Poème de la prison/Requeste aux excellens et puissans en noblesse

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 97-100).

LA REQUESTE

Aux excellens et puissans en noblesse.
Dieu Ciipido et Venus la déesse.

     Supplie presentement.
            Humblement,
Charles, le duc d’Orlians
Qui a esté longuement,
             Ligement
L’un de voz obéissans,
Et entre les vraiz amans,
             Vos servans,
A despendu largement
Le temps de ses jeunes ans,
             Tresplaisans,
À vous servir loyaument,
Qu’il vous plaise regarder
             Et passer
Ceste requeste présente,
Sans la vouloir refuser ;
             Mais penser
Que d’umble vueil la presente

À vous par loyalle entente,
            En attente
De vostre grace trouver,
Car sa fortune dolente
             Le tourmente
Et le contraint de parler.
Comme ainsi soit que la Mort,
             À grant tort,
En droitte fleur de jeunesse
Lui ait osté son deport,
             Son ressort.
Sa seule Dame et liesse.
Dont a fait veu et promesse,
             Par destresse,
Desespoir et desconfort,
Que jamais n’aura Princesse,
             Ne maistresse.
Car son cueur en est d’accort.
Et pource que jà pieçà
             Vous jura
De vous loyaument servir.
Et en gage vous laissa
             Et donna
Son cueur, par loyal desir.
Il vient pour vous requerir
             Que tenir
Le vueilliez, tant qu’il vivra,
Escusé ; car sans faillir,
             Pour mourir,
Plus amoureux ne sera.
Et lui vueilliez doulcement,
             Franchement,
Rebailiier son povre cueur,
En lui quittant son serment,
             Tellement

Qu’il se parte, à son honneur,
De vous, car bon serviteur,
             Sans couleur,
Vous a esté vrayement ;
Monstrez lui quelque faveur,
             En doulceur.
Au moins à son partement.
     À Bonne Foy que tenez
             Et nommez
Vostre principal notaire,
Estroictement ordonnez
             Et mandez.
Sur peine de vous desplaire,
Qu’il vueille, sans delay traire,
             Lettre faire.
En laquelle affermerez
Que congié de soy retraire.
             Sans forfaire,
Audit cueur donné avez ;
Afin que le suppliant,
             Cy devant
Nommé, la puisse garder
Pour sa descharge et garant,
             En monstrant
Que nul ne le doit blasmer,
S’Amours a voulu laissier ;
             Car d’amer
N’eut oncque puis son talant
Que Mort lui voulut oster
             La nomper
Qui fust au monde vivant.
Et s’il vous plaist faire ainsi
             Que je dy,
Ledit suppliant sera
Allegié de son soussy ;

            Et ennuy
D’avec son cueur bannira ;
Et après, tant que vivra,
             Priera
Pour vous, sans mettre en oubly
La grace qu’il recevra
             Et aura,
Par vostre bonne mercy.


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