Librairie Beauchemin, Limitée (p. 7-29).

PIERRE QUI ROULE

SOUVENIRS D’UN JOURNALISTE


CHAPITRE I


Quéquienne Quénoche — Les sobriquets — Les faits et gestes de Pierre Bauty — À Contrecœur — Le bon vieux temps — Les loups-garous — Les ancêtres de Quéquienne — Le combat de Saint-Denis. Pourquoi ?

Avez-vous connu Quéquienne Quénoche ? Non, n’est-ce pas ? Moi non plus. Seulement, moi, je sais qu’il a existé. Il est mort après avoir porté avec résignation ce sobriquet qui signifiait Étienne, fils d’Étienne. C’est le seul héritage qu’il ait laissé. Comme il n’avait pas d’héritier et que l’État néglige de s’emparer de sa succession, je mobilise ce petit nom d’oiseau pour en affubler un personnage bien vivant, que je connais depuis sa plus tendre enfance, et Dieu sait si son enfance a été tendre ! Il compte aujourd’hui soixante-quinze ans bien révolus. C’est un jeune homme d’avenir, « garçon d’espérance, » comme dirait Gustave Nadaud.

Né sur les bords enchanteurs de la rivière Chibouette, non loin de Saint-Hyacinthe, petit village situé dans la banlieue de d’opulente ville de Saint-Barnabé, sa première enfance s’est écoulée dans les comtés de Saint-Hyacinthe, Verchères et Richelieu ; sa deuxième enfance — pas celle de la décrépitude physique et mentale — a eu pour théâtre les États de la Nouvelle-Angleterre. Son adolescence s’est exprévaluée dans la Virginie et le Kentucky. Sa jeunesse et son âgemuressence ont été inégalement partagées entre les Cantons de l’Est, Montréal, Ottawa et la partie orientale de la république voisine.

Il a parcouru à peu près toutes les mers du globe et son existence a été passablement mouvementée. Le récit de ses aventures et mésaventures offre au narrateur l’occasion de rappeler au public une foule de choses qui s’oublient facilement dans la période de vie intense que nous traversons. Cela pourrait intéresser les folkloristes et les historiens qui aiment à revivre dans le passé. Pour toutes ces raisons et une foule d’autres, si vous voulez bien le permettre, je vais vous offrir, à petites doses, quelques tranches de son odyssée.

« Suivons-la depuis son berceau
Jusqu’à son sacré tombeau. »

dit le Cantique de Marseille à propos de Geneviève de Brabant.

Avant de suivre notre héros jusqu’à extinction de chaleur vitale, faisons d’abord une disgression. Nous en ferons beaucoup au cours du présent travail, à tel point que lorsqu’on en aura retranché toutes les disgressions il ne restera pas grand chose.

LES SOBRIQUETS

Nous avons dit que Quéquienne Quénoche voulait dire Étienne, fils d’Étienne. Tout cela ne donne pas le nom de famille, mais on s’en passait volontiers dans certaines paroisses au temps jadis. J’ai connu une paroisse où le curé était à peu près seul à savoir les noms de famille de ses paroissiens. Il était forcé de découvrir ces noms afin de tenir ses registres. Tous les paroissiens étaient plus ou moins apparentés.

Vous entendiez des enfants de quatre ans parler de leur cousin l’homme lequel était âgé de 70 ans. Or le cousin l’homme était un Éthier, mais ses jeunes cousins l’ignoraient. Il y avait dans la paroisse d’autres Éthier connus sous le nom de Téti.

Lorsqu’on voulait se donner la peine de faire des recherches, on constatait que toute la paroisse se partageait entre les St-Martin, les Péloquin et quelques autres ; mais que de diversité dans les noms des branches de ces familles !

Martel Antoine José Michel était un Péloquin et avait reçu au baptême l’unique nom de Martel ; mais il était fils d’Antoine, qui était le fils de José, lequel était le fils de Michel.

Joseph Manuel était un Récollet, mais tout le monde savait que les Récollet étaient des Lavallée. Les Menon aussi étaient des Lavallée, mais on ne s’en doutait guère. Pierre Pierrotte était un Cournoyer, mais Pierre Pierrot était un Péloquin. Les Crédit aussi, étaient des Péloquin. Le fils de Michel Teigne, qui devait devenir l’un de nos juristes les plus distingués, était le petit fils du major Étienne Sathieu.

Tino à Éno Petoche était Éno, fils d’Éno et petit-fils de Petoche Paulhus. Le bonhomme Castor, vieux trappeur octogénaire, était un St-Martin, tout comme Alexandre à Denis Ignace ; et Pierre Petit était un colosse de six pieds deux pouces. Il y avait les Rochette qui étaient des Larochelle. Il y avait même Michel Rochette d’en haut et Michel Rochette d’en bas.

