Les larmes (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 165-168).


LES LARMES


Tu pleures toutes tes larmes…


Oh ! le jour qui finit si bleu,
Oh ! l’ombre dont la chambre est pleine…
Je me penche et te vois à peine,
Je me penche et t’adore un peu !

Tranquille avec ta robe noire
Dans la vieille et riche maison,
Tu pleures, je sens le frisson
Qui te prend dans sa pauvre gloire !…


Et ton chagrin vient t’éplorer,
Et tes larmes s’attristent toutes ;
C’est comme si tu les écoutes
Et que tu pleures de pleurer.

Tu pleures, tant ta peine est grande,
Dans un désert, sans rien savoir…
Et moi, debout auprès du soir,
Je suis triste comme une offrande.

Je m’approcherai, si tu veux,
Avec un trésor d’humble attente,
Et ce sera la paix mourante
Comme le soir sur tes cheveux.

Parmi tant de choses dolentes,
J’écoute ton rayonnement,
Et tu pleures si doucement
Qu’on dirait un peu que tu chantes…


Je ne peux rien, je ne peux rien,
Mais je sens que tout se dépouille,
Et près de toi je m’agenouille
Dans le pauvre calme qui vient.

Oh ! le vieux soleil dont se dore,
Après tant de jours révolus,
Le peu de bonheur qu’on n’a plus,
Que notre même oubli l’adore !

Quelque chose enchante ta voix
Dans une confuse harmonie.
Ta douleur est presque bénie,
Enfant, tu penses à la croix…

On pleure quand on s’apitoie,
Quand on est doux et qu’on veut bien…
Lorsque l’on souffre, on n’est plus rien,
Mais pleurer, c’est pleurer de joie…


À genoux au soir d’abandon
Qui nous assombrit de ses vagues,
Nous tous les pauvres et les vagues,
Nous tous qui pleurons, nous donnons.