Philosophie zoologique (1809)/Seconde Partie/Neuvième Chapitre

Seconde Partie, Neuvième Chapitre

CHAPITRE IX.
Des Facultés particulières à certains Corps vivans.


DE même qu’il y a des facultés qui sont communes à tous les corps qui jouissent de la vie, ce que j’ai fait voir dans le chapitre précédent, de même aussi l’on observe dans certains corps vivans des facultés qui leur sont particulières, et que les autres ne possèdent nullement.

Ici, se présente une considération capitale, à laquelle il importe infiniment d’avoir égard si l’on veut faire des progrès ultérieurs dans les sciences naturelles : la voici.

Comme il est de toute évidence que l’organisation, soit animale, soit végétale, s’est elle-même, par les suites du pouvoir de la vie, composée et compliquée graduellement, depuis celle qui est dans sa plus grande simplicité, jusqu’à celle qui offre la plus grande complication, le plus d’organes, et qui donne aux corps vivans, dans ce cas, les facultés les plus nombreuses ; il est aussi de toute évidence que chaque organe spécial, et que la faculté qu’il procure, ayant une fois été obtenus, doivent ensuite exister dans tous les corps vivans qui, dans l’ordre naturel, viennent après ceux qui les possèdent, à moins que quelque avortement ne les ait fait disparoître. Mais avant l’animal ou le végétal qui, le premier, a obtenu cet organe, ce seroit en vain qu’on chercheroit, parmi des corps vivans plus simples et plus imparfaits, soit l’organe, soit la faculté en question ; ni cet organe, ni la faculté qu’il procure ne sauroient s’y rencontrer. S’il en étoit autrement, toutes les facultés connues seroient communes à tous les corps vivans, tous les organes se rencontreroient dans chacun de ces corps, et la progression dans la composition de l’organisation n’auroit pas lieu.

Il est, au contraire, bien démontré par les faits, que l’organisation offre une progression évidente dans sa composition, et que tous les corps vivans ne possèdent pas les mêmes organes. Or, je ferai voir dans l’instant que, faute d’avoir suffisamment considéré l’ordre de la nature dans ses productions, et la progression remarquable qui se trouve dans la composition de l’organisation, les naturalistes ont fait des efforts très-infructueux pour retrouver dans certaines classes, soit d’animaux, soit de végétaux, des organes et des facultés qui ne pouvoient s’y rencontrer.

Il faut donc, dans l’ordre naturel des animaux, par exemple, se pénétrer d’abord du point de cet ordre où tel organe a commencé d’exister, afin de ne plus chercher le même organe dans les points beaucoup plus antérieurs du même ordre, si l’on ne veut retarder la science en attribuant hypothétiquement à des parties, dont on ne connoît pas la nature, des facultés qu’elles ne sauroient avoir.

Ainsi, plusieurs botanistes ont fait des efforts inutiles pour retrouver la génération sexuelle dans les plantes agames (les cryptogames de Linnée), et d’autres ont cru trouver dans ce qu’on nomme les trachées des végétaux un organe spécial pour la respiration. De même plusieurs zoologistes ont voulu retrouver un poumon dans certains mollusques, un squelette dans les astéries ou étoiles de mer, des branchies dans les méduses : enfin, un corps savant vient de proposer, cette année, pour sujet de prix, de rechercher s’il existe une circulation dans les radiaires.

Assurément, de pareilles tentatives prouvent combien on est encore peu pénétré de l’ordre naturel des animaux, de la progression qui existe dans la composition de l’organisation, et des principes essentiels qui doivent résulter de la connoissance de cet ordre. D’ailleurs, en fait d’organisation, et lorsqu’il s’agit d’objets trèspetits et inconnus, on croit voir tout ce que l’on veut voir ; et l’on trouvera ainsi tout ce que l’on voudra, comme cela est déjà arrivé, en attribuant arbitrairement des facultés à des parties dont on n’a su reconnoître ni la nature ni l’usage.

Considérons maintenant quelles sont les facultés principales qui sont particulières à certains corps doués de la vie, et voyons dans quel point de l’ordre naturel, soit des animaux, soit des végétaux, chacune de ces facultés, ainsi que les organes qui y donnent lieu, ont commencé d’exister.

Les facultés particulières à certains corps vivans, et que conséquemment les autres corps doués de la vie ne possèdent pas, sont principalement :

1°. De digérer des alimens ;

2°. De respirer par un organe spécial ;

3°. D’exécuter des actions et des locomotions, par des organes musculaires ;

4°. De sentir ou de pouvoir éprouver des sensations ;

5°. De se multiplier par la génération sexuelle ;

6°. D’avoir leurs fluides essentiels en circulation ;

7°. D’avoir, dans un degré quelconque, de l’intelligence.

Il y a bien d’autres facultés particulières dont on trouve des exemples parmi les corps qui jouissent de la vie, et principalement parmi les animaux ; mais je me borne à considérer celles-ci, parce qu’elles sont les plus importantes, et que ce que je vais présenter à leur égard suffit à mon objet.

Les facultés qui ne sont pas communes à tous les corps vivans viennent toutes, sans exception, d’organes spéciaux qui y donnent lieu, et conséquemment d’organes que tous les corps doués de la vie ne possèdent point ; et les actes qui produisent ces facultés sont des fonctions de ces organes.