LES FAITS ET GESTES DE PIERRE BAUTY

Cela me rappelle un incident du temps où je marchais au catichime. Parmi ceux qui se préparaient à leur première communion, dont la plupart étaient âgés de dix ans, il y avait un grand idiot âgé de dix-huit ans dont l’éducation avait été outrageusement négligée. Entre les heures de catéchisme, quelques-uns des plus avancés s’efforçaient de suppléer à son manque d’instruction religieuse. Il y a toujours des loustics, même parmi ceux qui se préparent à leur première communion. L’un d’eux — cet âge est sans pitié — avait fait accroire à Pierre Bauty qu’il fallait dire :

« Un seul Dieu tu adoreras
Michel Rochette d’en bas. »

Le bon curé n’avait pas trouvé ça drôle et l’auteur de ce démarquage du Décalogue avait failli être renvoyé.

Pierre Bauty n’avait jamais lu Gentil-Bernard, ni autre chose d’ailleurs, mais il était plus avancé en ce qui concerne l’art d’aimer qu’en matière religieuse. Un jour, il avait entrepris de nous pétrifier d’étonnement en nous démontrant jusqu’à quel point il savait parler aux filles. Lorsqu’il s’agissait d’offrir son cœur, il usait d’un procédé irrésistible.

Il commençait par dire de sa voix la plus mielleuse : « Bonsoir ma chare p’tite’ amourette, on va-t-y parler du mariage su soir ? » Il ne nous a jamais dit ce que sa Dulcinée répondait.

Un jour, Pierre nous disait qu’il avait vu un lièvre. — Parle en politique Pierre, lui fut-il suggéré, ou bien tu vas te faire prendre.

— Eh ! ben comment c’que ça s’dit en politique ? — Il faut dire un lieuvre.

— Eh ! ben, j’ai vu un lieuvre.

— Que serions-nous devenus sans Jésus-Christ ! lui demandait le curé. Cette fois, Pierre, sûr de lui-même et sans que personne l’eut aidé, répond sans hésiter : On s’rait d’venu comme des allumaux M. l’curé.

Les parents de Pierre étaient pauvres mais bêtes. Un jour, le curé faisait sa visite paroissiale, accompagné des marguilliers. On sait qu’en cette occasion chacun donnait des provisions pour les pauvres. Pierre n’avait pas de pantalon, ou du moins son pantalon était tellement troué que la mère, un peu en retard, avait caché Pierre sous le lit pendant qu’elle procédait au raccommodage.

Le curé et les marguilliers n’étaient pas en retard. En les voyant arriver le père dit à Pierre : « Mon mardi, si t’as l’malheur de sortir pendant qu’ils seront icite, j’te sacre la volée d’vant M. l’curé. »

Le dévoué pasteur entre et s’informe de l’état des ressources de la famille. — Ben, on est pas mal, on a des pois, répond le père. Alors, Pierre, indigné, sort de sa cachette et s’écrie : « Ma sacrée conscience, on a guinque deux forsures pourrites. » Alors, le bonhomme attrape Pierre d’une main, les pincettes de l’autre, et se met en devoir d’administrer à sa progéniture une raclée aussi familiale que mémorable. Les marguilliers intervinrent à temps, mais quel compte le pauvre Pierre a dû avoir à régler après leur départ !

Ce qui précède m’a un peu éloigné de mon sujet. Revenons à nos moutons qui, pour le moment, sont des sobriquets.

Il y avait Petit Sinette, encore un colosse, dont le nom véritable était Pierre Dupré. Le véritable nom de Laurent Baptiste Félix était Laurent Péloquin ; Charlette à Charlet Ignacette se nommait réellement Charles Girouard ; les Baptistène étaient des Lincourt et les Chevalier étaient des Dégourdy.

Quéquienne Quénoche étant arrivé tout jeune dans la paroisse on ne lui avait pas changé son nom de famille. Je le lui change en lui octroyant un nom tombé en déshérence. Je vais le suivre dans toutes ses pérégrinations, cela me permettra de recueillir chemin faisant, un certain nombre de faits de nature à éclairer un tant soit peu les mœurs, usages, coutumes et ambiances des endroits où il a séjourné, et cela ne m’empêchera pas de crayonner, en passant, les silhouettes et profils d’individus qui n’étaient pas des types ordinaires. Je prends mon bien où je le trouve et le bien des autres lorsque ceux-ci ne veulent pas se donner la peine de le ramasser. Quant aux types dont : je viens de parler, comme dit Alfred de Musset :

« À l’un je prends le nez,
À l’autre, le menton, à l’autre… Devinez. »

Dès les premiers mois de son existence Quéquienne criait et braillait tellement fort qu’on sentait bien qu’il était destiné à faire du bruit dans le monde ; et sa manière de se fourrer les doigts dans le nez avait quelque chose de particulièrement distingué. Quand il disait gou… gou, il le disait sur un ton qui n’admettait pas de réplique. Il était facile de prévoir qu’il deviendrait un homme de caractère. Son caractère serait-il bon ou mauvais ? C’est ce qu’on ignorait alors et c’est ce que nous verrons plus tard.

