Physionomies de saints/Bienheureux les miséricordieux

Librairie Beauchemin, Limitée (p. 132-133).

« BIENHEUREUX LES MISÉRICORDIEUX »


Un jeune et brillant seigneur de Florence ne songeait qu’à ses coupables plaisirs, quand la mort de son frère, lâchement assassiné, vint le plonger dans le deuil. La loi ne pouvait atteindre le meurtrier très haut placé. Aussi le gentilhomme jura qu’il le tuerait de sa propre main et son père ne cessait d’attiser en son cœur le feu de la haine et de la vengeance. L’occasion ne tarda pas à se présenter.

Un vendredi saint, comme il revenait de la campagne à Florence par un chemin écarté, le seigneur rencontra tout à coup l’assassin de son frère. Transporté d’une joie sauvage, il tire aussitôt son épée. L’autre, qui ne pouvait fuir, se vit perdu. Il ouvrit les bras en forme de croix, et, par la Passion de Jésus-Christ dont on faisait ce jour-là mémoire, il supplia son ennemi de ne pas lui ôter la vie.

Ce geste et cette prière émurent le gentilhomme jusqu’aux moëlles. Il jeta son épée, tendit la main au meurtrier de son frère et lui dit avec une émotion profonde :

« Je ne puis vous refuser ce que vous me demandez au nom de Jésus-Christ. Non seulement je vous accorde la vie, je vous donne mon amitié. Priez Dieu de me pardonner mes péchés ».

Les deux hommes s’embrassèrent et, après cette grande victoire sur lui-même, le noble florentin continua sa route. En passant devant l’abbaye de Saint-Meniat la pensée lui vint d’entrer dans l’église.

Un grand crucifix était exposé à la vénération des fidèles. Le jeune homme s’agenouilla à ses pieds pour implorer le pardon de ses péchés ; pendant qu’il priait, le crucifix s’anima miraculeusement, et, avec une expression d’ineffable tendresse, il inclina la tête vers lui, comme pour lui dire : « De même que tu as pardonné, je te pardonne ».

À l’heure même, le gentilhomme renonça au monde. L’Église l’honore sous le nom de saint Jean Gualbert.