En conséquence, sans examiner si les fonctions des organes dont il s’agit s’exécutent continuellement ou avec interruption, et selon les circonstances ; et sans considérer si ces fonctions concernent, soit la conservation de l’individu, soit celle de l’espèce ; ou si elles font communiquer l’individu avec les corps qui lui sont étrangers et qui l’environnent, je vais exposer sommairement mes idées sur les fonctions organiques qui donnent lieu aux sept facultés citées ci-dessus. Je prouverai que chacune d’elles est particulière à certains animaux, et qu’elle ne peut être commune à tous les individus qui composent leur règne.

La Digestion : c’est la première des facultés particulières dont jouissent la plupart des animaux, et c’est, en même temps, une fonction organique qui s’exécute dans une cavité centrale de l’individu ; cavité qui, quoique variée dans sa forme, selon les races, est, en général, conformée en tube ou en canal, ayant tantôt une seule de ses extrémités ouverte, et tantôt l’une et l’autre.

La fonction dont il s’agit, qui ne s’opère que sur des matières composées, étrangères aux parties de l’individu, et qu’on nomme alimentaires, consiste d’abord à détruire l’agrégation des molécules constituantes et ordinairement agrégées des matières alimentaires introduites dans la cavité digestive ; et ensuite à changer l’état et les qualités de ces molécules, de manière qu’une partie d’entre elles devienne propre à former du chyle, et à renouveler ou réparer le fluide essentiel de l’individu.

Des liqueurs répandues dans l’organe digestif par les conduits excréteurs de diverses glandes placées dans le voisinage, liqueurs qui se versent principalement aux époques où une digestion doit s’exécuter, facilitent d’abord la dissolution, c’est-à-dire, la destruction de l’agrégation des molécules des matières alimentaires, et ensuite concourent à opérer les changemens que doivent subir ces molécules. Alors celles de ces molécules qui sont suffisamment changées et préparées, nageant dans les liqueurs digestives et autres qui leur servent de véhicule, pénètrent, par les pores absorbans des parois du tube alimentaire ou intestinal, dans les vaisseaux chyleux ou dans les secondes voies, et y constituent ce fluide précieux qui vient réparer le fluide essentiel de l’individu.

Toutes les molécules ou parties plus grossières qui n’ont pu servir à la formation du chyle, sont ensuite rejetées de la cavité alimentaire. Ainsi, l’organe spécial de la digestion est la cavité alimentaire dont l’ouverture antérieure, par laquelle les alimens sont introduits dans cette cavité, porte le nom de bouche, tandis que celle de l’extrémité postérieure, lorsqu’elle existe, s’appelle l'anus.

Il suit de cette considération, que tous les corps vivans qui manquent de cavité alimentaire, n’ont jamais de digestion à exécuter ; et comme toute digestion s’effectue sur des matières composées, et qu’elle détruit l’agrégation des molécules alimentaires engagées dans des masses solides, il en résulte que les corps vivans qui n’en exécutent point, ne se nourrissent que d’alimens fluides, soit liquides, soit gazeux.

Tous les végétaux sont dans le cas que je viens de citer ; ils manquent d’organe digestif, et n’ont effectivement jamais de digestion à exécuter. La plupart des animaux, au contraire, ont un organe spécial pour la digestion, qui leur donne la faculté de digérer ; mais cette faculté n’est pas, comme on l’a dit, commune à tous les animaux, et ne sauroit être citée comme un des caractères de l’animalité. En effet, les infusoires ne la possèdent point, et en vain chercheroit-on une cavité alimentaire dans une monade, une volvoce, un protée, etc. ; on ne la trouveroit point.

La faculté de digérer n’est donc que particulière au plus grand nombre des animaux.

La respiration : c’est la seconde des facultés particulières à certains animaux, parce qu’elle est moins générale que la digestion ; sa fonction s’exécute dans un organe spécial distinct, lequel est très-diversifié selon les races en qui cette fonction s’opère, et selon la nature du besoin qu’elles en ont.

Cette fonction consiste en une réparation du fluide essentiel, et trop promptement altéré de l’individu qui est dans ce cas ; réparation pour laquelle la voie trop lente des alimens ne suffit pas. Or, la réparation dont il s’agit s’effectue dans l’organe respiratoire, à l’aide du contact d’un fluide particulier respiré, lequel, en se décomposant, vient communiquer au fluide essentiel de l’individu des principes réparateurs. Dans les animaux dont le fluide essentiel est peu composé, et ne se meut qu’avec lenteur, les altérations de ce fluide essentiel sont lentes, et alors la voie des alimens suffit seule aux réparations ; les fluides, capables de fournir certains principes réparateurs nécessaires, pénétrant dans l’individu par cette voie ou par celle de l’absorption, et produisant suffisamment leur influence, sans exiger un organe spécial. Ainsi, la faculté de respirer par un organe particulier n’est pas nécessaire à ces corps vivans. Tel est le cas de tous les végétaux, et tel est encore celui d’un assez grand nombre d’animaux, comme ceux qui composent la classe des infusoires et celle des polypes.

La faculté de respirer ne doit donc être reconnue exister que dans les corps vivans qui possèdent un organe spécial pour la fonction qui la procure ; car si ceux qui manquent d’un pareil organe ont besoin, pour leur fluide essentiel, de recevoir quelque influence analogue à celle de la respiration, ce qui est très-douteux, ils la reçoivent apparemment par quelque voie générale et lente, comme celle des alimens, ou celle de l’absorption qui s’exécute par les pores extérieurs, et non par le moyen d’un organe particulier. Ainsi les corps vivans dont il s’agit ne respirent pas. Le plus important des principes réparateurs que fournit le fluide respiré au fluide essentiel de l’animal, paroît être l'oxygène. il se dégage du fluide respiré, vient s’unir au fluide essentiel de l’animal, et rend alors à ce dernier des qualités qu’il avoit perdues.

