(p. 25-27).

III

VISITE

J’avais souvent rêvé, quand j’étais seul et triste,
Dans les grands bois muets qu’envahissait le soir,
Qu’une fois vous pourriez paraître à l’improviste
Pour rêver avec moi, car vous êtes artiste,
Et pour m’aimer un peu…, seulement par devoir,
Afin de ne me pas causer de désespoir.

Je vous aurais conté quelle était ma tendresse,
Combien j’avais souffert, quatre mois, loin de vous,
Ces nuits de désespoir où, sentant ma jeunesse
Se briser dans mon cœur avide de caresses,
J’assemblais devant moi des souvenirs bien doux
Et là, comme un enfant, je priais à genoux.

Je ne priais point Dieu, je vous priais, amie,
La foi de ma raison n’apaise point mon cœur !
Pour lutter jusqu’au bout sur la route de vie,
Il me faut le baiser d’une bouche chérie,
Il me faut le miroir de deux grands yeux charmeurs
Où se glisse un reflet d’harmonieux bonheur,
Il me faut cette voix douce qui dit : « Je t’aime.
« Je crois ce que tu crois, je veux ce que tu veux.
« Si le méchant te hait, qu’importe son blasphème,
« Qu’importe, ô mon ami, je te suivrai quand même,
« Je verserai l’espoir dans ton cœur radieux
« Pour vaincre ou pour souffrir, enfin, nous serons deux. »

Et je vous aurais dit bien des choses encore
Et vous auriez compris, si vous aviez souffert,
Si vous aviez senti, lorsque la pâle aurore
Enveloppe les lys aux boutons près d’éclore,
Quand les rayons légers baignent les rameaux verts,
Un désir effleurer votre cœur entr’ouvert !

Or, comme je l’avais rêvé dans mon idylle,
Vous vîntes voir les lieux où j’étais exilé,
L’automnale splendeur de mes grands bois tranquilles,
Mais au soleil couchant vous partiez pour la ville,
Ne laissant à mes yeux qu’un souvenir ailé ;
De mon amour, hélas, je n’avais point parlé !


Et si par les sentiers jonchés de feuilles mortes,
Sous les tremblants berceaux de feuillages dorés,
Je vous parus, hélas, rêveur d’étrange sorte,
C’est que ma passion d’alors était trop forte !
Le secret de mon cœur, vous l’avez ignoré :
J’ai souri devant vous. Loin de vous j’ai pleuré.