À CONTRECŒUR

Remontons un peu le cours des âges afin de nous renseigner sur la généalogie de Quéquienne. Celui-ci était né vers 1847, l’année du typhus. Son père avait vu le jour en 1815 ; son grand-père paternel, en 1783 ; son bisaïeul, également paternel, en 1750. Ce dernier, était par conséquent, né sujet du roi de France, et se rappelait vaguement la part prise par son père à l’héroïque résistance de la colonie contre l’invasion anglaise. Le fondateur de la famille avait dû faire partie du régiment de Carignan, ce qui semble attesté par l’existence d’un fief situé sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, fief qui perpétue encore de nos jours le nom patronymique de la famille.

Devenu sujet anglais en vertu d’un traité auquel il n’avait nullement participé, le bisaïeul de notre héros se dit que l’heure était aux transformations. Il était cultivateur ; il se fit potier, ce qui lui valut le sobriquet de Petit Potte et lui rapporta une fortune relativement considérable, si bien qu’il put laisser de belles terres à chacun de ses garçons et de ses filles.

Petit Potte n’était pas M. Jourdain, mais il faisait de la céramique sans le savoir. Il fabriquait non-seulement des pots de terre ordinaires, mais aussi, de belles faïences qu’il allait vendre à Montréal. J’ai souvent entendu le grand-père de Quéquienne raconter comment Petit Potte employait parfois ses enfants, et d’autres marmots, à triturer de leurs pieds nus la terre qui servait à la confection de ses produits.

Ceci se passait dans une paroisse que je ne veux pas nommer. J’aime à m’entourer de mystère. Elle était et elle est encore située sur la rive sud du fleuve, à dix lieues de Montréal et, à cinq lieues de Sorel.

Quand j’étais enfant, ce dernier endroit avait été plus ou moins légalement — débaptisé par des anglomanes trop zélés. Le nom de Fort William Henry, qu’on voulait lui imposer, n’a pas survécu.

La paroisse où florissait alors, la poterie de Petit Potte était, et elle est encore, je crois, canoniquement dédiée à la Trinité. Elle est plus connue sous le nom de Contrecœur, nom qu’elle a emprunté à l’un des brillants officiers du roi Très Chrétien.

On me pardonnera cette indiscrétion. Je m’autorise de l’exemple d’un poète oublié. Nous avons beaucoup de poètes oubliés. Celui dont je veux parler était pourtant un des précurseurs du décadentisme. Ce qu’il s’en fichait des règles de la versification ! Il racontait en vers très libres les péripéties d’une émeute qui avait eu lieu à Québec, et voici deux de ses vers qui me reviennent à la mémoire :

Une autre victime dont je tairai le nom :
David Michaud, un garçon bien paisible.

Cela vaut à peu près l’aveu tacite de Paulette Bourque, qui disait à ses frères et sœurs : « Je l’ai cachée comme il faut, ma gomme d’épinette, et vous ne pourrez jamais la trouver : Dans le grenier, sur les ravalements, le long de l’avant-couverture ».

Contrecœur, puisque Contrecœur il y a, était alors une paroisse très prospère. On y récoltait le blé à pleines clôtures. La mouche hessoise et le charançon, qui devaient plus tard forcer les gens à abandonner la culture du blé, n’avaient pas encore fait leur apparition. Les mœurs étaient paisibles. L’industrialisme n’avait pas encore gâté le pays. Il n’y avait pas de très grandes villes ; pas de dépeuplement de la campagne au profit des centres manufacturiers.

LE BON VIEUX TEMPS

On n’avait pas encore commencé à se vêtir de camelotte fabriquée en vue de l’usure rapide et des renouvellements fréquents. Chaque maison de campagne avait son rouet et son métier à tisser. On cultivait assez de lin pour suffire aux besoins de la famille. On le faisait rouir dans l’eau stagnante et, lorsque les tiges étaient suffisamment rouies, les voisins, et les voisines étaient convoquées pour procéder au broyage. Après avoir été séchées au four, ces tiges étaient distribuées aux brayeuses. qui les inséraient dans les brayes, espèce de banc portant une rainure sur laquelle on posait une poignée de lin que l’on broyait en rabattant à plusieurs reprises un gourdin assujetti par un bout et muni d’un manche dépassant le bout extérieur de la rainure. Ces poignées de lin ainsi broyées étaient passées aux peigneuses qui, à l’aide d’une planchette munie de longs clous, débarrassaient la fibre des écorces qui y adhéraient encore. Les déchets formaient l’étoupe servant à calfeutrer, et la belle filasse blonde était plus tard transformée en fil, en draps de lit, en serviettes, en chemises et en vêtements d’été. Ces tissus étaient inusables et se vendraient aujourd’hui à des prix très élevés, s’il y en avait encore.

