Œuvres complètes de François CoppéeL. Hébert, librairePoésies, tome I (p. 301-303).



Du couvent troublant le silence,
Arrive, avec son bruit pressé,
Une voiture d’ambulance.
On amène un soldat blessé.

Sur sa capote le sang brille ;
Il boite, éreinté par l’obus.
Son fusil lui sert de béquille
Pour descendre de l’omnibus.


C’est un vieux aux moustaches rudes,
Galonné d’un triple chevron,
Qui hait les cagots et les prudes
Et débute par un juron.

Il a des propos malhonnêtes
Et des regards presque insultants,
Qui font rougir sous leurs cornettes
Les novices de dix-huit ans.

Croyant qu’il dort et qu’elle est seule
Si la sœur prie auprès de lui,
Vite il charge son brûle-gueule
Et siffle un air avec ennui.

Que lui font la veille assidue,
L’intérêt qu’on peut lui porter ?
Il sait que sa jambe est perdue
Et que l’on va le charcuter.

Il est furieux. – Laissez faire ;
On est très-patient ici ;
Puis il y règne une atmosphère
Qui console et qui dompte aussi ;


L’influence est lente, mais sûre,
De ces servantes de leur vœu,
Douces en touchant la blessure
Et douces en parlant de Dieu.

— Aussi, sentant, à sa manière,
Le charme pieux et subtil,
Le grognard, à chaque prière,
Dira bientôt : « Ainsi soit-il ! »


Novembre 1870.