On sait qu’il y a deux fluides respiratoires différens qui fournissent l’oxygène dans l’acte de la respiration. Ces fluides sont l'eau et l'air ; ils forment, en général, les milieux dans lesquels les corps vivans se trouvent plongés, ou dont ils sont environnés.

L’eau, en effet, est le fluide respiratoire de beaucoup d’animaux qui habitent continuellement dans son sein. On croit que, pour fournir l'oxygène, ce fluide ne se décompose point ; mais qu’entraînant toujours avec lui une certaine quantité d’air qui lui est, en quelque sorte, adhérente, cet air se décompose dans l’acte de la respiration, et fournit alors son oxygène au fluide essentiel de l’animal. C’est de cette manière que les poissons et quantité d’animaux aquatiques respirent ; mais cette respiration est moins active, et fournit plus lentement les principes réparateurs que celle qui se fait par l’air à nu.

L’air atmosphérique et à nu est le second fluide respiratoire, et c’est effectivement celui que respire un grand nombre d’animaux qui vivent habituellement dans son sein ou à sa portée : il se décompose promptement dans l’acte de la respiration, et fournit aussitôt son oxygène au fluide essentiel de l’animal, dont il répare les altérations. Cette respiration, qui est celle des animaux les plus parfaits et de beaucoup d’autres, est la plus active, et elle l’est, en outre, d’autant plus, que la nature de l’organe en qui elle s’opère, favorise davantage son activité.

Il ne suffit pas de considérer, dans un animal, l’existence d’un organe spécial pour la respiration ; il faut encore avoir égard à la nature de cet organe, afin de juger du degré de perfectionnement de son organisation, par la renaissance, prompte ou lente, des besoins qu’il a de réparer son fluide essentiel.

À mesure que le fluide essentiel des animaux se compose davantage, et devient plus animalisé, les altérations qu’il subit, pendant le cours de la vie, sont plus grandes et plus promptes, et les réparations dont il a besoin deviennent graduellement proportionnées aux changemens qu’il éprouve.

Dans les animaux les plus simples et les plus imparfaits, tels que les infusoires et les polypes, le fluide essentiel de ces animaux est si peu composé, si peu animalisé, et s’altère avec tant de lenteur, que les réparations alimentaires lui suffisent. Mais, bientôt après, la nature commence à avoir besoin d’un nouveau moyen pour entretenir dans son état utile, le fluide essentiel des animaux. C’est alors qu’elle crée la respiration ; mais elle n’établit d’abord que le système respiratoire le plus foible, le moins actif ; enfin, celui que fournit l’eau lorsqu’elle va elle-même porter partout son influence comme fluide respiré.

La nature, ensuite, variant le mode de la respiration, selon le besoin progressivement augmenté du bénéfice qu’elle procure, rend cette fonction de plus en plus active, et finit par lui donner la plus grande énergie.

Puisque la respiration aquifère est la moins active, considérons-la d’abord, et nous verrons que les organes qui respirent l’eau sont de deux sortes, lesquelles diffèrent encore entre elles par leur activité. Nous remarquerons ensuite la même chose à l’égard des organes qui respirent l’air.

Les organes qui respirent l’eau doivent être distingués en trachées aquifères et en branchies ; comme les organes qui respirent l’air le sont en trachées aérifères et en poumons. il est, en effet, de toute évidence que les trachées aquifères sont aux branchies, ce que les trachées aérifères sont aux poumons. (Syst des Animaux sans vertèbres, p. 47.) Les trachées aquifères consistent en un certain nombre de vaisseaux qui se ramifient et s’étendent dans l’intérieur de l’animal, et qui s’ouvrent au dehors par une multitude de petits tubes qui absorbent l’eau : à l’aide de ce moyen, l’eau pénètre continuellement par les tubes qui s’ouvrent au dehors, circule, en quelque sorte, dans tout l’intérieur de l’animal, y va porter l’influence respiratoire, et paroît en sortir en se versant dans la cavité alimentaire.

Ces trachées aquifères constituent l’organe respiratoire le plus imparfait, le moins actif, le premier que la nature a créé ; enfin, celui qui appartient à des animaux dont l’organisation est si peu composée, qu’ils n’ont encore aucune circulation pour leur fluide essentiel. On en trouve des exemples remarquables dans les radiaires, telles que les oursins, les astéries, les méduses, etc.

Les branchies constituent aussi un organe qui respire l’eau, et qui peut, en outre, s’accoutumer à respirer l’air à nu ; mais cet organe respiratoire est toujours isolé, soit en dedans, soit en dehors de l’animal, et il n’existe que dans des animaux dont l’organisation est déjà assez composée pour avoir un système nerveux et un système de circulation pour leur sang.

Vouloir trouver des branchies dans les radiaires et dans les vers, parce qu’ils respirent l’eau, c’est comme si l’on vouloit trouver un poumon dans les insectes, parce qu’ils respirent l’air. Aussi les trachées aérifères des insectes constituent-elles le plus imparfait des organes qui respirent l’air ; elles s’étendent dans toutes les parties de l’animal, et y vont porter l’utile influence de la respiration ; tandis que le poumon, comme les branchies, est un organe respiratoire isolé, qui, lorsqu’il a obtenu son plus grand perfectionnement, est le plus actif des organes respiratoires.

Pour bien saisir le fondement de tout ce que je viens d’exposer, il importe de donner quelque attention aux deux considérations suivantes.