La laine des moutons, cardée, filée et tissée à la maison, fournissait la flanelle, le droguet, la grosse étoffe grise et la petite étoffe bleue qui servaient de vêtements aux hommes, femmes et enfants. Les tuques, bas et mitaines avaient la même origine domestique. Il y avait des tanneries dans presque chaque paroisse. Chaque habitant était son propre cordonnier et son propre gantier. Les bottes sauvages et les souliers de bœuf, à l’empeigne ridée et grimacière, étaient cousus à la maison avec de la bonne babiche taillée à même la peau de veau. Il en était de même des doubles mitaines en cuir destinées à recouvrir, les mitaines de laine. Elles empêchaient celles-ci de s’user trop vite et leur aidaient à protéger les mains contre le froid.

À propos de souliers de bœuf, je me rappelle qu’un Français avait bien fait rire les gens en leur demandant naïvement : « Mais, est-ce qu’on chausse les bœufs en ce pays ? Cette question était posée beaucoup plus tard ; après que la gloire, comme on disait alors, eût monté à la tête des gens au point qu’on n’allait plus à l’église sans apporter, au moins, ses souliers français afin de les chausser avant que d’entrer, dans le lieu saint. Cela ménageait beaucoup les chaussures de magasin, mais cela usait les souliers de bœuf, et on a fini par abandonner cette pratique.

On dépensait peu d’argent. On en avait peu à dépenser ; mais on n’en avait pas besoin, puisqu’on avait tout à souhait à la maison. La vie des champs était loin d’être aussi monotone que nos citadins d’aujourd’hui pourraient le croire. Il y avait le brayage, les épluchettes, les levages, les corvées, les fricots, les noces et mille et une autres occasions de se réunir. Les traditions se perdent, et l’énumération ci-dessus nécessite peut-être quelques explications. Je viens d’expliquer ce que c’était que le brayage. Aux épluchettes, la soirée se passait à dépouiller de leur enveloppe les épis de blé-d’inde. L’heureux mortel qui trouvait un épi à grains rouges avait l’avantage d’embrasser une jeune fille à son choix. L’épi rouge était ensuite confisqué, afin d’empêcher qu’on lui fît faire double emploi, ce qui n’était pas permis. Une énorme marmite pendue à la crémaillère de l’immense cheminée faisait bouillir les épis destinés au réveillon.

Les corvées étaient devenues autre chose qu’une contribution obligatoire de travail. Ce mot, emprunté d’abord au service militaire, se prononçait courvée. Plus tard, dans les Cantons de l’Est, on en a fait le mot bi, emprunté au mot anglais bee et rappelant l’industrieuse abeille. C’était sur invitation que les gens se réunissaient pour aider un voisin à faire un travail nécessitant l’union des forces rurales : le défrichement d’une pièce de terre, la construction d’un pont, etc. Le levage était une corvée pour l’érection d’un bâtiment. La journée de travail était suivi d’un repas pantagruélique et parfois d’une danse.

On se rencontrait aussi, et très souvent à l’église, que tout le monde fréquentait assidûment. On avait de beaux chevaux, de belles voitures d’hiver et d’été. On se fiançait de bonne heure. Les mariages étaient précoces, surtout chez les femmes. Les deux grand-mères de Quéquienne s’étaient mariées à quinze ans, tout juste à la veille de passer vieilles filles.

Les longues soirées d’hiver réunissaient les campagnards tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On jouait aux cartes ; pas à des jeux intéressés, mais à des jeux intéressants. Les femmes apportaient leur tricotage. La maîtresse de céans cardait ou filait. Les hommes fumaient en s’occupant à de menus travaux de vannerie ou de cordonnerie domestique.

On contait des contes, et chacun chantait sa petite chanson. Le poêle à deux ou trois ponts, provenant des forges de Saint-Maurice, était copieusement bourré de bon bois franc. Il ronflait en répandant une chaleur assez intense pour tenir les gens à une distance respectueuse ; mais n’empêchait pas l’eau de geler sur le banc des siaux.

Parfois, l’un des assistants, et plus souvent l’une des assistantes, faisait une lecture édifiante. Malgré l’absence d’écoles françaises subventionnées par les pouvoirs publics, le nombre des illettrés était moins considérable qu’on ne serait porté à le croire. Bon nombre de jeunes filles instruites dans les couvents, dont l’établissement a précédé de beaucoup celui de nos collèges, s’étaient volontairement constituées les institutrices de leurs familles et des familles voisines. Le curé de l’endroit se faisait un plaisir d’enseigner la lecture et les éléments à ses paroissiens jeunes et vieux. C’était l’âge d’or, précisément parce que l’auri sacra fames n’avait pas corrompu nos mœurs campagnardes.

Depuis deux siècles, la race française avait réussi, au prix des efforts les plus généreux, à se maintenir intacte dans la vallée du St-Laurent. La lutte constante contre la rigueur du climat, contre les Iroquois, contre l’Angleterre et ses colonies avait fortement trempé, physiquement et moralement, les générations qui s’étaient succédé. Le sang des hardis marins, soldats et découvreurs s’était conservé pur de tout alliage. Les traditions françaises et catholiques se perpétuaient.

