Poème sur la Loi naturelle/Quatrième partie

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QUATRIÈME PARTIE

C’est au gouvernement à calmer les malheureuses disputes de l’école qui troublent la société.

 
   Oui, je l’entends souvent de votre bouche auguste,
Le premier des devoirs, sans doute, est d’être juste ;
Et le premier des biens est la paix de nos cœurs.
Comment avez-vous pu, parmi tant de docteurs,
Parmi ces différends que la dispute enfante,
Maintenir dans l’État une paix si constante ?
D’où vient que les enfants de Calvin, de Luther,
Qu’on croit, delà les monts, bâtards de Lucifer,
Le grec et le romain, l’empesé quiétiste,
Le quaker au grand chapeau, le simple anabaptiste,
Qui jamais dans leur loi n’ont pu se réunir,
Sont tous, sans disputer, d’accord pour vous bénir ?
C’est que vous êtes sage, et que vous êtes maître.
Si le dernier Valois, hélas ! avait su l’être,
Jamais un jacobin, guidé par son prieur,
De Judith et d’Aod fervent imitateur,
N’eût tenté dans Saint-Cloud sa funeste entreprise :
Mais Valois aiguisa le poignard de l’Église[1],
Ce poignard qui bientôt égorgea dans Paris,
Aux yeux de ses sujets, le plus grand des Henris.

Voilà le fruit affreux des pieuses querelles[2] :

Toutes les factions à la fin sont cruelles ;
Pour peu qu’on les soutienne, on les voit tout oser :
Pour les anéantir il les faut mépriser.

Qui conduit des soldats peut gouverner des prêtres.
Un roi dont la grandeur éclipsa ses ancêtres
Crut pourtant, sur la foi d’un confesseur normand,
Jansénius à craindre, et Quesnel important ;
Du sceau de sa grandeur il chargea leurs sottises.
De la dispute alors cent cabales éprises,
Cent bavards en fourrure, avocats, bacheliers,
Colporteurs, capucins, jésuites, cordeliers,
Troublèrent tout l’État par leurs doctes scrupules :
Le régent, plus sensé, les rendit ridicules [3] ;
Dans la poussière alors on les vit tous rentrer.
   L’œil du maître suffit, il peut tout opérer.
L’heureux cultivateur des présents de Pomone,
Des filles du printemps, des trésors de l’automne,
Maître de son terrain, ménage aux arbrisseaux
Les secours du soleil, de la terre et des eaux ;
Par de légers appuis soutient leurs bras débiles,
Arrache impunément les plantes inutiles,
Et des arbres touffus dans son clos renfermés
Émonde les rameaux de la sève affamés ;
Son docile terrain répond à sa culture :
Ministre industrieux des lois de la nature,
Il n’est pas traversé dans ses heureux desseins ;
Un arbre qu’avec peine il planta de ses mains
Ne prétend pas le droit de se rendre stérile,
Et, du sol épuisé tirant un suc utile,
Ne va pas refuser à son maître affligé
Une part de ses fruits dont il est trop chargé ;
Un jardinier voisin n’eut jamais la puissance
De diriger des dieux la maligne influence,
De maudire ses fruits pendants aux espaliers,
Et de sécher d’un mot sa vigne et ses figuiers.
Malheur aux nations dont les lois opposées
Embrouillent de l’État les rênes divisées !
Le sénat des Romains, ce conseil de vainqueurs,

Présidait aux autels, et gouvernait les mœurs,
Restreignait sagement le nombre des vestales,
D’un peuple extravagant réglait les bacchanales.
Marc-Aurèle et Trajan mêlaient, au Champ de Mars,
Le bonnet de pontife au bandeau des Césars ;
L’univers, reposant sous leur heureux génie,
Des guerres de l’école ignora la manie :
Ces grands législateurs, d’un saint zèle enivrés,
Ne combattirent point pour leurs poulets sacrés.
Rome, encore aujourd’hui conservant ces maximes
Joint le trône à l’autel par des nœuds légitimes ;
Ses citoyens en paix, sagement gouvernés,
Ne sont plus conquérants, et sont plus fortunés.
   Je ne demande pas que dans sa capitale
Un roi, portant en main la crosse épiscopale,
Au sortir du conseil allant en mission,
Donne au peuple contrit sa bénédiction ;
Toute église a ses lois, tout peuple a son usage :
Mais je prétends qu’un roi, que son devoir engage
A maintenir la paix, l’ordre, la sûreté,
Ait sur tous ses sujets égale autorité [4].
Ils sont tous ses enfants ; cette famille immense
Dans ses soins paternels a mis sa confiance.
Le marchand, l’ouvrier, le prêtre, le soldat,
Sont tous également les membres de l’État.
De la religion l’appareil nécessaire
Confond aux yeux de Dieu le grand et le vulgaire ;
Et les civiles lois, par un autre lien,
Ont confondu le prêtre avec le citoyen.
La loi dans tout État doit être universelle :
Les mortels, quels qu’ils soient, sont égaux devant elle.
Je n’en dirai pas plus sur ces points délicats.
Le ciel ne m’a point fait pour régir les États,
Pour conseiller les rois, pour enseigner les sages ;
Mais, du port où je suis contemplant les orages,
Dans cette heureuse paix où je finis mes jours,

Éclairé par vous-même, et plein de vos discours,
De vos nobles leçons salutaire interprète,
Mon esprit suit le vôtre, et ma voix vous répète.
   Que conclure à la fin de tous mes longs propos ?
C’est que les préjugés sont la raison des sots ;
Il ne faut pas pour eux se déclarer la guerre :
Le vrai nous vient du ciel, l’erreur vient de la terre ;
Et, parmi les chardons qu’on ne peut arracher,
Dans les sentiers secrets le sage doit marcher.
La paix enfin, la paix, que l’on trouble et qu’on aime,
Est d’un prix aussi grand que la vérité même.



PRIÈRE.

O Dieu qu’on méconnaît, ô Dieu que tout annonce,
Entends les derniers mots que ma bouche prononce ;
Si je me suis trompé, c’est en cherchant ta loi.
Mon coeur peut s’égarer, mais il est plein de toi.
Je vois sans m’alarmer l’éternité paraître ;
Et je ne puis penser qu’un Dieu qui m’a fait naître,
Qu’un Dieu qui sur mes jours versa tant de bienfaits,
Quand mes jours sont éteints me tourmente à jamais.


  1. Il ne faut pas entendre par ce mot l’Église catholique, mais le poignard d’un ecclésiastique, le fanatisme abominable de quelques gens d’église de ces temps-là, détesté par l’Église de tous les temps. (Note de Voltaire, 1756.)
  2. Chénier, dans sa pièce de vers intitulée la Promenade, a dit :

    Tel est le fruit amer des discordes civiles.

  3. Ce ridicule, si universellement senti par toutes les nations, tombe sur les grandes intrigues pour de petites choses, sur la haine acharnée de deux partis qui n’ont jamais pu s’entendre, sur plus de quatre mille volumes imprimés. (Note de Voltaire, l756.)
  4. Ce n’est pas à dire que chaque ordre de l’État n’ait ses distinctions, ses privilèges indispensablement attachés à ses fonctions. Ils jouissent de ces privilèges dans tout pays ; mais la loi générale lie également tout le monde. (Note de Voltaire, 1756.)