Philosophie zoologique (1809)/Seconde Partie/Introduction

Seconde Partie, Introduction
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PHILOSOPHIE
ZOOLOGIQUE.


SECONDE PARTIE.
Considérations sur les Causes physiques de la Vie, les conditions qu’elle exige pour exister, la force excitatrice de ses mouvements, les facultés qu’elle donne aux corps qui la possèdent, et les résultats de son existence dans ces corps.


INTRODUCTION.


LA NATURE, ce mot si souvent prononcé comme s’il s’agissoit d’un être particulier, ne doit être à nos yeux que l’ensemble d’objets qui comprend : 1.o tous les corps physiques qui existent ; 2.o les lois générales et particulières qui régissent les changemens d’état et de situation que ces corps peuvent éprouver ; 3.o enfin, le mouvement diversement répandu parmi eux, perpétuellement entretenu ou renaissant dans sa source, infiniment varié dans ses produits, et d’où résulte l’ordre admirable de choses que cet ensemble nous présente.

Tous les corps physiques quelconques, soit solides, soit fluides, soit liquides, soit gazeux, sont doués chacun de qualités et de facultés qui leur sont propres ; mais par les suites du mouvement répandu parmi eux, ces corps sont assujettis à des relations et des mutations diverses dans leur état et leur situation ; à contracter, les uns avec les autres, différentes sortes d’union, de combinaison ou d’agrégation ; à éprouver ensuite des changemens infiniment variés, tels que des désunions complètes ou incomplètes avec leurs autres composans, des séparations d’avec leurs agrégés, etc. ; ainsi ces corps acquièrent à mesure d’autres qualités et d’autres facultés qui sont alors relatives à l’état où chacun d’eux se trouve.

Par une suite encore de la disposition ou de la situation de ces mêmes corps, de leur état particulier dans chaque portion de la durée des temps, des facultés que chacun d’eux possède, des lois de tous les ordres qui régissent leurs changemens et leurs influences, enfin du mouvement qui ne leur permet aucun repos absolu, il règne continuellement dans tout ce qui constitue la nature, une activité puissante, une succession de mouvemens et de mutations de tous les genres, qu’aucune cause ne sauroit suspendre ni anéantir, si ce n’est celle qui a fait tout exister.

Regarder la nature comme éternelle, et conséquemment comme ayant existé de tout temps, c’est pour moi une idée abstraite, sans base, sans limite, sans vraisemblance, et dont ma raison ne sauroit se contenter. Ne pouvant rien savoir de positif à cet égard, et n’ayant aucun moyen de raisonner sur ce sujet, j’aime mieux penser que la nature entière n’est qu’un effet : dès lors je suppose, et me plais à admettre, une cause première, en un mot, une puissance suprême qui a donné l’existence à la nature, et qui l’a faite en totalité ce qu’elle est.

Ainsi, comme naturaliste et comme physicien, je ne dois m’occuper, dans mes études de la nature, que des corps que nous connoissons ou qui ont été observés ; que des qualités et des propriétés de ces corps ; que des relations qu’ils peuvent avoir les uns avec les autres dans différentes circonstances ; enfin, que des suites de ces relations et des mouvemens divers répandus et continuellement entretenus parmi eux.

Par cette voie, la seule qui soit à notre disposition, il devient possible d’entrevoir les causes de cette multitude de phénomènes que nous offre la nature dans ses diverses parties, et de parvenir même à apercevoir celles des phénomènes admirables que les corps vivans nous présentent, celles, en un mot, qui font exister la vie dans les corps qui en sont doués.

Ce sont, sans doute, des objets bien importans, que ceux de rechercher en quoi consiste ce qu’on nomme la vie dans un corps ; quelles sont les conditions essentielles de l’organisation pour que la vie puisse exister ; quelle est la source de cette force singulière qui donne lieu aux mouvemens vitaux tant que l’état de l’organisation le permet ; enfin, comment les différens phénomènes qui résultent de la présence et de la durée de la vie dans un corps peuvent s’opérer, et donner à ce corps les facultés qu’on y observe ; mais aussi, de tous les problèmes que l’on puisse se proposer, ce sont, sans contredit, ceux qui sont les plus difficiles à résoudre.

