Physionomies de saints/Les débuts d’une Sainte

Librairie Beauchemin, Limitée (p. 133-135).

LES DÉBUTS D’UNE SAINTE


Nous savons qu’un saint donne plus de joie à Dieu que des milliers et des milliers de chrétiens ordinaires.

Malgré cela qui songe à devenir un saint ?

Dans ce parti pris de ne point aspirer à la sainteté, il y a sans doute un grand manque de courage, mais n’y a-t-il pas autre chose ?

Nous sommes tous portés à nous représenter les saints comme des êtres à part qui ne faisaient rien à demi, qui ont pu faillir sans doute, mais qui ont été tout à Dieu du moment qu’ils sont revenus à lui.

Et comme nos bonnes résolutions avortent presque toujours, comme notre vie n’est guère qu’une suite de bons désirs sans effet, nous nous croyons condamnés à toujours végéter chétivement dans la voie du bien. Pourtant tous nous pouvons devenir des saints. Ceux-là même le peuvent qui ont croupi durant des années dans la plus honteuse tiédeur, et la vie de sainte Hyacinthe Mariscotti, canonisée au commencement du siècle, dernier, le prouve éloquemment.

C’était une Italienne de grande naissance, qui ne rêvait que succès, que triomphes mondains.

Le désir de briller, d’être aimée, la posséda d’abord entièrement. Mais, malgré ses efforts, elle n’arriva jamais à être aimée, ni recherchée de personne.

Ces échecs aigrirent son caractère. L’heureux mariage de sa sœur envenima son dépit. Elle devint si désagréable, si insupportable, que personne ne voulait l’approcher.

Son père, à qui elle pesait fort, lui dit un jour qu’elle devrait se faire religieuse. Ne sachant que faire d’elle-même, elle se rendit à son désir.

Le couvent, où elle fut cacher les souffrances de son amour propre, était fort relâché.

Le premier soin de la sainte, en y entrant, fut de se choisir un appartement qu’elle meubla et orna avec magnificence.

Il va sans dire que le peu qu’elle observait de la règle elle l’observait de la manière la plus tiède.

Elle vécut ainsi, durant des années, uniquement occupée d’elle-même et de son bien-être.

Un jour, elle tomba malade. La foi vivait en son cœur ; se voyant en danger, elle demanda un prêtre.

On lui envoya un franciscain. Grand fut le scandale du religieux quand il pénétra chez la malade, quand il vit le luxe qui l’entourait.

« — Il est inutile de vous confesser, lui dit-il, le paradis n’est pas pour les religieuses de votre sorte.

— Eh quoi ! s’écria-t-elle, saisie d’épouvante, ne serai-je pas sauvée ?

— Il faut vous repentir sincèrement, il faut réparer les scandales que vous avez donnés », répondit le religieux qui sortit sans vouloir l’entendre.

Elle pleura beaucoup et la crainte de l’enfer lui fit trouver la force de quitter son lit ; elle descendit au réfectoire, où la communauté était réunie en ce moment, et demanda humblement pardon des tristes exemples qu’elle avait donnés.

Puisque Hyacinthe est une sainte, vous croyez qu’après cela elle ne songea plus qu’à se dépouiller de tout. Eh bien, non. Elle n’eut pas ce courage. Elle ne renonça pas à la vaine splendeur dont elle s’était entourée. Esclave de son bien-être et de sa vanité, elle garda ses tableaux, ses meubles précieux, et, tout en s’améliorant par degrés, ne fit d’abord rien d’héroïque.

Longtemps l’amour languit dans son cœur, mais après avoir longtemps langui il finit par l’embraser, et elle devint une sainte.

Cette histoire n’est-elle pas encourageante ?