La respiration, dans les animaux qui n’ont pas de circulation pour leur fluide essentiel, s’effectue avec lenteur, sans mouvement particulier apparent, et dans un système d’organes qui est répandu à peu près dans tout le corps de l’animal. Dans cette respiration, c’est le fluide respiré qui va lui-même porter partout son influence ; le fluide essentiel de l’animal ne va nulle part au-devant de lui. Telle est la respiration des radiaires et des vers, dans laquelle l’eau est le fluide respiré, et telle est ensuite la respiration des insectes et des arachnides, dans laquelle ce fluide respiré est l’air atmosphérique.

Mais la respiration des animaux, qui ont une circulation générale pour leur fluide essentiel, présente un mode très-différent : elle s’effectue avec moins de lenteur ; donne lieu à des mouvemens particuliers qui, dans les animaux les plus parfaits, deviennent mesurés ; et s’exécute dans un organe simple, double ou composé, mais qui est isolé, puisqu’il ne s’étend pas partout. Alors le fluide essentiel ou le sang de l’animal va lui-même au-devant du fluide respiré qui ne pénètre que jusqu’à l’organe respiratoire : il en résulte que le sang est contraint de subir, outre la circulation générale, une circulation particulière que je nomme respiratoire. or, comme tantôt il n’y a qu’une partie du sang qui se rende à l’organe de la respiration avant d’être envoyée dans toutes les parties du corps de l’animal, et que tantôt tout le sang passe par cet organe avant son émission dans tout le corps, la circulation respiratoire est donc tantôt incomplète et tantôt complète.

Ayant montré qu’il y a deux modes très-différens pour la respiration des animaux qui possèdent un organe respiratoire distinct, je crois qu’on peut donner à celle du premier mode, telle que celle des radiaires, des vers et des insectes, le nom de respiration générale, et qu’il faut nommer respiration locale, celle du second mode qui appartient aux animaux plus parfaits que les insectes, et à laquelle, peut-être, il faudra joindre la respiration bornée des arachnides.

Ainsi, la faculté de respirer est particulière à certains animaux, et la nature de l’organe par lequel ces animaux respirent, est tellement appropriée à leurs besoins et au degré de perfectionnement de leur organisation, qu’il seroit très-inconvenable de vouloir retrouver dans des animaux imparfaits l’organe respiratoire d’animaux plus parfaits.

Le système musculaire : il donne aux animaux en qui il existe, la faculté d’exécuter des actions et des locomotions, et de diriger ces actes, soit par les penchans nés des habitudes, soit par le sentiment intérieur, soit, enfin, par des opérations de l’intelligence.

Comme il est reconnu qu’aucune action musculaire ne peut avoir lieu sans l’influence nerveuse, il suit de là que le système musculaire n’a pu être formé qu’après l’établissement du système nerveux, au moins dans sa première simplicité ou sa moindre complication. Or, s’il est vrai que celle des fonctions du système nerveux, qui a pour objet d’envoyer le fluide subtil des nerfs aux fibres musculaires ou à leurs faisceaux, pour les mettre en action, est beaucoup plus simple que celle qui est nécessaire pour produire le sentiment, ce que je compte prouver ; il en doit résulter que, dès que le système nerveux a pu se composer d’une masse médullaire à laquelle aboutissent différens nerfs, ou dès qu’il a pu offrir quelques ganglions séparés, envoyant des filets nerveux à certaines parties, dès lors il a été capable d’opérer l’excitation musculaire, sans pouvoir cependant produire le phénomène du sentiment.

Je me crois fondé à conclure de ces considérations, que la formation du système musculaire est postérieure à celle du système nerveux considéré dans sa moindre composition ; mais que la faculté d’exécuter des actions et des locomotions par le moyen des organes musculaires, est, dans les animaux, antérieure à celle de pouvoir éprouver des sensations.

Or, puisque le système nerveux est, dans sa première formation, antérieur au système musculaire ; puisqu’il n’a commencé à exister que lorsqu’il s’est trouvé composé d’une masse médullaire principale de laquelle partent différens filets nerveux ; et puisqu’un pareil système d’organes ne peut exister dans des animaux d’une organisation aussi simple que celle des infusoires et du plus grand nombre des polypes ; il est donc de toute évidence que le système musculaire est particulier à certains animaux, que tous ne le possèdent pas, et néanmoins que la faculté d’agir et de se mouvoir, par des organes musculaires, existe dans un plus grand nombre d’animaux que celle de sentir.

Pour préjuger l’existence du système musculaire dans les animaux où elle paroît douteuse, il importe de considérer si les parties de ces animaux offrent, aux attaches des fibres musculaires, des points d’appui d’une certaine consistance ou fermeté ; car, par l’habitude d’être tiraillés, ces points d’attache s’affermissent progressivement.

On est assuré que le système musculaire existe dans les insectes, et dans tous les animaux des classes postérieures ; mais la nature a-t-elle établi ce système dans des animaux plus imparfaits que les insectes ? Si elle l’a fait, on peut penser, à l’égard des radiaires, que ce n’est guères que dans les échinodermes et dans les fistulides, et non dans les radiaires mollasses : peut-être a-t-elle ébauché ce système dans les actinies ; la consistance assez coriace de leur corps autorise à le croire ; mais on ne sauroit supposer son existence dans les hydres, ni dans la plupart des autres polypes, et encore moins dans les infusoires.

