Pleureuses/42
Nous irons dans la vie unis, quoi qu’il advienne,
Et ma route sera la tienne.
Si je sentais tes doigts mourants quitter ma main,
Ton chemin serait mon chemin.
Hélas ! viens avec moi sous les étoiles blanches.
Elles sont dans mon cœur les veilles de là-bas ;
La tristesse du vent monte à l’âme des branches,
Nous parlerons un peu, puis tu t’endormiras.
Le passé se désole au fond des nuits qui meurent.
Nous parlerons un peu d’aube pâle et de foi,
De vieil azur confus où mes souvenirs pleurent ;
Oh ! viens, ta petite âme est triste comme moi.
Je t’ai trouvé jadis par une nuit très noire,
Pauvre ange de faiblesse avec ton front lassé,
Et comme je rêvais, je t’ai donné ma gloire,
Et toi, tu m’as donné doucement ton passé.
Mon destin s’appuya sur ta mélancolie
Et depuis que j’ai vu ton regard attristé
Je sens pleurer en moi les choses qu’on oublie,
Les choses de légende et de simplicité.
Je sens que nous allons, perdus dans l’œuvre immense,
Que l’horizon nous garde avec ses bras d’ampleur,
Qu’un vague crépuscule entre dans mon silence,
Et que mon grand génie est comme un grand malheur.
Ton cœur s’est désolé dans mon cœur monotone,
Tu mêlas ta faiblesse à ma fatalité.
Toi qui veux qu’on supplie et qui veux qu’on pardonne,
Tu mis sur mon bonheur le deuil de ta beauté.
Nous tiendrons pour toujours nos mains mélancoliques,
Sur la route infinie où s’en va la douleur.
Je porte l’avenir dans mes yeux pacifiques,
Calme et désespéré comme un consolateur.
J’aurais mené ton rêve à mes apothéoses.
Hélas, tu n’as gardé de mon désir pieux
Que la détresse calme et la douceur des choses,
Et l’ampleur du sommeil qui vient fermer tes yeux !
Oh ! tu n’as pas senti vers la nuit infinie
Quelque chose dans toi frémir et s’enflammer,
Et tu meurs doucement dans ma monotonie,
Ô toi qui n’as pas eu le grand pouvoir d’aimer !
Tu n’as pas su la paix des âmes conquérantes,
Tu n’as pas eu le rêve inconsolable et nu.
Ton deuil s’est attristé dans les choses mourantes ;
Le grand pouvoir d’aimer, tu ne l’as pas connu.
Craignant le sourd vertige et les vagues rafales,
Tu te blottis vers moi lorsque tomba le soir.
Je porterai ta vie avec mes deux mains pâles,
Comme un calme martyre et comme un saint devoir.
Nous irons lentement où mon destin me pousse,
Les rêves du passé montent comme des pleurs,
Ma voix sera tranquille et ta voix sera douce,
Nous serons reconnus par les grandes douleurs.
Retrouve au loin les voix confuses dans la chambre,
Les après-midi longs où meurt un vieux soleil,
Le jardin pâle avec les feuilles de novembre,
Et tu pourras dormir parmi tout ce sommeil.
Ces choses balbutient lorsque tu les dévoiles,
Puis retombent au soir grandissant et berceur,
La rumeur de la nuit se tait dans les étoiles,
Ton front est lourd, ton âme est morte de douceur…
Avant de t’en aller dans cette paix profonde,
Lève tes yeux dormeurs au soir illuminé,
Jette un dernier regret à la grandeur du monde,
À l’impassible orgueil que je t’aurais donné.
Jette le dernier cri de ta douleur de femme,
À la nuit éternelle où nous avons passé,
À l’horizon muet qui s’étend dans mon âme,
Grand de mon avenir et nu de mon passé.
Puis tu t’endormiras dans l’ombre qui se lève,
La lueur du lointain bercera tes yeux clos,
Tu me sentiras vivre à côté de ton rêve
Et mes pas solennels porteront ton repos.
Je verrai sous nos pieds le reflet de la ville,
Je sens que la tristesse erre et monte partout,
Que notre amour s’endort dans ton bonheur tranquille,
Et que mon grand chagrin veille au-dessus de tout.