Il étoit, ce me semble, beaucoup plus aisé de déterminer le cours des astres observés dans l’espace, et de reconnoître les distances, les grosseurs, les masses et les mouvemens des planètes qui appartiennent au système de notre soleil, que de résoudre le problème relatif à la source de la vie dans les corps qui en sont doués, et, conséquemment, à l’origine ainsi qu’à la production des différens corps vivans qui existent.

Quelque difficile que soit ce grand sujet de recherches, les difficultés qu’il nous présente ne sont point insurmontables ; car il n’est question, dans tout ceci, que de phénomènes purement physiques. Or, il est évident que les phénomènes dont il s’agit ne sont, d’une part, que les résultats directs des relations de différens corps entre eux, et que les suites d’un ordre et d’un état de choses qui, dans certains d’entre eux, donnent lieu à ces relations ; et de l’autre part, qu’ils résultent de mouvemens excités dans les parties de ces corps, par une force dont il est possible d’apercevoir la source.

Ces premiers résultats de nos recherches offrent, sans doute, un bien grand intérêt, et nous donnent l’espoir d’en obtenir d’autres qui ne seront pas moins importans. Mais quelque fondement qu’ils puissent avoir peut-être seront-ils long-temps encore sans obtenir l’attention qu’ils méritent ; parce qu’ils ont à lutter contre une prévention des plus anciennes, qu’ils doivent détruire des préjugés invétérés, et qu’ils offrent un champ de considérations nouvelles, fort différentes de celles que l’on envisage habituellement.

Ce sont apparemment des considérations semblables qui ont fait dire à Condillac, que « la raison a bien peu de force, et que ses progrès sont bien lents, lorsqu’elle a à détruire des erreurs dont personne n’a pu s’exempter. » (Traité des Sensations, t. I, p. 108.)

C’est, sans contredit, une bien grande vérité, que celle qu’a su prouver M. CABANIS, par une suite de faits irrécusables, lorsqu’il a dit que le moral et le physique prenoient leur source dans la même base ; et qu’il a fait voir que les opérations qu’on nomme morales, résultent directement, comme celles qu’on appelle physiques, de l’action, soit de certains organes particuliers, soit de l’ensemble du système vivant ; et qu’enfin, tous les phénomènes de l’intelligence et de la volonté prennent leur source dans l’état primitif ou accidentel de l’organisation.

Mais pour reconnoître plus aisément tout le fondement de cette grande vérité, il ne faut point se borner à en rechercher les preuves dans l’examen des phénomènes de l’organisation très-compliquée de l’homme et des animaux les plus parfaits ; on les obtiendra plus facilement encore, en considérant les divers progrès de la composition de l’organisation, depuis les animaux les plus imparfaits jusqu’à ceux dont l’organisation présente la complication la plus considérable ; car alors ces progrès montreront successivement l’origine de chaque faculté animale, les causes et les développemens de ces facultés, et l’on se convaincra de nouveau que ces deux grandes modifications de notre existence, qu’on nomme le physique et le moral, et qui offrent deux ordres de phénomènes si séparés en apparence, ont leur base commune dans l’organisation.

Les choses étant ainsi, nous devons rechercher, dans la plus simple de toutes les organisations, en quoi consiste réellement la vie, quelles sont les conditions essentielles à son existence, et dans quelle source elle puise la force particulière qui excite les mouvemens qu’on nomme vitaux.

Ce n’est, effectivement, que d’après l’examen de l’organisation la plus simple que l’on peut savoir ce qui est véritablement essentiel à l’existence de la vie dans un corps ; car dans une organisation compliquée, chacun des principaux organes intérieurs s’y trouve nécessaire à la conservation de la vie, à cause de son étroite connexion avec toutes les autres parties du système, et parce que ce système est formé sur un plan qui exige ces organes ; mais il ne s’ensuit pas que ces mêmes organes soient essentiels à l’existence de la vie dans tout corps vivant quelconque.