Il est possible que, lorsque la nature a commencé l’établissement d’un système d’organes particulier quelconque, elle ait choisi les circonstances favorables à l’exécution de cette création ; et qu’en conséquence, dans l’échelle que nous formons des animaux, il y ait vers l’origine de l’établissement de ce système, quelques interruptions occasionnées par les cas où sa formation n’a pu avoir lieu.

L’observation bien suivie des opérations de la nature et guidée par ces considérations, nous apprendra sans doute bien des choses que nous ignorons encore sur ces sujets intéressans ; et peut-être nous fera-t-elle découvrir que, quoique la nature ait pu commencer l’établissement du système musculaire dans les radiaires, les vers, qui viennent ensuite, n’en sont pas encore pourvus.

Si cette considération est fondée, elle confirmera celle que j’ai déjà présentée à l’égard des vers ; savoir : qu’ils paroissent constituer une branche particulière de la chaîne animale, recommencée par des générations directes (Chap. VI, p. 88).

Le système musculaire, bien prononcé et bien connu dans les insectes, se montre ensuite toujours et partout dans les animaux des classes suivantes.

Le sentiment : c’est une faculté qui doit occuper le quatrième rang parmi celles qui ne sont pas communes à tous les corps qui possèdent la vie ; car la faculté de sentir paroît moins générale encore que celle du mouvement musculaire, celle de respirer, et celle de digérer. On verra plus loin que le sentiment n’est qu’un effet, c’est-à-dire, que le résultat d’un acte organique, et non une faculté inhérente ou propre à aucune des matières qui composent les parties d’un corps susceptible de l’éprouver.

Aucune de nos humeurs, ni aucun de nos organes, pas même nos nerfs, n’ont en propre la faculté de sentir. Ce n’est que par illusion que nous attribuons l’effet singulier qu’on nomme sensation ou sentiment, à une partie affectée de notre corps ; aucune des matières qui composent cette partie affectée ne sent réellement et ne sauroit sentir. Mais l’effet très-remarquable auquel on donne le nom de sensation, et celui de douleur, lorsqu’il est trop intense, est le produit de la fonction d’un système d’organes très-particulier, dont les actes s’exécutent selon les circonstances qui les provoquent.

J’espère prouver que cet effet qui constitue le sentiment ou la sensation, résulte évidemment d’une cause affectante qui excite une action dans toutes les parties du système d’organes spécial qui y est propre, laquelle, par une répercussion plus prompte que l’éclair, et qui s’effectue dans toutes les parties du système, reporte son effet général dans le foyer commun, où la sensation s’opère, et de là propage cette sensation jusqu’au point du corps qui fut affecté. J’essayerai de développer, dans la troisième partie de cet ouvrage, le mécanisme admirable de l’effet qui constitue ce qu’on nomme sentiment : ici je dirai seulement que le système d’organes particulier, qui peut produire un pareil effet, est connu sous le nom de système nerveux ; et j’ajouterai que le système dont il s’agit n’acquiert la faculté de donner lieu au sentiment, que lorsqu’il est assez avancé dans sa composition pour offrir des nerfs nombreux qui se rendent à un foyer commun ou centre de rapport.

Il résulte de ces considérations, que tout animal qui ne possède pas un système nerveux, dans l’état cité, ne sauroit éprouver l’effet remarquable dont il vient d’être question, et conséquemment ne peut avoir la faculté de sentir ; à plus forte raison tout animal qui n’a point de nerfs aboutissant à une masse médullaire principale, doit-il être privé du sentiment.

Ainsi donc la faculté de sentir ne peut être commune à tous les corps vivans, puisqu’il est généralement reconnu que les végétaux n’ont point de nerfs, ce qui ne leur permet nullement de la posséder ; mais on a cru cette faculté commune à tous les animaux, et c’est une erreur évidente ; car tous les animaux ne sont point et ne peuvent être munis de nerfs ; outre cela, ceux en qui des nerfs commencent à exister, ne possèdent pas encore un système nerveux, pourvu des conditions qui le rendent propre à la production du sentiment. Aussi est-il probable que dans son origine ou son imperfection première, ce système n’a d’autre faculté que celle d’exciter le mouvement musculaire : par conséquent la faculté de sentir ne sauroit être commune à tous les animaux.

S’il est vrai que toute faculté particulière à certains corps vivans, provienne d’un organe spécial qui y donne lieu, ce qui est prouvé partout par le fait même ; il le doit être aussi que la faculté de sentir, qui est évidemment particulière à certains animaux, est uniquement le produit d’un organe ou d’un système d’organes particulier capable, par ses actes, de produire le sentiment.

D’après cette considération, le système nerveux constitue l’organe spécial du sentiment, lorsqu’il est composé d’un centre unique de rapport et de nerfs qui y aboutissent. Or, il paroît que ce n’est guères que dans les insectes que la composition du système nerveux commence à être assez avancée pour pouvoir produire en eux le sentiment, quoique d’une manière encore obscure. Cette faculté se retrouve ensuite dans tous les animaux des classes postérieures, avec des progrès proportionnés dans son perfectionnement. Mais dans des animaux plus imparfaits que les insectes, tels que les vers et les radiaires, si l’on trouve quelques vestiges de nerfs et de ganglions séparés, on a de grands motifs pour présumer que ces organes ne sont propres qu’à l’excitation du mouvement musculaire, la plus simple faculté du système nerveux.

Enfin, quant aux animaux plus imparfaits encore, tels que le plus grand nombre des polypes et tous les infusoires, il est de toute évidence qu’ils ne peuvent posséder un système nerveux capable de leur donner la faculté de sentir, ni même celle de se mouvoir par des muscles : en eux, l’irritabilité seule y supplée.

