’océan qui monte ; les vents, eux aussi, préparent leurs ailes rapides ; les nuages ont bientôt rempli leurs réservoirs ; les cataractes de l’abîme vont s’ouvrir, et le ciel va lâcher ses écluses ; tandis que l’humanité voit, sans les comprendre, tous ces redoutables signes.
  24. Var : P2, univers
  25. Var : P2, B, cieux
  26. Chateaubriand, Génie, 1er partie, livre V, ch. 5 : Ainsi quand nous voyons à l’entrée de la nuit, pendant l’hiver, des corbeaux perchés sur la cime dépouillée de quelque chêne,… plus ils sont bercés par les orages, plus ils dorment profondément.
  27. Entre 104 et 105, P2, A-C3, un filet ou fleuron.
  28. Byron, C. et T., sc. 3 : Solitudes, qui paraissez éternelles, et toi, caverne qui sembles sans fond, et vous, montagnes si variées et si terribles dans votre beauté… Monde magnifique, si jeune, et voué à la destruction, c’est le cœur déchiré que je te contemple, jour après jour, nuit après nuit, ces jours et ces nuits qui sont comptés.
  29. Var : P2, A-C3, Ta Terre
  30. Var : P2, A-C1, univers
  31. Byron, C. et T., sc. 3 : Réjouissons-nous ! La race abhorrée qui n’a pu garder son haut rang dans l’Éden, mais qui a écouté la voix de la science impuissante, touche à l’heure de la mort ! Ce n’est pas lentement, ce n’est pas un a un, ce n’est pas par l’épée, ni par le chagrin, ni sous les années, ni par le déchirement du cœur, ni sous l’action minante du temps qu’ils doivent succomber ! Voici leur dernier lendemain ! La terre sera l’Océan ! et aucun souffle, sauf celui des vents, ne passera sur les flots sans limites ! Les anges fatigueront leurs ailes sans trouver un lieu où se poser… Un autre élément sera le maître de la vie… Et à l’universelle clameur de l’humanité succédera l’universel silence. — Byron parait ici se souvenir de deux vers d’Ovide, Métam., l, 307-308, qu’on trouvera cités plus loin, p. 85, n. 1.
  32. Byron, C. et T., sc. 5 : … un globe sur lequel le soleil se lèvera et n’échauffera pas de vie.
  33. Var : P2, A, Ô pourquoi
  34. Bailly, Histoire de l’Astronomie ancienne, Paris, 1775, l. III, De l’Astronomie antédiluvienne, § VII : Les hommes ont mené longtemps une vie errante et pastorale. C’est dans leurs courses, dans leurs veilles souvent nécessaires, que l’Astronomie a été fondée par des observations peut-être grossières, mais qui furent la base des premières déterminations. Avant l’écriture alphabétique, ils avaient des signes hiéroglyphiques, de quelque espèce qu’ils fussent, pour désigner les faits dont ils voulaient laisser la mémoire. Ils s’en servaient pour écrire leurs observations. Leurs registres étaient des pierres sur lesquelles ces observations étaient gravées, et qu’ils laissaient dans le lieu même où ils avaient observé. Ensuite, après de longues années, lorsque le hasard ou le besoin les ramenait, eux ou leurs descendants, au même lieu, les nouvelles observations étaient comparées aux anciennes.
  35. Entre 154 et 155, P2, A-C1, ni filet ni fleuron.
  36. Var : P2-, A-C2, innocence
  37. Var : D, les yeux
  38. Gessner, Tableau du Déluge : Ô Dieu, pardonne : nous mourons. Qu’est-ce que l’innocence de l’homme devant toi ?… — Relève ton courage. Une éternité de bonheur nous attend au-delà de cette vie… Oui, ma chère Sémire, élevons nos mains vers Dieu. Est-ce à des mortels de juger de ses voies ? Celui dont le souffle nous a animés envoie la mort aux justes et aux injustes. Mais heureux celui qui a marché dans le sentier de la vertu.
  39. Var : V2, auprès d’une femme.
  40. De même, dans C. et T., Japhet voudrait épouser Anah et la sauver avec lui : Plût à Dieu… que la dernière et la plus aimable ides filles de Caïn pût entrer dans l’Arche qui recevra le reste de la race de Seth ! (sc. 3).
  41. Var : P2, Parce que plus longtemps tu m’aurais attendu.
  42. Byron, C. et T., sc. 3 : On fuirons-nous ? Pas sur les hautes montagnes, car maintenant leurs torrents se ruent, avec un double mugissement, à la rencontre de l’océan, qui, avançant toujours, étreint déjà et submerge chaque colline, et ne laisse pas de caverne qu’il ne fouille… Les océans en furie rompent toute barrière, jusqu’à ce que les déserts mêmes ne connaissent plus la soif.
  43. Bernardin de St-Pierre, Études de la Nature, IVe étude (description du déluge) : Ce fut alors que tous les plans de la nature furent renversés. Des îles entières de glaces flottantes, chargées d’ours blancs, vinrent s’échouer parmi les palmiers de la zone torride ; et les éléphants de l’Afrique furent roulés jusque dans les sapins de la Sibérie, où l’on retrouve encore leurs grands ossements. — Le trait se retrouve dans Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. IV, ch. 4, Du Déluge : Les dépouilles de l’éléphant des Indes s’entassèrent dans les régions de la Sibérie. — C’est une variante du thème posé par Ovide, Métam., I, 299-300 :

