Plérophories (Jean Rufus)/2/I-II - Contre Nestorius et Marcien

Plérophories, c’est-à-dire témoignages et révélations (contre le concile de Chalcédoine) (1911)
Traduction par René Graffin, François Nau.
Brepols (Tome 8p. 11-14).
Ensuite PLÉROPHORIES

C’est-à-dire témoignages et révélations que Dieu a faites aux Saints, au sujet de l’hérésie des deux natures et de la prévarication qui eut lieu à Chalcédoine ; elles furent rédigées par l’un des disciples de saint Pierre l’Ibère, nommé le prêtre Jean de Beit-Rufîn, d’Antioche, évêque de Maïouma de Gaza[1].

I. — Notre père et évêque, le vénérable abba Pierre l’Ibère, nous racontait[2] que quand il était encore à Constantinople, avant de renoncer au monde, lorsque Nestorius vivait encore et était évêque : Comme il terminait la commémoraison des Quarante saints Martyrs[3] dans l’église appelée Maria, il se leva pour expliquer l’Écriture devant tout le peuple en ma présence — il avait une voix féminine[4] et claire. — Il se mit à blasphémer et à dire devant moi au milieu de son allocution : « Tu ne seras pas glorifiée, Marie, comme si tu avais enfanté Dieu ; car, ô excellente, tu n’as pas enfanté Dieu, mais l’homme, l’instrument[5] de Dieu[6]. Dès qu’il eut dit cela, il fut possédé par un démon à l’ambon[7] même, de telle sorte qu’avec son visage, sa main droite fut aussi retournée à l’envers ; comme il était tordu et qu’il était sur le point de tomber, des serviteurs[8] et des diacres le saisirent rapidement, le portèrent et le mirent dans la sacristie[9]. Et depuis lors la plus grande partie des habitants de la ville se sépara de sa communion, surtout les gens du palais[10], et moi aussi, avant tous (les autres), bien qu’il m’aimât beaucoup[11]. »

II. —[12]Ce père nous racontait encore au sujet du bienheureux Pélage d’Édesse, qu’il menait une vie parfaite. Il était moine et prophète ; et lorsqu’il eut entendu les blasphèmes d’Ibas[13], évêque d’Édesse, et qu’il l’eut repris ouvertement, il eut beaucoup à souffrir de sa part ; se trouvant persécuté, il vint dans une certaine localité de Palestine et y demeura en paix du vivant de Juvénal[14], avant le concile (de Chalcédoine) et la prévarication de la foi. De cette manière la grâce habita en lui ; il fut rempli de l’esprit de prophétie et il mérita d’avoir de fréquentes visions. Il allait très souvent visiter l’abba Pierre qui était alors en paix dans la laure[15] de Maïouma[16] de Gaza : (ces saints) avaient, en effet, une grande affection l’un pour l’autre ; dans une de ces rencontres, comme Pélage se promenait avec (notre) père dans les endroits sableux de la laure et qu’il avait avec lui une discussion sur les pensées et les perfections qui sont en Dieu, il disait, sept années avant le concile[17], qu’il avait été ravi (en extase) et qu’il avait vu la prévarication qui devait avoir lieu à Chalcédoine de la part des évêques ; il prononça même le nom de l’empereur impie Marcien, au temps et par le pouvoir duquel cette prévarication devait se produire, ainsi que les autres événements postérieurs, et il dit : « Ce temps nous atteindra, moi et toi aussi, abba, et lorsque nous serons persécutés avec tous les saints qui ne consentiront pas à acquiescer à cette prévarication de la foi, nous mourrons durant cette persécution. » Et finalement, c’est aussi ce qui arriva. 

  1. M : « ensuite nous écrivons les Plérophories, c’est-à-dire les témoignages véridiques écrits en toute exactitude et recueillis de livres autorisés par Mar Jean, disciple de Mar Pierre l’Ibère, le saint évêque ; ils montrent clairement, par révélation du Saint-Esprit, que le concile impie de Chalcédoine a eu lieu dans la colère de la justice et l’abandon de Dieu ».
  2. D ajoute la présente anecdote à la suite du chapitre correspondant de Socrate. Il débute par : « Au sujet de l’homélie que Nestorius prononça dans l’église de Constantinople, saint Pierre l’Ibère qui fut témoin de cette affaire, comme il en témoigna devant nous, dit : — Ce Pierre l’Ibère était fils du roi des Ibères. Théodose, roi des Romains, le reçut comme gage (ὁμηρεία) que (son père) ne machinerait rien contre lui. L’empereur Théodose l’éleva comme son fils et Pulchérie, sœur de l’empereur, (l’éleva de même). Quand il eut grandi, il aima la conduite pure du monachisme et abandonna la cour. À la fin, il fut évêque d’Apamée (lire : de Maïouma). — Celui-là donc témoigna et dit… » La vie de Pierre est résumée Patr. or., II, 219-223.
  3. Sans doute les martyrs de Sébaste, au 9 mars.
  4. Même locution chez Denys bar Salibi, cité et traduit infra, p. 162 à 163, ch. xciv.
  5. ὄργανον.
  6. Une phrase analogue est attribuée à Anastase, familier de Nestorius, cf. Socrate, Hist. eccl., vii, 32. Nestorius a expliqué ce passage en disant que Marie n’avait pas enfanté la nature divine, mais seulement la nature humaine. Les monophysites, parce qu’ils ne reconnaissaient qu’une nature après l’union, ne pouvaient admettre cette explication.
  7. βῆμα.
  8. ܡܕܝ̈ܠܢܐ traduit νεωκόροι, Const. Apost., viii, 21.
  9. διακονικόν.
  10. Palatium.
  11. D ajoute : « C’est ainsi qu’il erra et tomba comme Lucifer du ciel (Isaïe, xiv, 12), et il ne changea pas sa volonté mauvaise parce que Satan était entré en lui. »
  12. D ajoute : « En cette année (755 = 444) prophétisait Pélagius, prêtre d’Édesse, qui fut chassé par Ibas parce qu’il le reprenait à cause de ses erreurs dans la foi. »
  13. Évêque d’Édesse en 438 ; condamné par Dioscore, et justifié à Chalcédoine en 451.
  14. Évêque de Jérusalem de 422 (?) à 458, soutint saint Cyrille, puis Dioscore à Éphèse ; abandonna Dioscore à Chalcédoine.
  15. ܠܘܪܐ laura (Patr. or., II, 97) est devenu ܠܒܪܐ et ܠܐܒܪܐ par permutation du v en b. Λάϐρα (pour λαύρα) se trouve aussi en grec. Cf. Montfaucon, Bibl. Coisliniana, Paris, 1715, p. 186.
  16. Maïouma était le port de Gaza.
  17. C’est-à-dire en 444. À cette époque, d’après ce passage, Pierre aurait été à Maïouma. Il avait alors trente-six ans. — Concile est toujours exprimé par σύνοδος.