Ainsi, le sentiment n’est pas une faculté commune à tous les animaux, comme on l’a généralement pensé.

La génération sexuelle : c’est une faculté particulière qui, dans les animaux, est à peu près aussi générale que le sentiment ; elle résulte d’une fonction organique non essentielle à la vie, et qui a pour but d’opérer la fécondation d’un embryon qui devient alors susceptible de posséder la vie, et de constituer, après ses développemens, un individu semblable à celui ou à ceux dont il provient.

Cette fonction s’exécute dans des temps particuliers, tantôt réglés et tantôt qui ne le sont pas, par le concours de deux systèmes d’organes qu’on nomme sexuels, dont l’un constitue les organes mâles, et l’autre ceux qui sont nommés femelles.

La génération sexuelle s’observe dans les animaux et dans les végétaux ; mais elle est particulière à certains animaux et à certaines plantes, et n’est point une faculté commune aux uns et aux autres de ces corps vivans : la nature ne pouvoit la rendre telle, comme nous l’allons voir.

En effet, pour pouvoir produire les corps vivans, soit végétaux, soit animaux, la nature fut obligée de créer d’abord l’organisation la plus simple, dans des corps des plus frêles, et où il lui étoit impossible de faire exister aucun organe spécial. Elle eut bientôt besoin de donner à ces corps la faculté de se multiplier, sans quoi il lui eût fallu faire partout des créations ; ce qui n’est nullement en son pouvoir. Or, ne pouvant donner à ses premières productions la faculté de se multiplier par aucun système d’organes particulier, elle parvint à leur donner la même faculté, en donnant à celle de s'accroître, qui est commune à tous les corps qui jouissent de la vie, la faculté d’amener des scissions, d’abord du corps entier, et ensuite de certaines portions en saillie de ce corps : de là les gemmes et les différens corps reproductifs, qui ne sont que des parties qui s’étendent, se séparent, et continuent de vivre après leur séparation, et qui, n’ayant exigé aucune fécondation, ne constituant aucun embryon, se développant sans déchirement d’aucune enveloppe, ressemblent cependant, après leur accroissement, aux individus dont ils proviennent.

Tel est le moyen que la nature sut employer pour multiplier ceux des végétaux et des animaux en qui elle ne put donner les appareils compliqués de la génération sexuelle : ce seroit en vain que l’on voudroit trouver de semblables appareils dans les algues et les champignons, ou dans les infusoires et les polypes.

Lorsque les organes mâles et les organes femelles se trouvent réunis sur ou dans le même individu, on dit que cet individu est hermaphrodite.

Dans ce cas, il faudra distinguer l’hermaphrodisme parfait qui se suffit à lui-même, de celui qui est imparfait, en ce qu’il ne se suffit pas. En effet, beaucoup de végétaux sont hermaphrodites ; en sorte que l’individu qui possède les deux sexes, se suffit à lui-même pour la fécondation : mais dans les animaux en qui les deux sexes existent, il n’est pas encore prouvé, par l’observation, que chaque individu se suffise à lui-même ; et l’on sait que quantité de mollusques, réellement hermaphrodites, se fécondent néanmoins les uns les autres. A la vérité, parmi les mollusques hermaphrodites, ceux qui ont une coquille bivalve, et qui sont fixés comme les huîtres, semblent devoir se féconder eux-mêmes : il est cependant possible qu’ils se fécondent mutuellement par la voie du milieu dans lequel ils sont plongés. S’il en est ainsi, il n’y a, dans les animaux, que des hermaphrodites imparfaits ; et l’on sait que dans les animaux vertébrés, il n’y a même aucun individu véritablement hermaphrodite. Ainsi, les hermaphrodites parfaits se trouveront uniquement parmi les végétaux.

Quant au caractère de l'hermaphrodisme, que l’on fait consister dans la réunion des deux sexes sur le même individu, il semble que les plantes monoïques fassent une exception ; car, quoiqu’un arbrisseau ou un arbre monoïque porte les deux sexes, chacune de ses fleurs est néanmoins unisexuelle.

Je remarquerai, à cet égard, que c’est à tort qu’on donne le nom d'individu à un arbre ou à un arbrisseau, et même à des plantes herbacées vivaces ; car cet arbre ou cet arbrisseau, etc., n’est réellement qu’une collection d’individus qui vivent les uns sur les autres, communiquent ensemble, et participent à une vie commune, comme cela a lieu aussi pour les polypes composés des madrépores, millépores, etc. ; ce que j’ai déjà prouvé dans le premier chapitre de cette seconde partie.

La fécondation, résultat essentiel d’un acte de la génération sexuelle, doit être distinguée en deux degrés particuliers, dont l’un, supérieur ou plus éminent, puisqu’il appartient aux animaux les plus parfaits (aux mammifères), comprend la fécondation des vivipares, tandis que l’autre, inférieur ou moins parfait, embrasse celle des ovipares.

La fécondation des vivipares vivifie, dans l’instant même, l’embryon qui en reçoit l’influence, et ensuite cet embryon continuant de vivre, se nourrit et se développe aux dépens de la mère, avec laquelle il communique jusqu’à sa naissance. Il n’y a point d’intervalle connu entre l’acte qui le rend propre à posséder la vie, et la vie même qu’il reçoit par cet acte : d’ailleurs, cet embryon fécondé est enfermé dans une enveloppe (le placenta) qui ne contient pas avec lui des approvisionnemens de nourriture.

