Traduction par Alice Pujo.
Éditions du Petit Écho de la Mode (p. 31-40).

VII


Quelle mauvaise journée nous avons eue hier. Comme tout était maussade et agaçant !

Je travaillais au petit salon avec maman et Dora, celle-ci encore toute douloureuse, ponctuant chaque point d’un petit soupir, et je trouvais le temps bien long lorsque, soudain, nous entendîmes sur le sable le pas d’un cheval.

Nous relevâmes la tête, nous interrogeant du regard, mais la voix de M. Carrington demandant à parler à papa dissipa nos doutes.

Maman regarda furtivement Dora qui ne bougea point, mais accentua l’expression douloureuse de son visage.

Une horrible pensée me traversa l’esprit :

Supposons qu’au cours de la conversation, M. Carrington fasse allusion à la photographie que je lui ai donnée ?

Que penseraient maman et Dora ?

À coup sùr la même idée leur viendrait, et la conclusion serait facile à trouver.

Cette pensée me glaça… il fallait à tout prix prévenir une pareille catastrophe !

Sans hésiter davantage je m’esquivai, traversai l’antichambre en courant et me trouvai devant la porte du cabinet paternel au moment où le châtelain de Strangemore allait en tourner le bouton.

Je l’attrapai par sa veste et lui chuchotait à la hâte :

— Ne dites pas un mot de mon portrait, pas un mot, à personne, comprenez-vous ?

Dans mon inquiétude d’être surprise je lui parlais tout bas, de très près, et le secouais pour accentuer mes paroles.

— Je vous le promets, vous pouvez compter sur moi, répondit-il sur le même ton en retenant ma main qui s’appuyait sur sa poitrine. Mais, dites-moi pourquoi…

— Pour rien. Allez, je vous dirai tout une autre fois !

— Phyllis, dit-il très vite et cette fois si bas que je dus tendre l’oreille, voulez-vous venir me retrouver au bord de l’eau demain dans l’après-midi, à quatre heures ?

Je cherchai à m’échapper et retirai ma main brusquement. Tout en fuyant, je lui soufflai au visage :

— Oui, demain, à cinq heures ! Car je savais qu’à ce moment-là père ne serait pas encore rentré, maman et Dora seraient en visites, et Billy prendrait sa leçon.


— Enfin, vous voilà donc, me dit-il le lendemain, comme vous arrivez tard ! Je vous accusais déjà de m’avoir oublié.

Et pourtant j’avais tant couru depuis la maison, que j’en avais les joues enflammées.

— J’ai fait un tour de force pour m’échapper, répondis-je en m’éventant avec mon chapeau, mais, après ce que je vous ai dit hier, vous m’auriez crue folle si je n’étais pas venue ; je vous dois une explication.

— Certainement. Je vous ai trouvé un air tragique. Voyons, de quoi s’agit-il ?

Devant ses bons yeux dirigés droit dans les miens, il me vint tout à coup à l’idée que j’avais une chose désagréable à lui dire.

— Avant-hier, commençai-je lentement, à cette même place où nous sommes, quelqu’un vous a surpris en train de regarder un portrait renfermé dans un médaillon… voilà ! Alors, vous comprenez, j’avais peur… qu’on puisse croire… si vous aviez parlé de mon portrait, que c’était…

— Le vôtre ? Comment aurait-on pu imaginer une chose aussi invraisemblable ?

— Ah ! fis-je vivement, je sais bien que ce n’était pas le mien, mais enfin, il ne fallait pas le donner à supposer ! D’ailleurs, deux ou trois fois déjà, depuis ce moment-là, j’ai pensé… j’ai senti que j’avais eu tort de vous donner cette photo… sans aucune autorisation. Qu’en pensez-vous ?

— Ma chère enfant, c’est une question bien difficile à résoudre par moi… Moi qui suis si heureux de la posséder ! Je suis pour vous déjà un très vieil ami… un ami sincère, et qu’est-ce qui vous prouve que ce n’était pas justement votre portrait que l’on m’a surpris à admirer ?

Je vis que M. Carrington réprimait un sourire, et il me sembla qu’il se moquait de moi.