Cette considération est très-importante, lorsque l’on recherche ce qui est réellement essentiel pour constituer la vie ; et elle empêche qu’on n’attribue inconsidérément à aucun organe spécial une existence indispensable pour que la vie puisse avoir lieu.

Le propre des mouvemens vitaux est de se former et de s’entretenir par excitation, et non par communication. Ces mouvemens seroient les seuls dans la nature qui fussent dans ce cas, s’ils n’avoisinoient fortement ceux de la fermentation ; cependant ils en diffèrent, en ce qu’ils peuvent être maintenus à peu près les mêmes pendant une durée limitée, et qu’ils accroissent, et ensuite maintiennent, pendant un certain temps, le corps dans lequel ils s’exécutent ; tandis que ceux de la fermentation détruisent, sans réparation, le corps qui s’y trouve assujetti, et s’accroissent jusqu’au terme qui les anéantit.

Puisque les mouvemens vitaux ne sont jamais communiqués, mais sont toujours excités ; il faut rechercher quelle est la cause qui les excite, c’est-à-dire, dans quelle source les corps vivans puisent la force particulière qui les anime.

Assurément, quelque soit l’état d’organisation d’un corps, et quelque soit celui de ses fluides essentiels, la vie active ne sauroit exister dans ce corps sans une cause particulière capable d’y exciter les mouvemens vitaux. Quelque hypothèse que l’on imagine à cet égard, il faudra toujours en revenir à reconnoître la nécessité de cette cause particulière, pour que la vie puisse exister activement. Or, il n’est plus possible d’en douter ; cette cause qui anime les corps qui jouissent de la vie se trouve dans les milieux qui environnent ces corps, y varie dans son intensité, selon les lieux, les saisons et les climats de la terre, et elle n’est nullement dépendante des corps qu’elle vivifie ; elle précède leur existence et subsiste après leur destruction ; enfin, elle excite en eux les mouvemens de la vie, tant que l’état des parties de ces corps le lui permet, et elle cesse de les animer lorsque cet état s’oppose à l’exécution des mouvemens qu’elle excitoit.

Dans les animaux les plus parfaits, cette cause excitatrice de la vie se développe en eux-mêmes et suffit, jusqu’à un certain point, pour les animer ; cependant elle a encore besoin du concours de celle que fournissent les milieux environnans. Mais dans les autres animaux et dans tous les végétaux, elle leur est tout-à-fait étrangère ; en sorte que les milieux ambians peuvent seuls la leur procurer.

Lorsque ces objets intéressans seront reconnus et déterminés, nous examinerons comment se sont formés les premiers traits de l’organisation, comment les générations directes peuvent avoir lieu, et dans quelle partie de chaque série des corps vivans la nature en a pu opérer.

En effet, pour que les corps qui jouissent de la vie soient réellement des productions de la nature, il faut qu’elle ait eu, et qu’elle ait encore la faculté de produire directement certains d’entre eux, afin que, les ayant munis de celle de s’accroître, de se multiplier, de composer de plus en plus leur organisation, et de se diversifier avec le temps et selon les circonstances, tous ceux que nous observons maintenant soient véritablement les produits de sa puissance et de ses moyens.

Ainsi, après avoir reconnu la nécessité de ces créations directes, il faut rechercher quels peuvent être les corps vivans que la nature peut produire directement, et les distinguer de ceux qui ne reçoivent qu’indirectement l’existence qu’ils tiennent d’elle. Assurément, le lion, l’aigle, le papillon, le chêne, le rosier ne reçoivent pas directement de la nature l’existence dont ils jouissent ; ils la reçoivent, comme on le sait, d’individus semblables à eux qui la leur communiquent par la voie de la génération ; et l’on peut assurer que si l’espèce entière du lion ou celle du chêne venoit à être détruite dans les parties du globe où les individus qui la composent se trouvent répandus, les facultés réunies de la nature n’auroient de long-temps le pouvoir de la faire exister de nouveau.

