Pierre l’Ibérien

Petrus der Iberer, etc.
Pierre l’Ibériensérie 9, tome 5 et 6 (p. 218-220).

Petrus der Iberer, ein Charakterbild zur Kirchen und Sittengeschichte des fünften Jahrhunderts. Syrische Uebersetzung einer um das Jahr 500 verfassten griechischen Biographie. Herausgegeben und uebersetzt von Richard Raabe. Leipzig, Hinrichs, 1895, in-8o, p. vii, 132 et 146. Prix : 15 marks.
Pierre l’Ibérien, évêque de Mayouma, près de Gazza, fut célèbre dans son temps pour sa piété, mais il ne nous était connu jusqu’à ce jour que par quelques notices fournies par les fragments syriaques de l’Histoire de Zacharie de Mytilène, et par Évagrius. En effet, quoiqu’il fût un fervent apôtre du monophysitisme, cet évêque ne joua qu’un rôle secondaire dans les luttes que le concile de Chalcédoine souleva en Égypte et en Orient. L’histoire ne fait mention que de la part qu’il prit à la consécration de Timothée Ælurus qui remplaça Protérius sur le siège patriarcal d’Alexandrie. Détaché des choses de ce monde, Pierre se consacra à la vie ascétique ; il aimait par-dessus tout la solitude et le recueillement ; ce fut contre son gré et entraîné par la force des événements qu’il accepta les charges que l’épiscopat impose.

La vie de ce saint paraît avoir fait l’objet de plusieurs ouvrages. Zacharie de Mytilène s’annonce comme l’auteur d’une Vie de Pierre l’Ibérien. Cependant la rédaction qui nous est parvenue dans une version syriaque, dont l’original grec semble perdu, est l’œuvre non pas de Zacharie, mais d’un anonyme dont le nom était déjà inconnu à Évagrius. Cette version, que publie M. Raabe, rapporte dans un endroit une vision pendant laquelle l’ascète Isaïe, au moment de quitter ce monde, s’entretint avec saint Jean-Baptiste et lui demanda le sens du mot ἀκρίδες (Math., III, 4). Le même passage est transcrit dans le lexique de Bar Bahloul sous le mot ܩܡܨܐ, mais en des termes trop différents pour ne pas supposer un autre original. Bar Bahloul avait-il sous les yeux une version syriaque de la Vie écrite par Zacharie ? Si cette œuvre de Zacharie fut traduite en syriaque, il y a lieu de penser cependant que la rédaction qui nous est parvenue lui était préférée par la majorité des lecteurs. L’auteur de cette rédaction fut, en effet, un témoin oculaire d’une partie des événements qu’il rapporte. Il demeura attaché, comme il l’indique lui-même, à la personne de Pierre l’ibérien pendant plusieurs années, et assista à ses derniers moments. C’est dans le couvent même de Mayouma, où résidait ordinairement le saint évêque, que furent sans doute rédigés ces Actes qui devaient être lus pendant la fête de sa commémoraison, ainsi que le suppose l’éditeur.

La publication de M. Raabe éveille l’attention du lecteur à plusieurs titres. La généalogie de Pierre l’ibérien, placée en tête du livre, renferme des renseignements intéressants sur l’histoire ancienne de la Géorgie ; elle est assurément digne de foi, car l’auteur l’a écrite d’après les renseignements fournis par Pierre l’ibérien lui-même, qui avait l’habitude, à un certain jour de l’année, de réunir tous les noms de ses ancêtres dans une fête consacrée à leur mémoire. Ces ancêtres étaient les anciens rois de l’Ibérie. Le premier roi chrétien parmi eux fut Bakurios, l’aïeul maternel de Pierre, qui mena une vie exemplaire de piété, de désintéressement et de charité, vie partagée par son épouse Dukṭia. Il eut pour successeur son frère Arsilios, et Bosmarios, le père de notre héros. Ceux-ci se distinguèrent également par leurs vertus et leur zèle pour la religion chrétienne.

La légende a certainement sa part dans le tableau édifiant que l’auteur trace de ces vertus chrétiennes ; mais ce tableau est sincère et il reflète la foi ardente qui illuminait alors l’Orient et animait les laïcs aussi bien que le clergé.

Élevé pieusement par sa mère et sa nourrice, le jeune Naburgios, qui devait devenir l’évêque Pierre, se sentit de bonne heure prédestiné à la vie religieuse. Ce sentiment se fortifia en lui quand il vécut à la cour de Théodose le Jeune, où son père l’avait envoyé en otage sur la demande de l’empereur. Il n’eut plus d’autre désir que de fuir le monde. Il parvint à s’échapper avec son compatriote et ami, l’eunuque Jean (de son vrai nom, Mithridate). Après avoir traversé le Bosphore, déguisés en esclaves, tous deux font le chemin à pied jusqu’à Jérusalem, où les attirent les Lieux saints. Là, ils reçoivent l’habit monacal des mains de Gérontius, archimandrite du couvent de la Montagne des Oliviers, et ils échangent leurs noms indigènes contre ceux de Pierre et de Jean. Pierre était alors âgé de plus de vingt ans ; il avait douze ans quand il était arrivé à Constantinople.

Le récit nous conduit ensuite à Mayouma sur le bord de la mer, près de Gazza, où ce saint personnage se livre aux exercices les plus rigoureux de l’ascétisme. Quelque temps avant le concile de Chalcédoine, il est élevé à la dignité épiscopale ; sept ans auparavant, il avait reçu la prêtrise.

La publication de M. Raabe est aussi intéressante pour la géographie que pour l’histoire religieuse de l’Orient.

La traduction allemande qui accompagne le texte syriaque est faite avec soin. L’introduction et les notes au bas des pages éclairent les questions historiques et géographiques que soulève l’ouvrage. M. Raabe a cherché avec succès à reconstituer le texte grec original dans les passages difficiles ou douteux.

Cette bonne et belle publication est d’un heureux augure pour les futurs travaux du jeune savant.

Rubens Duval