Poèmes (Canora, 1905)/Röslein

(p. 128-133).


RÖSLEIN


« La petite rose dit : je te meurtris parce que tu penses trop à moi. »
(Chanson allemande.)


 
Où t’en vas-tu, dis-moi, poète qui soupires,
Quand le jeune printemps fleurit sous le ciel clair,
Le vent lourd de muguets qui traverse les airs,
Fait vibrer les hauts peupliers comme des lyres.

Dans les enclos, poiriers tout blancs, roses pommiers
Neigent sur tes grands lys aux soyeuses corolles ;
Chaque buisson des champs veut fleurir le premier,
L’alouette au soleil monte, comme une folle.

 

Jette les lourds regrets qui pressent ton cœur las,
Comme des rameaux morts, aux flots profonds du fleuve,
Et renouvelle-toi parmi les choses neuves.
Les vierges alentour cueillent de frais lilas.

Suis ces vierges, ami, car il en est d’exquises
Dont la bouche est rieuse et vermeille aux baisers ;
L’une d’elles saura t’étreindre et te griser
Des caresses d’amour qu’elle t’aura promises.

Sur sa beauté charmeuse épuise ton désir,
De son âme d’enfant fais ton plus cher asile
Et, quand tu revivras, vainqueur du souvenir,
Relève ton front jeune et retourne à la ville.

Là, tu diras l’orgueil des âpres conquérants,
La honte du carnage et des cris déchirants ;
Dans le silence frais des tranquilles vallées,
Les râles douloureux des femmes affolées
Et des mères, tordant leurs bras vers l’infini,
Tu chanteras la paix, les Dieux cruels bannis,
Heureux de révéler aux nations humaines
La splendeur des moissons qui germent dans les plaines,

 
Et, s’il te souvenait de tes pleurs superflus,
Tu souriras, alors, et ne comprendras plus.

Passant, je cherche une rose,
Cette rose, que je vis
Dans un grand jardin, jadis,
Au printemps éclose…

Une femme que j’aimais
Me dit : « penche-toi sur elle,
 « Il faut une fleur si belle
 « N’oublier jamais !

 « Respire la douce haleine
 « Qui fait rêver et pâlir,
 « Adore la jeune reine
 « Mais sans la cueillir ! »

J’effleurais ses plis fragiles,
J’en respirais la senteur
Quand sa volupté subtile
Glissa dans mon cœur.

 

Ô ma rose bien-aimée
Que je n’ai pu recevoir
En mes mains toutes pâmées,
Je veux te revoir.

Sans toi j’ai repris ma route,
L’âme triste, les yeux clos,
Le cœur dévoré de doutes,
Grevant de sanglots…

Que m’importent les fleurettes,
Étoiles des verts buissons,
Je n’entends plus l’alouette
Aux claires chansons.

Plus n’entends les mandolines
Ni les grêles carillons,
Ni les flûtes cristallines
Ni les violons,

 

Ni la furieuse houle
Qui saute et hurle sans fin,
Ni la débordante foule
Qui clame « du pain ! »

Rien qu’une voix qui caresse
Et me dit : cherche toujours
L’Idéal de la jeunesse,
La Rose d’amour ?

Un soir, au bord de la sente,
Elle penchera vers toi
Sa corolle frémissante
Murmurant : « prends-moi ».

 « Place-moi sur ta poitrine,
 « Sois patient et sois fort,
 « Baise ta rose câline
 « Et ris de la mort

 

 « Retourne à ta noble tâche,
 « Par ma grâce sois vainqueur. »
Hélas, tout poète est lâche
Qui souffre en son cœur !

Passant, je cherche une rose,
Cette rose que je vis
Dans un grand jardin, jadis,
Toute fraîche éclose !