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II



Ils sortirent du caveau, dont Pierrot avait la clef dans sa poche, et, — sans suivre les rues des morts, glissant entre les monuments funéraires, heurtant les croix, effleurant les herbes, — ils s’en allèrent, bras dessus, bras dessous, voir s’il existait encore des viveurs parisiens de mi-carême. Pierrot avait aimé des femmes innombrables, ou, s’il ne les avait pas toutes aimées, il

avait fait avec elles ce qu’on fait quand on est aimé. Il avait connu des vierges qui souhaitaient ne plus l’être, des mariées à qui M. Joseph Prudhomme ne suffisait pas, de jolies filles qui, malgré leurs lèvres carminées et vendues, l’avaient adoré, puisqu’elles n’avaient ruiné que sa santé. Il s’était fait rendre par les huissiers des visites qu’il ne leur avait jamais faites et les usuriers avaient regretté son trépas, parce qu’ils perdaient, devant cette fuite, toute espérance d’être soldés, quand Pierrot serait devenu sérieux. Et Pierrot était tout blanc, avec son costume en soie crème, à larges boutons, avec sa figure poudrerizée, son serre-tête, et son chapeau pointant vers les étoiles. Mais sa Conscience était toute noire.

Elle s’appelait Pierrette, et, pour cette nuit, sans doute, Carêmette, quasi pareille, — exquisement, si délicatement androgyne, — quasi pareille, en femme, à son camarade, comme une goutte d’encre à une goutte d’eau, avec son costume fantaisiste, culotte courte de satin noir, collerette noire et corsage noir transparent, décolleté en pointe jusqu’à la ceinture, formant un cadre délicieux à la poitrine blanche et aux menus seins pointés en l’air ;

bas de soie noirs et gants noirs. Elle était noire, — sauf le visage, frais et clair comme ce qu’on voyait, rose ou blanc, si jeune et si élégant, de sa chair ingénue, car la Conscience a beau être noire, elle ne se montre jamais telle et fait toujours joli visage ; — elle était noire à cause des vices de son ami, mais elle ne lui en voulait pas pour cela, et la Conscience marchait en compagnie de Pierrot, comme une sœur.

Elle avait consenti aux amours passagères de son frère et elle se prêtait encore à cette curiosité posthume.

Après s’être fait peindre, par un rapin montmartrois, deux cartes extravagantes, attachées en bandoulière, l’une à un ruban blanc, l’autre à un ruban noir, ils traversèrent le boulevard des Batignolles et virent bientôt tourner des ailes de moulin,

des ailes de feu, pourpre et or :

Perché sur la haute colline,
et coiffé d’un chapeau pointu,
le moulin fait de la vertu
des filles la blanche farine.