Je me propose donc de montrer, à cet égard, quel est le mode que paroît employer la nature pour former, dans les lieux et les circonstances favorables, les corps vivans les plus simplement organisés, et conséquemment les animaux les plus imparfaits ; comment ces animaux si frêles, et qui ne sont, en quelque sorte, que des ébauches de l’animalité directement produites par la nature, se sont développés, multipliés et diversifiés ; comment, enfin, après une suite infinie de régénérations, l’organisation de ces corps a fait des progrès dans sa composition, et étendu, de plus en plus, dans les races nombreuses qui en sont résultées, les facultés animales.

On verra que chaque progrès acquis dans la composition de l’organisation et dans les facultés qui en ont été les suites, a été conservé et transmis à d’autres individus par la voie de la reproduction, et que par cette marche, soutenue pendant une multitude de siècles, la nature est parvenue à former successivement tous les corps vivans qui existent.

On verra, en outre, que toutes les facultés, sans exception, sont complétement physiques, c’est-à-dire, que chacune d’elles résulte essentiellement d’actes de l’organisation ; en sorte qu’il sera facile de montrer comment de l’instinct le plus borné, dont la source peut être aisément aperçue, la nature a pu parvenir à créer les facultés de l’intelligence, depuis celles qui sont les plus obscures, jusqu’à celles qui sont plus développées.

Ce n’est point un traité de Physiologie que l’on doit s’attendre à trouver ici : le public possède d’excellens ouvrages en ce genre, sur lesquels je n’ai que peu de redressemens à proposer. Mais je dois rassembler, à cet égard, des faits généraux et des vérités fondamentales bien reconnues, parce que j’aperçois qu’il jaillit de leur réunion des traits de lumière qui ont échappé à ceux qui se sont occupés des détails de ces objets, et que ces traits de lumière nous montrent, avec évidence, ce que sont réellement les corps doués de la vie, pourquoi et comment ils existent, de quelle manière ils se développent et se reproduisent ; enfin, par quelles voies les facultés qu’on observe en eux ont été obtenues, transmises et conservées dans les individus de chaque espèce.

Si l’on veut saisir l’enchaînement des causes physiques qui ont donné l’existence aux corps vivans, tels que nous les voyons, il faut nécessairement avoir égard au principe que j’exprime dans la proposition suivante :

C’est à l’influence des mouvemens de divers fluides sur les matières plus ou moins solides de notre globe, qu’il faut attribuer la formation, la conservation temporaire, et la reproduction de tous les corps vivans qu’on observe à sa surface, ainsi que toutes les mutations que les débris de ces corps ne cessent de subir.

Que l’on néglige cette importante considération, tout rentre dès lors, pour l’intelligence humaine, dans une confusion inextricable ; la cause générale des faits et des objets observés ne peut plus être aperçue ; et, à cet égard, nos connoissances restant sans valeur, sans liaison et sans progrès, l’on continuera de mettre à la place des vérités qu’on eût pu saisir, ces fantômes de notre imagination et ce merveilleux qui plaisent tant à l’esprit humain.

Que l’on donne, au contraire, à cette même proposition toute l’attention que son évidence doit lui faire obtenir, alors on verra qu’il en découle naturellement une multitude de lois subordonnées qui rendent raison de tous les faits bien reconnus, relativement à l’existence, à la nature, aux diverses facultés ; enfin, aux mutations des corps vivans et des autres corps plus ou moins composés qui existent.

Quant aux mouvemens constans, mais variables, des divers fluides dont je veux parler, il est de toute évidence qu’ils sont continuellement entretenus dans notre globe par l’influence que la lumière du soleil y exerce perpétuellement ; elle en modifie et en déplace sans cesse de grandes portions dans certaines régions de ce globe ; les contraint à une sorte de circulation et à des mouvemens divers ; en sorte qu’elle les met dans le cas de produire tous les phénomènes qu’on observe.

