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I



Sur le coup de onze heures, à mi-carême, Pierrot s’éveilla, dans son cercueil, en plein cimetière Montmartre, car il avait voulu être enseveli dans un endroit parisien. Quel humus des trépassés est plus vivant que celui-là ?

Le Père-Lachaise est endormi dans un faubourg pas distingué. Tout au plus, à de rares intervalles, les morts entendent le couperet de la guillotine, tranchant, sur la place de la Roquette, à côté, le cou tondu de frais d’un assassin. Le cimetière Montparnasse, proche cependant de la rue de la Gaîté, est également triste, à cause de son éloignement de l’Opéra et des Variétés. Les morts du cimetière Montparnasse sont obligés de prendre l’omnibus pour venir sur les grands boulevards. Encore leur faut-il la correspondance.

Quant à Clamart, c’est Cayenne.

Pierrot n’avait pas voulu reposer dans un cimetière d’exilés. Il s’était amusé jadis et il avait mené la vie à électrique vitesse, si bien qu’à trente ans il l’avait usée. Mais de son cercueil de plomb, à Montmartre, — dans le caveau des Pierrots, ses aïeux, — il percevait les bruits de fête, des bouffées de musiques de bal, refrains las de carnaval, rythmes gris de valse, éclats stridents de cuivre, atténués à travers le crêpe de la nuit — ou gémissements de violons, — et les rires fatigués des viveurs.

À deux pas, pour ainsi dire, sont les grands halls joyeux de Montmartre, à deux pas, l’Opéra, où Métra et Fahrbach, du moins leurs spectres, ce soir de suprême bal masqué, dirigeaient leurs orchestres.

Dans le cercueil, entre les planches mal jointes, — do, ré, mi, fa — mi, mi, do, do — mi, mi — mi, mi — ainsi que des caresses, entraient les blanches, les noires, les rondes, les triples et les quadruples croches, paillons sonores apportés par le vent, flonflons mourants, échos berceurs des turlutaines, trilles fous en lambeaux, et la valse langoureuse :

Viens avec moi pour fêter le printemps.

Les roses incertaines, des lilas insaisissables, les violettes de rêve sentaient bon ; un avril mystérieux soufflait de très tièdes et enivrantes brises ; les faunes couraient, chantaient, cherchaient le baiser, sifflaient, phalliques, et les faunesses chuchotaient dans l’ombre de bois au feuillage vert tendre, dans les bois imprécis, tels que des songes. Les vagues déferlaient doucement avec une plainte quasi sensuelle ; sur les plages, les sirènes voilées dans la gaze fluide de l’onde, dans les formes incessamment fuyantes de l’eau, appelaient.

Des valses susurraient, — mi, mi, do, do, mi, mi, — dans le rêve de son réveil, leurs bercements énervants aux oreilles de Pierrot qui, bientôt, se leva ;


et sa Conscience s'était levée avec lui.
et sa Conscience s'était levée avec lui.