Le code de l’honneur et le sens moral constituaient une loi non écrite mais universellement respectée. On était « franc comme l’épée du roi. » La vie aventurière exerçait encore un irrésistible attrait sur ces descendants de soldats-défricheurs, mais leurs mœurs familiales étaient si douces que l’on eût difficilement reconnu chez le paisible « habitant » le rude batailleur dont la jeunesse s’était écoulée au milieu des dangers et des combats à outrance.

Le sentiment religieux et l’influence féminine avaient facilement oblitéré la brutalité de langage et de manières acquise au cours de la vie guerrière ou nomade. Dans chaque famille, la prière du soir se faisait en commun. Les exercices religieux du carême, les retraites, etc., étaient régulièrement suivis. Le père de famille ne manquait jamais de tracer, avec son couteau, une croix sur la miche de pain avant d’en distribuer une tranche à chacun des convives. Nul ne prenait son repas avant de dire son benedicite ; nul ne terminait son repas sans réciter ses grâces. Ces pieuses pratiques se perpétuent encore dans nos campagnes. Malheureusement, elles tombent en désuétude dans les villes, où l’évolution des us et coutumes n’est pas à notre avantage. En général, les Canadiens étaient d’excellents catholiques, mais tous n’étaient pas des saints.

LES LOUPS-GAROUS

Il n’y a pas de règle sans exception et, de nos jours encore, j’en connais qui ne semblent pas se conduire comme s’ils espéraient être ultérieurement béatifiés. Les histoires de chasse-gallery qui datent de ce temps reculé nous prouvent que tout le monde ne suivait pas la voie droite.

Il y avait des loups-garous, très peu, mais assez pour défrayer les conversations. Passer sept ans sans aller à confesse, c’était s’exposer au sort de Nabuchodonosor. Celui qui courait le loup-garou, était mal vu. On ne songeait pas le moins du monde à en faire un député ou un ministre. Il est vrai qu’on n’avait alors ni députés ni ministres et qu’on ne s’en portait pas plus mal.

Courir le loup-garou, c’était être changé en bête pour ses méfaits. Il y avait même des loups-garous que leur métamorphose ne changeait pas beaucoup.

J’ai connu jadis un mendiant nanti d’un sobriquet qu’il devait à son invariable et onctueux boniment. On le surnommait « La sainte charité. » Il s’était livré assez jeune à l’exercice de sa noble profession ; mais il n’était jamais retourné dans la région où il avait fait ses débuts. Voici pourquoi :

Il se trouvait un beau soir dans une auberge où quelques buveurs étaient réunis, lorsque survint un individu grand, fort et bête, accompagné d’une vache qu’il attacha dans la remise avant d’entrer se désaltérer. Pendant qu’il était occupé à se rincer la dalle, les autres complotaient pour lui jouer un tour. Moyennant finances, ils s’entendirent avec le mendiant pour que celui-ci personnifiât la bête bovine.

— C’est entendu, lui dirent-ils. Nous, allons vous attacher à la place de la vache. Vous prétendrez avoir couru le loup-garou et avoir été délivré par lui.

— Mais il est bien fort. Il va me tuer. — Vous vous sauverez ; il sera trop saoul pour vous rejoindre.

Ses libations terminées, notre homme sortit pour aller détacher sa compagne de route. Il était un peu gris et il y avait de la glace ou de la boue détrempée sur le pavé de la remise.

Le pied lui glissa et il heurta le mendiant, lequel au bout de la laisse qui l’attachait au poteau, s’était porté à sa rencontre afin d’établir le contact prévu dans le plan concerté.

— Qu’est-ce que vous faites ici, vous ? Où est ma vache ? — Vout’ vache ? C’était moi, monsieur. Je courais le loup-garou et vous m’avez délivré. Je vous en remercie ben des fois, mais ne me déclarez pas.

— Ah ! ben, c’est ben dommage ! Vous étais ane si bonne vache ! Vous donnais donc du bon laite, ben gras, et vous en donnais ben. Vous avais donc des beaux veaux ! Vous étais ane laitière sans pareille. Vout’ pis était d’ane grosseur ! Mais c’est pas juste. Avec tout ça j’ai pus de vache. Attends un peu : j’m’en vas te redélivrer.

— Faites ben attention ! Si vous me tuez, vous n’aurez plus de vache — J’te tuerai pas ; j’te vas frapper avec ma corde.

Atteint en pleine figure, le quêteux se mit à beugler comme s’il fut réellement devenu vache. Les buveurs, trouvant que la plaisanterie avait assez duré, ramenèrent la vache, qui n’était pas loin et qui fut bientôt remise en la possession de son légitime propriétaire, lequel resta convaincu qu’il avait délivré et redélivré le mendiant.

À demi rassuré, le vacher dit au quêteux : « Si jamais je te rattrape par icite à rôder autour des vaches pour courir le loup-garou, je te délivrerai si bien que tu t’en iras chez le diable pour n’en plus revenir. » Et voilà pourquoi, vers la fin de sa carrière, La sainte Charité s’abstenait religieusement d’aller exercer son industrie dans la région où il passe encore pour avoir couru le loup-garou.