Je répliquai d’un ton fâché :

— Ah ! quelle sottise ! Pour quelle raison m’auriez-vous mise dans un médaillon quand vous pouvez voir l’original tous les jours ? Mais vous me racontez, cela pour vous moquer de moi et voir si je vous croirai ! Eh bien ! non, monsieur, je ne suis pas une vaniteuse, ni une coquette, et… et… Mon Dieu ! que je suis donc sotte de vous avoir parlé de tout cela !

— Pardonnez-moi, Phyllis, dit-il doucement, je n’ai jamais eu l’intention de vous offenser… Mais je pense à la figure grotesque que je devais faire hier, quand j’ai été ainsi surpris.

« Dites-moi, vous n’êtes pas curieuse d’apprendre qui était la personne du médaillon ?

— Oh ! je m’en doute ! fis-je en hochant la tête. Ce doit être cette petite fille dont vous me parliez l’autre jour, cette petite provinciale que vous aimez tant ! Est-ce vrai ?

— Vous êtes une petite sorcière ! Eh bien ! oui, vous l’avez deviné.

— Puis-je la voir ? demandai-je d’un ton suppliant, laissez-moi y jeter un petit coup d’œil ?

— Vous serez déçue, je le crains bien. Je vous avertis que je ne pourrais supporter un mot de raillerie au sujet de ma beauté.

— Non, je ne serai pas déçue. Vous avez, tant voyagé et vu de jolies femmes, vous devez vous y connaître… Je vous en prie… montrez-la-moi ?

— Vous me promettez absolument de ne pas vous moquer de la personne que je vais vous montrer ?

— Mais non, je vous promets !

Il enleva de sa chaîne de montre un médaillon d’or très simple ; je me penchai curieusement au moment où il fit jouer le ressort. Comment pouvait-elle être cette rivale de la pauvre Dora ?

Et je restai saisie, pétrifiée, en reconnaissant les traits de Marian-Phyllis Vernon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je relevai lentement la tête et regardai mon compagnon. Il avait pris un air grave ; je dirai même anxieux.

— Ainsi, fis-je à voix contenue, vous m’avez mise dans un médaillon, moi aussi ?

— Ne dites pas « aussi », Phyllis, vous n’avez pas de rivale. Je ne possède aucun portrait de femme, sauf le vôtre !

— Alors, ce n’était pas vrai ce que vous m’avez dit de cette jeune fille de village ?

— C’était parfaitement vrai. Vous ne voulez donc pas comprendre ? Cette petite fille, c’est vous ? Et c’est votre image que j’embrassais l’autre jour, ici même. Il n’y a aucun visage au monde que j’aime autant que le vôtre.

— Mais je ne vous ai pas donné le droit de l’embrasser ! lui crai-je avec indignation. Je ne vous ai pas donné ma photo pour que vous la mettiez dans un médaillon et la traitiez de cette façon… D’ailleurs… je rétracte ce que je disais tout à l’heure. Vous n’y connaissez rien du tout… et personne ne me trouve jolie.

— Sauf moi, cependant, dit-il très doucement en regardant le portrait et mon visage comme pour les comparer… La Phyllis qui est ici, ajouta-t-il en montrant le médaillon, ne se fâche jamais… elle n’a pas l’air de trouver que je sois un paresseux, un méchant, un égoïste…

Impressionnée par ses reproches, je regardai, comme lui, l’innocente cause de tout ce trouble.

— C’est vrai, dis-je après un moment, je suis très à mon avantage sur cette photographie. Je suis même à peu près… passable. Cela doit venir de ce cadre en or.

— Souvenez-vous de votre promesse, dit M. Carrington d’un ton impassible : ne pas prononcer un mot de critique.

— Ah ! vous m’avez tendu un piège, fis-je en souriant malgré moi.

Appuyée contre le tronc d’un vieux chêne et les mains croisées devant moi, je réfléchissais à tous ces événements quand je m’aperçus que mon compagnon me considérait fixement. Mon chapeau gisait sur le sol et la brise éparpillait sur mon front mes boucles folles… Je lus dans le regard posé sur moi si profondément une expression nouvelle que je ne connaissais pas et qui fit battre mon cœur d’une crainte irraisonnée.

— Phyllis, murmura-t-il enfin, voulez-vous m’épouser ?