    Et modo qua graciles gramen carpsere capellae,
    Nunc ibi déformes ponunt sua corpora phocae.

  44. Byron, C. et T., sc. 5 : Les bêtes elles-mêmes, dans leur désespoir, cesseront de dévorer l’homme et de se dévorer entre elles, et le tigre rayé se couchera pour mourir à côté de l’agneau, comme s’il était son frère… — Le même détail se trouve dans Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. IV, ch. 4, Du Déluge. — Souvenir d’Ovide, Métam., I, 304-505 :

    Nat lupus inter oves ; fulvos vehit unda leones,
    Unda vehit tigres.

  45. Var : P2, cieux
  46. Byron, C. et T., sc. 3 : Comme il criera [l’aigle] en planant sur la mer impitoyable… Ses ailes ne sauraient le sauver : où pourrait-il les reposer quand toute l’immensité n’offre rien à sa vue que l’abîme, son tombeau ? — Chateaubriand, Génie, Du Déluge : L’oiseau même, chassé de branche en branche par le flot toujours croissant, fatigua inutilement ses ailes sur des plaines d’eau sans rivages. — C’est encore une réminiscence d’Ovide, Métam., I. 307-308 :

    Quæsitisque diu terris ubi sidere detur,
    In mare lassatis volucris vaga decidit alis.

  47. Byron, Les Ténèbres : Les animaux les plus féroces devinrent doux et tremblants… Et la Guerre, qui pour un temps avait cessé, s’assouvit de nouveau…
  48. Byron, Les Ténèbres : Les hommes oubliaient leurs passions dans l’épouvante de cette désolation… On achetait un repas avec du sang ;… il n’y avait plus d’amour ; toute la terre n’avait qu’une pensée, et cette pensée, c’était la mort immédiate et sans gloire ; et les tortures de la faim déchiraient toutes les entrailles ; les hommes mouraient, et leurs os restaient sans sépulture comme leur chair ; le maigre était dévoré par le maigre.
  49. Var : P2, A, B, d’eux-même C1, d’eux-mêmes (vers faux).
  50. Bernardin de Saint-Pierre, pass. cité (par opposition) : Au désordre des cieux, l’homme désespéra du salut de la terre. Ne pouvant trouver en lui-même la dernière consolation de la vertu, celle de périr sans être coupable, il chercha au moins à finir ses derniers moments dans le sein de l’amour et de l’amitié. Mais dans ce siècle criminel où tous les sentiments naturels étaient éteints, l’ami repoussa son ami, la mère son enfant, l’époux son épouse.
  51. Ovide, Métam., I, 291-292, et I, 6 :

    Jamque mare et tellus nullum discrimen habebant :
    Omnia pontus erat…
    Unus erat toto natura ; vultus in orbe.