LES MŒURS D’ANTAN

Il n’y avait guère d’ivrognerie. Pas de dipsomanie atavique et crapuleuse. Nos campagnards n’étaient pas des fils d’alcoolisés ? Longtemps après la cession, les vins de France étaient restés la boisson de consommation courante. L’importation de la jamaïque a précédé quelque peu l’établissement de la distillerie Molson.

Ce sont les Anglais qui ont introduit chez nous la plaie de l’alcool mais ce ne sont pas eux qui ont été les premiers à combattre efficacement ses ravages. Avant son apostasie, le fameux Chiniquy avait fait une campagne de tempérance restée célèbre. Plus tard, le Père Mailloux avait distribué des croix de tempérance dans toutes les paroisses de la région. Je me rappelle le temps où, dans certaine paroisse, un homme eut été déshonoré s’il s’était permis de prendre un verre de boisson alcoolique.

Mais cela nous amène vers le milieu du siècle dernier. Remontons vers la fin du siècle précédent. Contrecœur ne s’était guère aperçu de l’invasion américaine de 1775. Celle de 1812 devait produire une impression plus profonde chez nos populations rurales, vu qu’elle a nécessité la levée en masse : l’appel aux armes de tous les hommes valides, plus généralement désigné sous le nom de « commandement général. »

Les traditions militaires s’étaient quelque peu oblitérées depuis 1760. Les familles canadiennes ne comptaient plus de soldats, mais elles persistaient à fournir un fort contingent de trappeurs au service des grandes compagnies organisées pour le commerce des pelleteries.

C’était surtout chez les nôtres que la compagnie de la Baie d’Hudson, la compagnie du Nord-Ouest et d’autres compagnies recrutaient les hardis voyageurs de là-haut. Le Canadien avait cessé d’être militaire, mais il était resté un peu coureur de bois. Le goût des aventures et de la vie nomade se perpétuait, en attendant que les fils des voyageurs de là-haut devinssent les bûcherons et les flotteurs de bois des grandes compagnies forestières.

LES ANCÊTRES DE QUÉQUIENNE

« Petit-Père, » l’aïeul paternel de Quéquienne, étant né d’un père relativement riche, au cours d’une période d’accalmie guerrière, n’avait jamais porté l’uniforme, ni même pris part aux lointaines excursions cynégétiques de ses contemporains. Il avait tenu table ouverte et mené joyeuse vie, en tout bien tout honneur.

Il s’acheminait gaîment vers la trentaine lorsqu’il épousa une jeune fille de quinze ans qu’il avait bercée jadis. Peu de temps après son mariage, il avait failli mourir de l’anthrax contracté en écorchant une de ses vaches morte du charbon. Pour lui sauver la vie, il avait fallu lui amputer le bras droit, ce qui l’avait dispensé de répondre à l’appel aux armes en 1812. Incapable de se livrer aux durs travaux des champs, il avait ouvert une école et ses élèves, qui ne le payaient pas très cher, lui avaient décerné le nom de « Petit-Père » pour le dédommager un peu.

La progéniture était survenue robuste, réitérée, nombreuse et frétillante. Avant que ses enfants eurent atteint l’âge où ils purent le remplacer aux travaux de culture, il s’était vu obligé de grever la belle ferme que son père lui avait donnée dans le « brûlé » de Contrecœur.

LE COMBAT DE SAINT-DENIS

En 1837, trois de ses fils étaient devenus hommes. L’aîné devait hériter de la terre paternelle, quitte à faire vivre le père et la mère et à payer une certaine redevance à ses frères et sœurs.

L’insurrection éclata au moment où les deux autres se disposaient à entrer en apprentissage. Lorsqu’ils entendirent le son des cloches et le canon qui grondait à Saint-Denis, les trois garçons, Hyacinthe, Quénoche et Tatite, s’emparèrent des trois fusils et partirent à travers champs pour se rendre à Saint-Antoine où ils arrivèrent juste à temps pour traverser à Saint-Denis sous le feu des soldats anglais.

Petit-Père avait beaucoup insisté pour se joindre à ses fils ; mais ceux-ci avaient fini par le convaincre de l’inutilité d’aller risquer sa peau lorsque son infirmité le rendait incapable de combattre.

Les boulets ricochaient autour du bac chargé de patriotes se portant au secours des insurgés qui, par les fenêtres de la maison St-Germain répondaient à coups de fusils aux coups de canon des assiégeants.

À un moment donné, la passerelle d’atterrissage de l’une des extrémités du bac fut emportée par un boulet. Le choc imprima au bateau un mouvement giratoire sans cependant faire chavirer l’embarcation à fond plat. « Couchez-vous » cria le traversier Roberge qui, continuant à ramer pendant que les autres se mettaient à plat ventre, aborda bientôt sur la rive de Saint-Denis. L’escouade franchit au pas de course la distance qui la séparait de l’abri provisoire des patriotes.