Un long silence suivit. J’étais si stupéfaite que je m’attendais à voir le ciel me tomber sur la tête.

Une demande en mariage ! à moi ?

Avais-je bien entendu ?…

Et si tout cela était réel, que deviendrait Dora ?

Il répéta, un peu déconcerté par l’expression effrayée de mon regard :

— Phyllis, chère enfant, dites que vous voulez bien m’accepter pour mari ?

Il prit mes deux mains glacées entre les siennes. J’étais trop frappée de stupeur pour pouvoir articuler un mot.

— Pourquoi ne me répondez-vous pas ? insistat-il. Sûrement, depuis des semaines, vous avez dû comprendre que je finirais par vous poser cette question. Quand même j’eusse attendu des années, il m’eût été impossible de vous aimer plus tendrement qu’aujourd’hui. Ô Phyllis, dites que vous voulez bien devenir ma femme ?

Je finis par balbutier :

— Je ne puis vraiment vous répondre comme cela. Jamais l’idée ne m’était venue que vous faisiez attention à moi. J’avais toujours pensé… nous croyions tous… que vous…

— Eh bien ?

— Que vous préfériez une autre que moi. Mais jamais, à personne, l’idée n’aurait pu venir que c’était moi que vous aimiez.

— Qui donc alors ? Votre sœur ?

— Oui, Dora. Papa et maman en étaient convaincus, et moi aussi.

— Quelle erreur absurde ! Mille Dora ne vaudraient pas une Phyllis. Je vous ai aimée, depuis ce jour où je vous ai rencontrée dans le bois, dans une situation critique, vous souvenez-vous ?

— Oui…

Je ne pus m’empêcher de rougir furieusement.

— C’est ce jour-là que mon grand amour m’est venu, et j’ai essayé de garder mon secret jusqu’à ce que cela me fût devenu impossible.

« Mais vous vous taisez, Phyllis. Pourquoi ? Je veux oublier ce que vous m’avez dit tout à l’heure.

« Je n’accepte pas de refus. Ma chérie, mon aimée, sûrement vous devez m’aimer un peu ?

Les yeux baissés et les joues en feu, je répondis :

— Non, je ne vous aime pas… pas comme cela.

— Comment l’entendez-vous ?

— Je veux dire : pas comme il faudrait pour aimer mon mari.

Un silence tomba sur ces cruelles paroles.

La main qui pressait la mienne relâcha un peu son étreinte, mais me retint cependant.

Relevant furtivement mon regard vers ce bon visage que je connaissais si bien, je fus frappée de son changement.

Immobile, pâle, ses lèvres tremblaient sous sa moustache blonde. Un grand chagrin assombrissait ses yeux.

Sachant que j’étais la cause unique d’un pareil changement, un remords aigu me traversa le cœur.

Je serrai ses mains de toutes mes forces et me hâtai de continuer :

— Mais j’ai beaucoup d’amitié pour vous… beaucoup !

« À part Roland et Billy je vous préfère à tous ceux que j’ai connus.

Ces pauvres protestations n’étaient guère encourageantes, pourtant elles ramenèrent le sang à ses joues, et la vie dans ses yeux.

— Est-ce bien, bien vrai ? Vous ne me préférez personne ? demanda-t-il ardemment.

— Oh non ! j’en suis sûre. Seulement, à part M. Brown le docteur, M. Johnston le notaire, et Brewster notre jardinier, je ne connais aucun homme. Je ne compte pas non plus notre curé, ni M. Hastings qui n’est pas un aigle.

Je souris à ce dernier et ce sourire agit plus que je n’aurais cru.

— Alors, s’écria-t-il, l’espoir lui revenant tout à coup, vous m’épouserez, Phyllis. Si, comme vous me le dites, vous avez de l’affection pour moi, je gagnerai votre amour quand vous serez mienne.

« Phyllis, continua-t-il sur un ton qui devait être de la passion, dites que vous croyez à mon amour ? Oh ! mon trésor, ma chérie, comme je vous ai désirée ! Comme j’ai souhaité ce moment qui me rapproche de vous ! Comme j’ai détesté les jours qui nous séparaient !

