Physiologie du ridicule/25
XXV
Ce petit épisode terminé, on en revint au grand mystère. Mais, ô douleur !!! ô regret !!! L’apparition humaine, la vision céleste, tout manqua ; et cela par la faute de l’adolescent somnambule.
— Pour que ses évocations soient sans effet, nous répétait son maître, il faut qu’il ait péché hier ou aujourd’hui. Alors secouant avec colère le pauvre sujet, il le forçait à s’agenouiller pour se mettre en prière.
— La grâce peut lui revenir, disait-il pendant que l’autre marmottait son Credo. Mais la grâce ne revint pas, et M. C… s’en tira en nous ajournant au moment où il aurait pris toutes ses précautions pour maintenir son petit somnambule dans l’état sans lequel on ne pouvait arriver à l’extase propice aux évocations miraculeuses.
On devine l’effet de cette chute burlesque sur un cercle dont la moitié au moins se composait de goguenards intrépides que l’évidence du miracle annoncé aurait à peine convertis ; les quolibets, les épigrammes, volèrent de bouche en bouche ; peu importait qu’ils fussent entendus des apôtres. Ces pauvres élus n’étaient point encore remontés dans leurs fiacres qu’on les accablait déjà de plaisanteries qui auraient fait perdre patience à de plus saints qu’eux.
Je ris comme tout le monde du miracle avorté ; mais j’avais remarqué un changement étrange dans l’attitude, la voix, les inflexions, enfin dans toute la personne de l’endormeur, au moment où il me sembla qu’il passait du vrai au fantastique.
Je suis toujours de bonne foi avec moi-même, ce qui n’est pas commun à tout le monde ; et je m’étais senti vivement ému pendant la consultation de la mère pour sa fille mourante. J’avais vu briller l’espérance, la sincérité, dans les yeux, de M. C… pendant qu’il faisait l’épreuve de l’écharpe, et sa confiance visible dans l’intuition du somnambule avait passé dans mon esprit au point de ne me laisser aucun doute sur la vérité de l’oracle que j’écoutais en tremblant. Ma raison ignorante, mon expérience des choses ordinaires de la vie, combattaient bien un peu mon penchant à croire à un mystère si surprenant : mais le vrai est une puissance occulte qui agit sur nos sens en dépit de notre intelligence ; nous croyons avant de comprendre, et je me trouvais alors comme subjugué par un fait dont mon esprit ne se rendait pas compte.
Combien j’aurais désiré en ce moment de pouvoir suivre madame de R… à Orléans, non pour achever de me convaincre, car je ne doutais plus, mais pour avoir un moyen irrésistible d’amener à ma croyance les sceptiques entêtés qui nous entouraient.
Je fus tiré tout à coup de l’état d’exaltation où la foi et l’admiration me plongeaient, par je ne sais quelle phrase emphatique sortie de la bouche de l’endormeur, à propos de la vision promise : le ton qu’il mit en prononçant cette phrase me fit l’effet d’un son faux après une suite d’accords mélodieux ; il me réveilla en sursaut : je passai brusquement d’une rêverie mystique à l’observation froide des gens du monde, et je pensai que pour m’avoir précipité si vite des hautes régions sur cette terre de mensonge et d’iniquités, il fallait que le professeur en fût descendu lui-même.
Depuis cet instant, ses efforts et son éloquence n’atteignirent jamais à la persuasion ; c’était le clinquant qui succédait à l’or, le charlatan au philanthrope inspiré, et le bavard au savant fier d’une grande découverte.
Chacun ressentit un peu de ce que j’éprouvais ; l’incrédulité chancelante reprit son aplomb ; la scène avait changé, bien que les personnages fussent les mêmes, mais ils récitaient au lieu d’improviser, et le souvenir de Potier dans M. Faria triomphait de toutes les pensées graves qu’un moment avait fait naître.
Le lendemain, madame de R… revint d’Orléans avec la plante désignée par le somnambule ; elle l’avait trouvée, ainsi qu’il l’avait dit, chez un propriétaire des environs, qui l’avait rapportée de Calcutta. Cette première épreuve ayant affermi la confiance de la mère, on peut juger de son exactitude à faire suivre à sa jeune malade le traitement indiqué. Mais ce qu’on ne saurait ni deviner ni peindre, c’est la joie délirante qui s’empara d’elle les jours suivants en voyant les couleurs de la vie remplacer la pâleur effrayante qui couvrait depuis si longtemps le beau visage de sa chère Nathalie.
Je n’expliquerai point le mystère de cette cure, mais ceux qui l’ont vue ont le droit de croire à la puissance du somnambulisme.
— C’est dommage, me dit quelque temps après M. G…, que cette cure merveilleuse ait été accompagnée d’une jonglerie misérable.
— Que vous êtes dans l’erreur ! lui répondis-je ; sans cette jonglerie, ni vous ni moi ne nous serions dérangés de nos habitudes : il fallait quelque chose de bien absurde, et surtout de bien ridicule pour nous attirer à cette singulière séance ; et je n’en veux pas à M. C…, qui sait le vrai du somnambulisme, de l’accorder au grossier merveilleux qui séduit le vulgaire ; sans cela personne ne prendrait garde à lui ni aux effets miraculeux qu’on peut tirer de sa science. Allons, soyez de bonne foi, et convenez qu’il en est du somnambulisme comme de toutes les découvertes importantes, dont on ne peut faire adopter les bienfaits qu’à la faveur du ridicule qui s’attache d’abord à elles. N’en rit-on pas ? c’est qu’elles ne sont point dignes d’éclairer le monde.
Quand on a un grand intérêt à être vu, il faut attirer les regards par tous les moyens possibles.