Œuvres complètes de François CoppéeL. Hébert, librairePoésies, tome I (p. 307-311).

PLUS DE SANG !

AVRIL 1871



Ô France ! je sais bien que, dans cette tuerie,
À celui qui dira : pitié ! pudeur ! patrie !
     Ces acharnés répondront : Non !
Que tout espoir de paix est presque une chimère ;
Mais je serai l’écho de ta douleur de mère
     Parmi l’orage du canon.


Je sais que le massacre aux cent voix furieuses
Et que le crachement hideux des mitrailleuses
     Couvriront mes cris haletants ;
Mais je t’évoquerai, France, France éternelle,
Sanglante et découvrant ta gorge maternelle,
     Entre les coups des combattants !

Je sais que la terreur va régner sur la ville,
Que peut-être aux tribuns de la guerre civile
     On va me désigner du doigt.
Je le sais ; mais il faut fulminer l’anathème,
Et le poète obscur qui te pleure et qui t’aime
     Aura du moins fait ce qu’il doit.

Oui, nous irons d’abord où la discorde habite,
Dans le sombre palais au toit duquel palpite
     Un drapeau rouge dans le ciel,
Et là tu montreras, de ton geste qui raille,
Les trois mots, flamboyants sur la vieille muraille
     Comme les mots de Daniel.

Tu feras voir l’horreur de ta gorge saignée
Et tu déchireras, pauvre mère indignée !
     Ce décret, cet ukase affreux,

Écrit par une main noire encor de l’amorce,
Qui provoque au combat fratricide et qui force
     Tes fils à s’égorger entre eux.

Après, nous descendrons dans les geôles profondes
Où tu verras, parmi les malfaiteurs immondes,
     Tristes, mais le cœur sans effroi,
Des vieillards doux et purs, des otages de guerre,
Des prêtres arrachés de l’autel où naguère
     Ils priaient encor Dieu pour toi.

Nous planerons alors sur la cité déserte :
Sauf un rauque clairon qui sonne au loin l’alerte,
     Ou le coup de canon d’un fort,
Ou le pavé broyé par un caisson qui passe,
Nul bruit, nul mouvement, et sur l’immense espace
     Pèsent le silence et la mort.

C’est la fuite, partout. Si, dans les quartiers riches,
Frôlant timidement les murs souillés d’affiches,
     Le passant marche, le front bas,
Inquiet du blocus et craignant qu’on l’affame,
Dans le groupe, au faubourg, le vieux, l’enfant, la femme,
     Sont seuls à parler des combats.


Entends-tu le canon qui gronde par saccades ?
Les hommes sont partis là-bas, aux barricades,
     Aux avant-postes, aux remparts.
A Vanves, à Neuilly, mitraille et balles pleuvent,
Hélas ! et c’est pourquoi tous ces cœurs qui s’émeuvent,
     Ces larmes dans tous les regards.

Mais si, nous détournant de cette morne scène,
Nous regardons plus loin, sur les bords de la Seine,
     France, cache-moi dans ton sein !
Que j’entende bondir ton noble cœur de femme
Qui se brise à l’aspect de cette lutte infâme
     Où ton peuple est ton assassin ;

Que j’entende ta voix hurler, pleine de larmes :
— O mes fils égarés, jetez, brisez vos armes !
     Assez ! il n’est jamais trop tard.
Ne combattez pas plus pour un mot illusoire ;
Arrêtez, plus de sang ! nous n’avons qu’une gloire,
     Et nous n’avons qu’un étendard.

La victoire est horrible et ma mort seule est sûre.
Cruels, vous retournez le fer dans la blessure
     Où l’a plongé le Prussien !
Arrêtez ce combat qui m’achève et me navre,

Insensés qui voulez, sur un front de cadavre,
     Planter le bonnet phrygien.

La paix ! faites la paix ! Et puis, pardon, clémence !
Oublions à jamais cet instant de démence.
     Vite à nos marteaux. Travaillons !
Travaillons, en disant : C’était un mauvais rêve.
Et plus tard, quand mon front, qui vite se relève
     Lancera de nouveaux rayons,

Alors, ô jeunes fils de la vaillante Gaule,
Nous jetterons encor le fusil sur l’épaule
     Et, le sac chargé d’un pain bis,
Nous irons vers le Rhin, pour laver notre honte,
Nous irons, furieux, comme le flot qui monte
     Et nombreux comme les épis.

— Dis-leur cela, ma mère, et, messagère ailée,
Mon ode ira porter jusque dans la mêlée
     Le rameau providentiel,
Sachant bien que l’orage affreux qui se déchaîne
Et qui peut d’un seul coup déraciner un chêne,
     Épargne un oiseau dans le ciel.


Avril 1871.