Il avait l’air si pressant, que je me sentais presque entraînée par la force de son amour… Mais le visage de Dora surgissant dans mon souvenir arrêta les paroles sur mes lèvres et me fit reculer.

— Phyllis… Ne voulez-vous pas me consoler ? reprit-il d’un ton suppliant.

Que lui dire ?

Je commençais à trouver la situation vraiment difficile et j’aurais bien voulu m’en aller.

— Je crois que je ne veux pas me marier encore, dis-je en hésitant, car je craignais de le blesser.

« À la maison, tout le monde me traite en enfant et… vous êtes bien plus âgé que moi.

Voyant son regard changer encore, j’ajoutai vivement :

— Je ne veux pas dire que vous soyez vieux, vous êtes encore un homme très… très bien… Mais enfin, pour moi, une gamine… vous me faites l’effet d’un… d’un grand frère, un vieil ami… qui me ferait un peu peur si je devais toujours vivre avec lui.

— Au contraire, Phyllis, je vous gâterais tant…

— Oh ! on dit cela ! Et puis, un jour, vous vous apercevriez que je ne sais ni causer avec vous, ni vous faire honneur dans le monde. Et vous regretteriez de n’avoir pas épousé une femme plus raisonnable ou plus posée que moi.

Je m’arrêtai, fort étonnée de ma propre éloquence.

Il ne m’était jamais arrivé de prononcer un discours aussi réfléchi, aussi sensé.

— Phyllis, ne parlez pas ainsi, et tâchez de me donner une autre réponse ; je ne vous laisserai pas partir sans cela, insista M. Carrington avec force. Quand je pense à tout le bonheur dont je pourrai vous combler, si vous voulez seulement me le permettre ! Vous n’aurez pas un désir qui ne soit satisfait. Vous régnerez à Strangemore ainsi qu’une belle reine dans ses États.

Tout en parlant, il regardait sur mon visage l’effet produit par ses paroles.

— L’autre jour, continua-t-il, je m’en souviens, vous disiez que vous seriez heureuse de voyager à l’étranger. Je vous emmènerai et nous irons du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est aussi longtemps qu’il vous plaira. Je crois que cela vous enchanterait, Phyllis, ne dites pas non ?

Comment dire le contraire ? Oui, sans doute, tout cela me comblerait de bonheur : posséder un si beau château rempli de merveilles, faire tous mes caprices, voyager avec un train de princesse…

Je fermai les yeux, éblouie.

Mon Dieu, comme la femme est faible !

Je me sentis prête à céder.

Si je refusais définitivement d’épouser M. Carrington, cela le rapprocherait-il de Dora ?

Non, au contraire ! D’ailleurs, je comprenais d’instinct qu’elle n’était pas la femme qui lui convenait… et cependant, j’hésitais encore.

— Me permettriez-vous de recevoir très souvent Billy, maman et… aussi Dora ? lui demandai-je timidement.

Aussitôt, un éclair de joie passa dans ses yeux.

— Ne vous ai-je pas dit que vous seriez ma reine à Strangemore et que vos désirs y seraient ma douce loi ?

Il profita du petit sourire qui fut ma réponse pour me baiser la main avec ardeur.

Mais, soudain, une affreuse pensée me traversa l’esprit.

Un instinct secret m’avertissait de m’arrêter et de réfléchir avant de me donner irrémédiablement à un homme pour lequel je n’éprouvais pas d’amour. Et si, plus tard…

Mais il fallait que je m’exprimasse à haute voix.

— Supposons, lui dis-je tout à coup, que, plus tard, quand je vous aurais épousé, il m’arrive de rencontrer un homme qui me plaise, et que je me mette à l’aimer « pour de bon ». Alors, qu’arrivera-t-il ?

Il frémit et son visage devint effrayant, il semblait défier son invisible rival.

— Qui donc vous a mis en tête une si horrible idée ? murmura-t-il. Quelle pensée diabolique ! Mais je défie pareille catastrophe. — Il sourit et haussa les épaules comme un homme sûr de lui. — Quand vous serez mienne, quand vous m’appartiendrez tout à fait, je vous défendrai contre le monde entier ! Oh ! Phyllis, petite enfant chérie, dites, dites que vous voulez ?…

Incertaine, troublée par sa propre émotion, je sentis que j’allais fondre en larmes, et ma tête s’appuya sur sa forte poitrine. Il baisa doucement et tendrement mes yeux.