Au contraire, la fécondation des ovipares ne fait que préparer l’embryon, et que le rendre propre à recevoir la vie ; mais elle ne la lui donne pas. Or, cet embryon fécondé des ovipares est enfermé, avec une provision de nourriture, dans des enveloppes qui cessent de communiquer avec la mère avant d’en être séparées ; et il ne reçoit la vie que lorsqu’une cause particulière, que les circonstances seules rendent prompte ou tardive, ou même peuvent anéantir, vient lui communiquer le mouvement vital.

Cette cause particulière qui, postérieurement à la fécondation d’un embryon d’ovipare, donne la vie à cet embryon, consiste, pour les œufs des animaux, dans une simple élévation de température, et, pour les graines des plantes, dans le concours de l’humidité et d’une douce chaleur qui vient les pénétrer. Ainsi, pour les œufs des oiseaux, l'incubation amène cette élévation de température, et pour beaucoup d’autres œufs, une chaleur douce de l’atmosphère suffit ; enfin, les circonstances favorables à la germination vivifient les graines des végétaux.

Mais les œufs et les graines propres à donner l’existence à des animaux et à des végétaux, contiennent nécessairement chacun un embryon fécondé, enfermé dans des enveloppes, d’où il ne peut sortir qu’après les avoir rompues : ils sont donc les résultats de la génération sexuelle, puisque les corps reproductifs qui n’en proviennent pas n’offrent point un embryon renfermé dans des enveloppes qu’il doit détruire pour pouvoir se développer. Assurément, les gemmes et les corps reproductifs plus ou moins oviformes de beaucoup d’animaux et de végétaux, ne sont nullement dans le cas de leur être comparés : ce seroit donc s’abuser que de rechercher la génération sexuelle là où la nature n’a pas eu le moyen de l’établir.

Ainsi, la génération sexuelle est particulière à certains animaux et à certains végétaux : conséquemment, les corps vivans les plus simples et les plus imparfaits ne sauroient posséder une pareille faculté.

La circulation : c’est une faculté qui n’a d’existence que dans certains animaux, et qui, dans le règne animal, est bien moins générale que les cinq dont je viens de parler. Cette faculté provient d’une fonction organique relative à l'accélération des mouvemens du fluide essentiel de certains animaux ; fonction qui s’exécute dans un système d’organes particulier qui y est propre.

Ce système d’organes se compose essentiellement de deux sortes de vaisseaux ; savoir : d'artères et de veines ; et presque toujours, en outre, d’un muscle creux et charnu qui occupe à peu près le centre du système, qui en devient bientôt l’agent principal, et qu’on nomme le cœur.

La fonction qu’exécute le système d’organes dont il s’agit, consiste à faire partir le fluide essentiel de l’animal, qui doit ici porter le nom de sang, d’un point à peu près central où se trouve le cœur lorsqu’il existe, pour l’envoyer de là, par les artères, dans toutes les parties du corps, d’où revenant au même point par les veines, il est ensuite renvoyé de nouveau dans toutes ces parties.

C’est à ce mouvement du sang, toujours envoyé à toutes les parties, et toujours retournant au point de départ, pendant le cours entier de la vie, qu’on a donné le nom de circulation, qu’il faut qualifier de générale, afin de la distinguer de la circulation respiratoire, qui s’exécute par un système particulier, composé pareillement d’artères et de veines.

La nature, en commençant l’organisation dans les animaux les plus simples et les plus imparfaits, n’a pu donner à leur fluide essentiel qu’un mouvement extrêmement lent. Tel est, sans doute, le cas du fluide essentiel, presque simple et très-peu animalisé, qui se meut dans le tissu cellulaire des infusoires. mais ensuite, animalisant et composant graduellement le fluide essentiel des animaux, à mesure que leur organisation se compliquoit et se perfectionnoit, elle en a augmenté peu à peu le mouvement par différens moyens.

Dans les polypes, le fluide essentiel est presque aussi simple encore, et n’a pas beaucoup plus de mouvement que celui des infusoires. cependant, la forme déjà régulière des polypes, et surtout la cavité alimentaire qu’ils possèdent, commencent à donner quelques moyens à la nature pour activer un peu leur fluide essentiel.

Elle en a probablement profité dans les radiaires, en établissant dans la cavité alimentaire de ces animaux, le centre d’activité de leur fluide essentiel. En effet, les fluides subtils, ambians et expansifs, qui constituent la cause excitatrice des mouvemens de ces animaux, pénétrant principalement dans leur cavité alimentaire, ont, par leurs expansions sans cesse renouvelées, surcomposé cette cavité, amené la forme rayonnante, tant interne qu’externe, de ces mêmes animaux, et sont, en outre, la cause des mouvemens isochrones qu’on observe dans les radiaires mollasses.

Lorsque la nature eut réussi à établir le mouvement musculaire, comme dans les insectes, et peut-être même un peu avant, elle eut alors un nouveau moyen pour activer un peu plus encore le mouvement de leur sanie ou fluide essentiel ; mais, parvenue à l’organisation des crustacés, ce moyen ne lui suffisoit plus, et il lui fallut créer un système d’organes particulier pour l’accélération du fluide essentiel de ces animaux, c’est-à-dire, de leur sang. C’est, en effet, dans les crustacés qu’on voit, pour la première fois, la fonction d’une circulation générale complétement exécutée ; fonction qui n’avoit reçu qu’une simple ébauche dans les arachnides.

Chaque nouveau système d’organes acquis, se conserve toujours dans les organisations subséquentes ; mais la nature travaille ensuite à le perfectionner de plus en plus.

