Poèmes (Canora, 1905)/La femme.

(p. 185-188).


la femme

 
Maître, j’étais désespérée,
Quand ta compassion sacrée
Me rendit la force et la foi,
Et de ces blanches anémones
J’ai voulu tresser ta couronne
Et je m’incline devant toi.

Lorsque j’étais petite fille,
À l’heure où le ciel qui scintille,
Dore les horizons en feu,
Alors je chantais, frémissante,
Et je cherchais le long des sentes
L’image mystique de Dieu.

Je tressaillais, dans tout mon être,
Lorsque la voix haute du prêtre
Chantait des cantiques d’amour,
Et mon âme à l’encens mêlée
Croyait aux fables révélées
Dont on la berçait chaque jour.

Mais, quand sonna l’heure fatale
Où, par les vastes cathédrales,
Je vis s’affaler et blêmir,

 
Baisant les pieds des christs de pierre,
Suppliantes, ces jeunes mères
Dont Dieu laissait l’enfant mourir !

Quand j’ai vu les barques fleuries
Que le vieux prêtre avait bénies,
Au matin s’envolant du port ;
Au soir, par l’ouragan roulées,
Joncher les grèves désolées
D’épaves noires et de morts !

Alors ma raison libérée,
Brisant l’illusion dorée,
Connut le frisson du Chaos !
Et, tremblante de ne plus croire,
Le cœur débordant de sanglots,
J’errai seule dans la nuit noire…

Alors Comte m’a dit : « Ô femme, ouvre les yeux,
« Vois, l’aube rose au loin caresse les collines ;
« Jette, dès ce matin, à la brise câline
« Les rêves morts, fardeau de ton cœur soucieux.

 

« Pourquoi chercher au ciel un mystérieux père,
« Quand ton père veilla sur ton sommeil d’enfant ?
« Qu’il soit pour toi celui qui guide, qui défend,
« Celui qui mit un jour en tes yeux sa lumière !

« Ta mère, elle, connut d’angoissantes douleurs
« Quand son corps déchiré te donnait à la vie.
« Pourtant, elle sourit de ses lèvres pâlies
« Quand ton premier appel sonna jusqu’à son cœur.

« Aime donc tes parents de toute ta tendresse,
« Et tes frères, tes sœurs, dont les petites mains
« Jouaient dans le berceau parmi tes cheveux fins,
« Et ceux que ton doux rire emplissait d’allégresse.

« Puis, quand tu sentiras sous le tiède soleil
« S’épanouir la fleur de ta beauté troublante
« Et glisser en ton cœur le désir d’être amante,
« Au plus digne, en ce jour, tends ton baiser vermeil !

« Qu’il ait toute ta grâce et tes bonnes paroles
« Pour apaiser, parfois, l’éclat de ses yeux fiers ;
« Qu’il sente, au soir de doute et de pensers amers
« Contre son front brûlant, ton front pur qui console.

 

« Si quelque vil instinct, si le fatal désir
« De l’argent corrupteur, si l’égoïsme, ô femme !
« Quelque soir d’abandon rampaient jusqu’à son âme,
« Arrache au lourd remords l’homme prêt à faillir !

« Et, si tu dois garder à l’abri de ton voile
« L’enfant, fils du passé, germe des temps nouveaux,
« Garde aussi l’Idéal des siècles les plus beaux
« Au fond de tes grands yeux clairs comme des étoiles…

« Partout où monteront des appels de douleur
« Dans le chaos sanglant des ambitions folles,
« Sois celle qui secourt, sois celle qui console,
« Et brise l’âpre haine, en versant quelques pleurs… »

Alors, Maître, acceptant ta parole sublime,
J’ai repris mon chemin, le cœur ressuscité,
Et j’irai, flétrissant les guerres et les crimes,
Semer par l’univers l’amour et la beauté.