Plaidoyer sur les biens confisqués


Traduction par Athanase Auger.
Œuvres complètes de Lysias (p. 307-310).

PLAIDOYER
sur
DES BIENS CONFISQUÉS.



Comme je fais des efforts pour valoir quelque choſe, vous vous imaginez peut-être, Athénienss, que j’ai plus de talent qu’un autre pour la parole : mais je ſuis ſi éloigné d’être en état de parler ſur des affaires étrangeres, que je crains même de ne pouvoir m’expliquer comme il faut ſur les miennes, J’eſpere néanmoins qu’une ſimple expoſition de ce qui s’eſt paſſé entre nous & Eraton & ſes fils, vous ſuffira pour ſaiſir la vérité dans la cauſe préſente, Je vais donc reprendre les faits dès l’origine.

Eraton, pere d’Eraſiphon, emprunta deux talens à mon aïeul. Et, afin de prouver qu’il a prié mon aïeul de lui prêter une telle ſomme & qu’elle lui a été remiſe, je vais produire pour témoins les perſonnes en préſence deſquelles il l’a reçue. Ceux qui l’ont fréquenté & qui ſont mieux inſtruits que moi, vous diront eux-mêmes & vous arteſteront l’uſage qu’il en a fait & l’avantage qu’il en a tiré, Greffier, faites paroître les témoins.

Les témoins paroiſſent.

Tant qu’Eraton vécut, l’intérêt de l’argent nous fut exactement remis, & les clauſes du billet fidèlement exécutées. Il ne fut pas plutôt mort, que ſes trois fils, Eraſiphon, Eraton &c Eraſiſtrate, ceſſerent tout paiement, Pendant la guerre où les tribunaux furent fermés, il ne fut pas poſſible de nous faire payer : dès que la paix fut faite, & que les tribunaux furent ouverts, mon pere obtint action pour la ſomme totale contre Eraſiſtrate qui ſeul des freres étoit à Athenes, & gagna ſon procès contre lui ſous l’archonte Xénénète. Je vais produire des témoins de ces faits. Greffier, faites paroître les témoins.

Les témoins paroiſſent.

Il eſt facile de voir par-là que nous aurions droit à tous les biens d’Eraton ; on voit par les regiſtres mêmes des queſteurs que la confiſcation les a tous abſorbés. En effet, comme trois ou quatre perſonnes les ont inſcrits à plufieurs repriſes, il eſt évident qu’on n’a dû omettre aucune partie de ceux qui pouvoient être confiſqués. Or, en les inſcrivant tous, on a inſcrit ceux mêmes dont je ſuis ſaiſi depuis long-tems. Il me paroît donc indubitable que, ſi vous confiſquez ces biens, il nous eſt impoſſible de nous faire payer d’ailleurs. Mais écoutez la raiſon qui nous fait répéter notre dette contre le tréſor & contre des particuliers

Tant que les parens d’Eraſiphon diſputoient au tréſor les biens d’Eraton, je penſois qu’ils devoient tous m’appartenir, parcequ’Eraſiſtrate, plaidant contre nous pour la dette entiere, avoit perdu ſa cauſe. En conſéquence j’ai déjà loué il y a trois ans la terre de Sphette. Je plaidois pour la terre de Cicynnes, & pour une maiſon à la ville, contre ceux qui les poſſédoient. L’année derniere, des particuliers, qui ſe diſoient commerçans, intervinrent & traverſerent mon action. Les juges actuels du commerce, nommés dans le mois de Mars, n’ont pas encore prononcé. Mais, puiſque vous avez jugé à propos de confiſquer les biens d’Eraſiphon, j’abandonne au tréſor les deux tiers des biens d’Eraton, & je demande qu’on m’adjuge le tiers qui reſte, la part d’Eraſiſtrate, d’autant plus que vous avez déjà décidé qu’elle m’appartenoit. Quand je dis le tiers des biens d’Eraton, je n’ai pas calculé exactement, & je laiſſe au tréſor beaucaup plus des deux tiers. C’eſt de quoi il eſt aiſé de ſe convaincre par l’eſtimation des biens. Ils ſont tous évalués à plus d’un talent ; or je répete d’un côté cinq mines, & de l’autre dix ; &, ſuppofé que la part qui me ſera adjugée monte plus haut, le tréſor s’emparera du ſurplus quand la vente aura été faite.

Afin de certifier tout ce que j’avance, je produirai pour témoins ceux qui louerent de moi la terre de Spherte, les voiſins de celle de Cicynnes qui ſavent que je l’ai révendiquée, les citoyens qui étoient en charge l’année derniere, & qui devoient connoître de cette affaire, enfin les juges actuels du commerce : on vous lira aufſi les regiſtres du queſteur. Vous verrez ſur-tout par cette lecture & par ces dépoſitions ; que ce n’eſt pas depuis peu que nous revendiquons les biens qu’on nous diſpute, & que nous ne répétons pas aujourd’hui contre le tréſor une ſomme plus forte que nous ne l’avons répétée par le paſſé contre des particuliers. Greffier, faites paroître les témoins,

Les témoins paroiſſent.

J’ai prouvé, ce me ſemble, Athéniens, que c’eſt avec droit que je réclame la ſomme conteſtée, & qu’en ne répétant que cette ſomme, j’abandonne à la république une grande partie de ce qui m’appartient, Il ne me reſte, ſans doute, qu’à vous ſupplier, vous & les avocats du tréſor, de m’être favorables, & de me rendre juſtice.