L’histoire du « feu de Saint-Denis » a été magistralement résumée par Benjamin Sulte dans les quelques lignes qui suivent :

« Quelques centaines de Canadiens, armés de fourches, de faulx, de bâtons, et presque sans fusils, résistèrent, six heures durant, à un corps de troupes royales, fort de cinq cents hommes et supporté par de l’artillerie. Abandonnant canons et équipages, le colonel Gore termina la journée par une retraite humiliante. Plus tard, l’armée anglaise reparut à Saint-Denis et brûla le village ; personne n’était là pour lui résister. »

Avant de se remettre en route, Gore avait menacé les patriotes d’un combat à l’arme blanche. C’était précisément ce que ces derniers attendaient avec impatience depuis des heures. Au moment où les soldats mettaient la baïonnette au canon pour s’élancer au pas de course contre la barricade inachevée qui obstruait la route, les patriotes sortirent de la maison en pierre dont le pignon avait été partiellement démoli par le canon, et vinrent les rencontrer. Il y avait parmi cette foule des guerriers dont la seule arme à feu était… un tisonnier.

Ils n’avaient jamais publié le moindre volume de vers ; mais leur noble courage était digne d’inspirer la verve de leur homonyme Stéphane Mallarmé. Ceux qui avaient des fusils redoublèrent de zèle. N’étant plus gênés par l’encombrement et l’étroitesse des fenêtres, ils purent multiplier les coups et tirer presque à bout portant. Devant la menace des fourches et des faulx, les soldats firent volte-face. On les poursuivit jusqu’à la ligne limitrophe de Saint-Ours. Ils s’arrêtèrent alors et firent signe qu’ils se rendaient. Les patriotes se consultèrent.

— « Qui est-ce qui va les nourrir ? dirent-ils. — Nous allons être obligés de retourner chacun chez soi faute de vivres. C’est égal : ils n’ont toujours pas pris le docteur Nelson et l’honneur est sauf. »

Au fond, c’était bien là tout ce qu’ils avaient espéré, sinon tout ce que certains d’entre eux auraient souhaité comme résultat de la prise d’armes. Exaspérés par la longue série d’illégalités commises par les adhérents de l’oligarchie, il est certain que les patriotes désiraient l’indépendance du Canada ; mais bon nombre d’entre eux ne se faisaient guère d’illusions sur la possibilité de se débarrasser de la tutelle britannique si maladroitement représentée par la clique des francophobes.

Pour avoir osé entreprendre une lutte constitutionnelle en faveur des droits du peuple, les chefs du mouvement démocratique étaient accusés de sédition par une bande d’énergumènes qui n’avaient jamais hésité à troubler la paix publique chaque fois qu’ils s’étaient crus les plus forts.

On s’était bien gardé de sévir contre les membres du Doric Club qui, les premiers, sans la moindre provocation, avaient eu recours à la violence ; mais, du moment que les chefs des patriotes avaient l’audace de suggérer des moyens constitutionnels d’obtenir les libertés dont les francophobes jouissent et dont ils abusent maintenant, libertés que nous devons à l’insurrection, il fallait s’emparer de ces chefs et les mettre à mort pour leur apprendre à vivre. Les combattants de Saint-Denis ne l’entendaient pas de cette oreille-là, et ils venaient de prouver aux suppôts de la tyrannie qu’ils n’étaient pas de leur bord.

Hélas ! cette victoire du droit fut suivie de bien tristes lendemains. Peu de temps après, les patriotes étaient écrasés à Saint-Charles, où ils succombaient en héros, comme devaient succomber les héroïques compagnons du brave Chénier.

POURQUOI ?

Lorsque j’allais à l’école, j’avais, parmi mes livres de classe, l’Abrégé de l’Histoire du Canada, lequel ne contenait qu’une mention très succincte de l’insurrection de 1837-38. Mon père y suppléait. Il avait combattu à Saint-Denis, et les événements de cette période agitée étaient encore présents à sa mémoire. Plus tard, vers 1857, autant que je puis m’en souvenir, une nouvelle édition de l’Abrégé contenait un certain nombre de belles pages donnant des détails intéressants qui concordaient avec les récits de mon père. Peu de temps après, ces pages furent supprimées dans les éditions subséquentes. Pourquoi ? Avait-on peur de donner des leçons de civisme aux générations futures ? Il y avait pourtant là des exemples de désintéressement qui ne leur auraient fait aucun mal.

Pendant que nos ennemis persistent à fausser l’histoire afin de prêter le beau rôle à ceux qui, de tout temps, se sont efforcés de nous dénationaliser, il semblerait que la principale préoccupation de certaines gens est d’éviter de contredire les assimilateurs. À en juger par les appréciations de la presse anglaise, on dirait que nous avons toujours été et que nous sommes encore une menace constante contre la paix publique, une menace contre la sécurité du monde en général et des anglophones en particulier.