Ainsi, dans le commencement, la circulation générale offre dans son système d’organes, un cœur à un seul ventricule, et même, dans les annelides, le cœur n’est pas connu : elle n’est accompagnée d’abord que par une circulation respiratoire incomplète, c’est-à-dire, dans laquelle tout le sang ne passe pas par l’organe de la respiration avant d’être envoyé à toutes les parties. Tel est le cas des animaux à branchies non perfectionnées ; mais dans les poissons, où la respiration branchiale est à son perfectionnement, la circulation générale est accompagnée d’une circulation respiratoire complète.

Lorsqu’ensuite la nature eut réussi à créer un poumon pour respirer, comme dans les reptiles, la circulation générale ne put être alors accompagnée que par une circulation respiratoire incomplète ; parce que le nouvel organe respiratoire étoit encore trop imparfait, que la circulation générale elle-même n’avoit encore dans son système d’organes qu’un cœur à un seul ventricule, et que le nouveau fluide respiré étant par lui-même plus promptement réparateur que l’eau, ne rendoit pas nécessaire une respiration complète. Mais lorsque la nature fut parvenue à opérer le perfectionnement de la respiration pulmonaire, comme dans les oiseaux et les mammifères, alors la circulation générale fut accompagnée par une circulation respiratoire complète ; le cœur eut nécessairement deux ventricules et deux oreillettes ; et le sang obtint la plus grande accélération dans son mouvement, l’animalisation la plus éminente, devint propre à élever la température intérieure de l’animal au-dessus de celle des milieux environnans ; enfin, fut assujetti à de promptes altérations qui exigèrent des réparations proportionnées.

La circulation du fluide essentiel d’un corps vivant est donc une fonction organique particulière à certains animaux : elle commence à se montrer complète et générale dans les crustacés, et se retrouve dans les animaux des classes suivantes, qui sont graduellement plus parfaits ; mais en vain la chercheroit-on dans les animaux moins parfaits des classes antérieures, on ne la trouveroit pas.

L'intelligence : c’est de toutes les facultés particulières à certains animaux, celle qui se trouve la plus bornée, relativement au nombre de ceux qui la possèdent, même dans sa plus grande imperfection ; mais aussi c’est la plus admirable, surtout lorsqu’elle est bien développée ; et on peut alors la regarder comme le chef-d’œuvre de tout ce qu’a pu exécuter la nature à l’aide de l’organisation.

Cette faculté provient des actes d’un organe particulier qui, seul, peut y donner lieu, et paroît lui-même très-composé lorsqu’il a acquis tous les développemens dont il est susceptible.

Comme cet organe est véritablement distinct de celui qui produit le sentiment, quoiqu’il ne puisse exister sans celui-ci, il en résulte que la faculté d’exécuter des actes d'intelligence, non-seulement n’est pas commune à tous les animaux, mais même ne l’est pas à tous ceux qui possèdent celle de sentir ; car le sentiment peut exister sans l’intelligence.

L'organe spécial, en qui se produisent les actes de l’entendement, paroît n’être qu’un accessoire du système nerveux, c’est-à-dire, qu’une partie surajoutée au cerveau, lequel contient le foyer ou centre de rapport des nerfs. Aussi l’organe particulier, dont il est question, est-il contigu à ce foyer ; d’ailleurs, la nature de la substance dont il se compose ne paroît nullement différer de celle qui forme le système nerveux ; cependant, en lui seul s’exécutent les actes de l’intelligence ; et comme le système nerveux peut exister sans lui, c’est donc un organe spécial.

On trouvera, dans la troisième partie, quelques aperçus généraux sur le mécanisme probable des fonctions de cet organe que l’on confond avec la masse médullaire, connue sous le nom de cerveau, dans les animaux vertébrés, et dont cependant il ne constitue que les deux hémisphères plicatiles qui le recouvrent. Il me suffit ici de faire remarquer que, parmi les animaux qui ont un système nerveux, il n’y a que les plus parfaits d’entre eux qui aient réellement leur cerveau muni des deux hémisphères que je viens de citer ; et que, probablement, tous les animaux sans vertèbres, sauf, peut-être, certains mollusques du dernier ordre, en sont généralement dépourvus, quoiqu’un grand nombre d’entre eux ait un cerveau, auquel les nerfs d’un ou de plusieurs sens particuliers se rendent immédiatement, et que ce cerveau soit, en général, partagé en deux lobes, ou divisé par un sillon.

D’après ces considérations, la faculté d’exécuter des actes d'intelligence ne commence guères qu’aux poissons, ou tout au plus qu’aux mollusques céphalopodes. elle est alors dans sa plus grande imperfection ; elle a fait quelques progrès de développement dans les reptiles, surtout dans ceux des derniers ordres ; elle en a fait de beaucoup plus grands dans les oiseaux ; et elle offre dans les mammifères des derniers ordres, tous ceux qu’elle peut avoir dans les animaux.

L’intelligence est donc une faculté particulière à certains animaux qui possèdent celle de sentir ; mais cette faculté n’est pas commune à tous ceux qui jouissent du sentiment : en effet, nous verrons que, parmi ces derniers, ceux qui n’ont pas l’organe particulier propre à l’exécution des actes de l’intelligence, ne peuvent avoir que de simples perceptions des objets qui les affectent ; mais qu’ils ne s’en forment point d’idée, ne comparent point, ne jugent point, et sont régis, dans toutes leurs actions, par leurs besoins et leurs penchans habituels.