— Eh bien, chérie, dites-le, maintenant, ce « oui » que j’attends ?

Très bas, très bas, je le lui dis enfin…

Sa volonté ardente l’emportait. Il me semblait que ce baiser venait de décider de mon sort en m’enlevant le pouvoir de dire non.

— Maintenant, regardez-moi, fit Mark avec un accent de tendresse infinie. Il releva doucement mon visage en pleurs que j’avais caché sur son épaule.

— Ne voulez-vous pas me permettre de contempler les yeux de ma fiancée ?

Je levai timidement vers lui mes yeux encore rouges et gonflés. Certainement, je ne devais pas être en beauté, mais mon singulier amoureux ne parut pas être de cet avis, car je lus sur ses traits une expression de triomphe et de ravissement.

— Hélas ! soupirai-je pour le faire revenir sur la terre. Que dira-t-on à la maison ? Et qui osera le leur dire ?

— Ce sera moi, fit-il avec fermeté. Voulez-vous que je vous accompagne à l’instant et que je parle à votre père ?

— Oh ! non, non, fis-je, effrayée.

Je frissonnai rien qu’à l’idée de la scène qui s’ensuivrait.

— Maintenant, il est trop tard. Venez demain, vers quatre heures. J’aurai eu le temps de m’y préparer, et nous en finirons. Monsieur… voudrez-vous dire à mes parents que je ne me doutais pas… mais pas du tout, de… ce que vous alliez me demander aujourd’hui ?

— De mon amour profond, voulez-vous dire ? Eh bien ! c’est entendu. Ce sera pour demain. Mais laissez-moi, en attendant, vous reconduire un peu sur la route de peur que quelque lutin jaloux ne m’enlève mon bonheur.

Ensemble nous traversâmes le bois et gagnâmes la route.

Et moi ? Comment analyser mes sentiments ?

Je n’étais ni contente ni fâchée de ce que j’avais fait.

Je craignais surtout les conséquences qui devraient suivre la publication de nos fiançailles, si inattendues de ma famille.

Mon mariage était, à mes yeux, un événement encore très éloigné dans un brumeux avenir et je ne m’en inquiétais guère.

— Maintenant, Phyllis, il faudra que nous fixions la date, me dit-il tout à coup, et que ce soit bientôt.

— Oh ! fis-je, très décidée, nous avons bien le temps ! Je n’ai pas l’intention de me marier si tôt.

La physionomie de mon fiancé se rembrunit.

— Quelles sont vos intentions, alors ?

— Eh bien ! mettons dans… deux ou trois ans.

— Deux ou trois ans ! s’écria-t-il, les yeux subitement assombris.

— Pensez donc que je n’ai que dix-sept ans !

— Oui, et moi vingt-neuf, cela fait compensation. Voyons, voulez-vous que nous disions six mois ?

— Non, non, non ! m’écriai-je, plutôt que de me soumettre à une tyrannie quelconque sur ce point je préférerais aller me noyer !

— Supposez-vous, s’écria Mark, que je vous contrarierais en quoi que ce soit ? Vous ne ferez jamais que ce qui vous plaira. Mais Phyllis, ma chérie, j’espère que vous aurez un peu pitié de moi. Chaque jour passé loin de vous me sera une souffrance. Oh ! ma bien-aimée, vous ne comprenez pas encore à quel point mon amour est profond et tendre !

Il me parlait avec tant de flamme que je sentis faiblir ma résolution.

Voyant son avantage, il poursuivit :

— Phyliis, essayez donc de croire que mon insistance a pour but votre bonheur comme le mien. Un jour viendra, j’en ai la certitude, où vous aurez appris à m’aimer, vous aussi.

« Le don absolu qu’un homme fait de son cœur et de sa vie doit mériter quelque retour, et je jure que ce ne sera point ma faute si chaque heure que vous vivrez ne renferme pas plus de bonheur que la précédente. Parlez, Phyllis, et dites que vous serez à moi dans…

— Un an, fis-je précipitamment.

— Cette année ne passera jamais ! s’écria Mark d’un air désolé.