  52. Bernardin de Saint-Pierre, pass. cité : Tout fut englouti dans les eaux, cités, palais, majestueuses pyramides, arcs de triomphe chargés des trophées des rois…
  53. Byron, Les Ténèbres : D’une immense cité il ne survécut que deux hommes, et c’étaient deux ennemis…
  54. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. I, ch. 3 : Il semble aux hommes qu’en entassant tombeaux sur tombeaux ils cacheront ce vice capital de leur nature, qui est de durer peu… Mais ils se trahissent eux-mêmes…, car plus la pyramide funèbre est élevée, plus la statue vivante placée au sommet diminue, et la vie paraît encore bien plus petite quand l’énorme fantôme de la mort l’exhausse dans ses bras.
  55. Var : P2, Tout son peuple, ouvrier qui l’avait élevé.
  56. Var : P2, A, Sphinx
  57. Var : D, ses demi-Dieux
  58. Or, il y avait des géants sur la terre. Car, depuis que les fils de Dieu eurent épousé les filles des hommes, il en sortit des enfants fameux et puissants dans le siècle. (Genèse, ch. vi, v. 4.)
  59. Byron, C. et T., sc. 5 : Mais les mêmes tempêtes morales submergeront l’avenir, comme les vagues dans quelques heures les tombeaux des glorieux géants. — Byron cite en note le même verset de la Genèse auquel renvoie Vigny.
  60. Var : P2, A, Terre
  61. Byron, C. et T., sc, 3 : Ton nouveau monde et sa nouvelle race seront voués au malheur. Les hommes seront moins beaux à voir et moins riches en années que les glorieux géants qui aujourd’hui parcourent orgueilleusement le monde, fils du Ciel par maintes unions terrestres.
  62. Var : P2, A, Sur sa tombe immobile il fut réduit en poudre
  63. Var : P2, A, rugissant
  64. Chateaubriand, Du Déluge : Le reste des êtres vivants… gagnèrent tous ensemble la roche la plus escarpée du globe : l’Océan les y suivit, et, soulevant autour d’eux sa menaçante immensité, fit disparaître sous ses solitudes orageuses le dernier point de la terre.
  65. Chateaubriand, Du Déluge : Les volcans s’éteignirent en vomissant de tumultueuse fumées, et l’un des quatre éléments, le feu, périt avec la lumière.
  66. Gessner, Tableau du Déluge : Ils étaient seuls, les flots avaient englouti tout le reste ; ils étaient seuls, au milieu de l’orage et des vents furieux… Sémire pressa son amant contre son cœur palpitant ; des larmes, mêlées avec les gouttes de la pluie, ruisselaient le long de ses joues pâles… Les bras défaillants de Sémin serrèrent la jeune fille évanouie ; ses lèvres tremblantes se turent ; il ne voyait plus la destruction d’alentour ; il ne voit que son amante évanouie penchée sur son sein… Il baisa ses joues pâles, lavées par l’eau froide de la pluie…
  67. Var : P2, lys
  68. Var : P2, A, B, ciel
  69. Gessner, Tableau du Déluge : Loue le Seigneur, ô ma bouche ! versez des larmes de joie, mes yeux, jusqu’à ce que la mort vienne vous fermer ! Un ciel plein de béatitude nous attend. Vous nous y avez précédés, ô vous tous qui nous étiez si chers ! Nous vous suivrons, et bientôt nous vous y reverrons.
  70. Byron, Les Ténèbres (traduction de Bruguière de Sorsum, Lycée Français, octobre 1819) :
    Le temps enfin s’arrête, et tout est consommé.
  71. La date manque dans P2.