Poèmes (Canora, 1905)/Consolation

(p. 17-20).

CONSOLATION

À la mémoire de Paul Vast.


 
Quand il s’est endormi du suprême sommeil
Sous un voile odorant de roses automnales,
Quand nos derniers baisers pressèrent son front pâle
Et ses pauvres yeux froids, jadis pleins de soleil,
Quand nous l’avons conduit à la fosse béante
Qui l’engloutit, avec les rameaux et les fleurs,
Quand votre âme sombrait, au flot brûlant des pleurs,
Quand la plainte d’adieu résonnait, déchirante,
Oh ! je n’ai point parlé ! Courbant devant le sort
Mon front triste, chargé de funèbres pensées,
J’ai retenu l’élan des strophes cadencées
Car le silence auguste est seul digne des morts !
Mais puisque depuis lors, effleurant de leur aile
La tombe de l’aimé, les fuyantes saisons
L’ont ceinte tour à tour de neige et de gazon,

Puisqu’il sied d’apporter des couronnes nouvelles,
Je veux chanter pour lui que nous avons aimé
Tout ce que mon cœur triste a de douce tendresse,
Et je veux que ce chant soit tel qu’une caresse
Du vent d’Automne aux fleurs des tombeaux embaumés !

Ô cher disparu, ta voix mâle et claire,
Dans l’air matinal baigné de lumière,
Ne montera plus ainsi qu’autrefois
Ardente de foi !

Un tombeau de marbre inflexible presse
Ton corps souple et beau, fleur de ta jeunesse,
Ta bouche au doux rire, et ton front penseur,
Et ton jeune cœur !

Mais quand nous fermons nos yeux lourds de larmes
Pour mieux lire en nous, du fond de nos âmes,
Tu surgis, soudain, plus pur et plus fort,
Grandi par la mort.

Ta forme est lumineuse et ta main largo et bonne
Enseigne à notre main le geste qui pardonne.
Ta tendresse discrète à toute heure nous suit !
Tu chantes dans la brise et glisses dans la nuit,

Et quand, las d’avoir vu les démences humaines,
L’égoïsme brutal, et la stérile haine
Délier les penseurs et salir les héros,
Nous doutons si l’esprit sortira du chaos,
Comme d’un fumier vil un lys frêle s’élance,
Alors ta voix résonne et fête la Science
Dont l’amour allumait des flammes dans tes yeux…
Tu la voulais, ami, tu redressais la tête
À l’espoir de sa lente et superbe conquête.
Oh ! savoir apaiser les hurlantes douleurs,
Rendre au corps épuisé la sève et la vigueur,
Mettre le frêle enfant aux bras tremblants des mères,
Puis par delà les maux des êtres éphémères
S’élever chaque jour, à la grave clarté
Des immuables lois, jusqu’à la vérité,
Hanté par la suprême et généreuse envie
D’arracher à la mort le secret de la Vie.

Ce ne fut que ton rêve, hélas, mais il fut beau.
Il s’élance vers nous de l’ombre du tombeau,
Comme en avril, un vol de colombes rapides
Fendant le ciel, au loin, de ses ailes candides,
Monte à l’horizon noir des lugubres forêts.
Paul, notre ami, des pleurs et des mornes regrets
Te conviennent bien moins que la seule promesse
De conserver en nous l’âme de ta jeunesse.


Nous avons cueilli, dans ton cher jardin,
Près de ta maison ces blancs chrysanthèmes,
Nous jetons sur toi ces roses suprêmes
Aux pétales fins…

Nous t’avons chanté ces strophes légères
En attendant l’heure où, sans plus d’émoi,
Nous viendrons aussi dormir près de toi,
Dans la grande terre !