Poème de la prison/Ballade XLIV

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 60-61).

BALLADE XLIV.

     Dangier je vous giette mon gant,
Vous apellant de traïson,
Devant le Dieu d’Amours puissant
Qui me fera de vous raison :
Car vous m’avez, mainte saison,
Fait douleur à tort endurer,
Et me faittes loings demourer
De la nompareille de France.
Mais vous l’avez tousjours d’usance
De grever loyaulx amoureux.
Et pource que je sui l’un d’eulx,
Pour eulx et moy prens la querelle ;
Par Dieu, vilain, vous y mourrés
Par mes mains, point ne le vous celle,
S’ à Léauté ne vous rendés.
     Comment avez vous d’orgueil tant

Que vous osez, sans achoison.
Tourmenter aucun vray amant
Qui, de cueur et d’entencion.
Sert Amours sans condicion ?
Certes moult estes à blasmer,
Pensez doncques de l’amender.
En laissant vostre malvueillance,
Et, par treshumble repentance,
Alez crier mercy à ceulx
Que vous avez fais douloreux,
Et qui vous ont trouvé rebelle.
Autrement pour seur vous tenez
Que de gage je vous appelle,
S’ à Léauté ne vous rendés.
     Vous estes tous temps mal pensant,
Et plain de faulse soupeçon ;
Ce vous vient de mauvais talant
Nourry en courage felon.
Quel mal ou ennuy vous fait on,
Se par amours on veult amer,
Pour plus aise le temps passer
En lyée, joyeuse Plaisance ?
C’est gracieuse Desirance.
Pource, faulx, vilain, orgueilleux,
Changiez vos vouloirs oultragieux,
Ou je vous feray guerre telle
Que, sans faillir, vous trouverés
Qu’elle vauldra pis que mortelle,
S’ à Léauté ne vous rendés.