Ceux-ci, ou du moins ceux qui parlaient et agissaient en leur nom, redoutaient notre puissance au point de vouloir nous exterminer lorsqu’ils étaient vingt contre un. Il est vrai qu’ils n’ont pas réussi ; mais enfin, nous n’étions pas si méchants qu’ils feignaient de le croire, et nous n’avons jamais fait autre chose que nous défendre contre leurs attaques lorsqu’ils nous ont mis dans la nécessité de leur résister.

Depuis qu’ils sont trente contre un dans l’Amérique du Nord, depuis qu’ils font la pluie et le beau temps dans les immenses territoires découverts, explorés, conquis et partiellement colonisés par nos pères, ils n’ont cessé de nous calomnier. Ils craignent encore que nous les réduisions en servitude !

Ils n’ont rien appris, rien oublié. Leurs gouvernants en sont encore à se constituer les agents provocateurs chargés de fomenter des révoltes qui leur permettraient d’exterminer dans de sanglantes répressions ceux d’entre nous qui ne voudront pas se laisser assimiler. Les calomnies dont nous sommes constamment l’objet de la part des ennemis de notre race, les appels à la violence, les dénis de justice, les continuels empiètements sur nos droits acquis, toute cette politique haineuse d’où l’orangisme tire sa subsistance ont, de tout temps, offert aux autorités de bien meilleures occasions de sévir contre les agitateurs que celle qui leur était offerte par les 92 résolutions.

On a eu beau s’efforcer de nous faire passer pour une race inférieure, ce sont toujours les nôtres qui ont joué le beau rôle dans toute la partie nord du continent américain. Nous avons pu être négligés, vilipendés, exploités et abandonnés avant la cession, revilipendés, ré-exploités et persécutés depuis ; mais ce n’est certainement pas nous qui avons jamais tenté de persécuter les autres.

Nous n’avons plus qu’une seule province où la majorité est d’origine française, et c’est la seule où la minorité n’a jamais eu la moindre occasion de se plaindre. Au Nord-Ouest, il y a eu trois insurrections — en comptant celle de Louis Riel père — . Toutes ont été fomentées par des agents provocateurs. Dans chaque cas, les événements ont donné raison aux insurgés. Là comme ailleurs, ceux qui nous ont combattus sont bien aises de jouir des libertés qu’on leur a conquises en dépit de leurs menaces et de leurs voies de faits. Il paraît que, seul, l’insurgé canadien-français a toujours tort. On peut brûler les édifices du Parlement à Montréal, jeter des pierres et des œufs pourris au gouverneur-général, assassiner ses adversaires comme en Irlande ou ailleurs. Ce sont là des actes méritoires ; mais résister par les armes à ceux qui viennent illégalement s’emparer de citoyens dévoués à l’intérêt public, c’est là un crime irrémissible, et il ne fallait pas laisser soupçonner aux élèves que des Canadiens avaient pu s’en rendre coupables.

Ils avaient peut-être tort ceux qui croyaient que le recours aux armes pouvait avoir pour résultat la rupture du lien colonial ; le mouvement était trop restreint pour justifier un tel espoir. Cependant, la plupart des patriotes n’entrevoyaient que la possibilité de se soustraire à la tyrannie des bureaucrates. Du reste, comme le dit si bien Benjamin Sulte dans son Histoire des Canadiens-Français : « Les plus belles pages de notre histoire sont celles où nous avons résisté contre plus forts que nous. »

Depuis la cession, nos annales peuvent se résumer comme suit : agitation constante, dirigée contre nous, en faveur de la persécution ; agitation intermittente, de notre part, pour la défense des opprimés. On nous attribue tous les torts, tous les défauts, tous les vices et toutes les vilenies. « Gardez-vous bien de contredire vos accusateurs, nous dit-on. Vous allez les mécontenter et ils vont vous dévorer à la croque au sel ». Comme s’il n’étaient pas déjà suffisamment mécontents pour nous dévorer s’ils le pouvaient.

Non. Le meilleur service que nous puissions leur rendre, dans leur intérêt comme dans l’intérêt de tout le monde, c’est de leur révéler la vérité. Elle leur est systématiquement dissimulée par des gens qui seront bien à plaindre le jour où notre disparition leur aura enlevé le gagne-pain que leur procure leur perpétuelle campagne de dénigrement. La charité chrétienne nous fait un devoir de les renseigner, dussent-ils en crever de dépit en même temps que mourront de frayeur ceux qui, pour conserver la paix, proposent de donner carte-blanche aux fauteurs de discorde.

Après une période d’effervescence aussi violemment réprimée qu’elle avait été maladroitement provoquée, bon nombre de patriotes jugèrent prudent de mettre la frontière entre eux et les prétendus vengeurs de la majesté des lois. Hyacinthe et Quénoche allèrent se fixer provisoirement à Northfield, Vermont, où ils entrèrent au service d’une manufacture de drap.