Il me suffira de mettre beaucoup d’ordre dans la citation des faits et de leur enchaînement, et dans l’application de ces considérations aux phénomènes observés, pour répandre le jour nécessaire sur le fondement de ce que je viens d’exposer.

D’abord, il est indispensable de distinguer les fluides visibles contenus dans les corps vivans, et qui y subissent des mouvemens et des changemens continuels, de certains autres fluides subtils et toujours invisibles qui animent ces corps, et sans lesquels la vie n’existeroit pas en eux.

Ensuite, considérant le produit de l’action des fluides invisibles dont je viens de parler, sur les parties solides, fluides et visibles des corps vivans ; il sera aisé de sentir que, relativement à l’organisation de ces différens corps, et à tous les mouvemens qu’on y observe, enfin, à tous les changemens qu’on leur voit éprouver, tout y est entièrement le résultat des mouvemens des différens fluides qui se trouvent dans ces corps ; que les fluides dont il s’agit ont, par leurs mouvemens, organisé ces corps ; qu’ils les ont modifiés de diverses manières ; qu’ils s’y sont modifiés eux-mêmes ; et qu’ils ont produit peu à peu, à leur égard, l’état de choses que l’on y observe maintenant.

En effet, si l’on donne une attention suivie aux différens phénomènes que présente l’organisation, et surtout à ceux qui appartiennent aux développemens de cette organisation, principalement dans les animaux les plus imparfaits, l’on sera convaincu :

1.o Que toute l’opération de la nature pour former ses créations directes, consiste à organiser en tissu cellulaire les petites masses de matière gélatineuse ou mucilagineuse qu’elle trouve à sa disposition et dans des circonstances favorables ; à remplir ces petites masses celluleuses de fluides contenables ; et à les vivifier en mettant ces fluides contenables en mouvement, à l’aide des fluides subtils excitateurs qui y affluent sans cesse des milieux environnans ;

2.o Que le tissu cellulaire est la gangue dans laquelle toute organisation a été formée, et au milieu de laquelle les différens organes se sont successivement développés, par la voie du mouvement des fluides contenables qui ont graduellement modifié ce tissu cellulaire ;

3.o Qu’effectivement, le propre du mouvement des fluides dans les parties souples des corps vivans qui les contiennent, est de s’y frayer des routes, des lieux de dépôt et des issues ; d’y créer des canaux, et par suite des organes divers ; d’y varier ces canaux et ces organes à raison de la diversité, soit des mouvemens, soit de la nature des fluides qui y donnent lieu et qui s’y modifient ; enfin, d’agrandir, d’allonger, de diviser et de solidifier graduellement ces canaux et ces organes par les matières qui se forment et se séparent sans cesse des fluides essentiels qui y sont en mouvement ; matières dont une partie s’assimile et s’unit aux organes, tandis que l’autre est rejetée au dehors ;

4.o Qu’enfin, le propre du mouvement organique est, non-seulement de développer l’organisation, d’étendre les parties et de donner lieu à l’accroissement, mais encore de multiplier les organes et les fonctions à remplir.

Après avoir exposé ces grandes considérations qui me semblent présenter des vérités incontestables, et cependant jusqu’à ce jour inaperçues, j’examinerai quelles sont les facultés communes à tous les corps vivans, et conséquemment à tous les animaux ; ensuite je passerai en revue les principales de celles qui sont nécessairement particulières à certains animaux, les autres ne pouvant nullement en être doués.

J’ose le dire, c’est un abus très-nuisible à l’avancement de nos connoissances physiologiques, que de supposer inconsidérément que tous les animaux, sans exception, possèdent les mêmes organes et jouissent des mêmes facultés ; comme si la nature étoit forcée d’employer partout les mêmes moyens pour arriver à son but. Dès que, sans s’arrêter à la considération des faits, il n’en coûte que quelques actes de l’imagination pour créer des principes, que ne suppose-t-on de suite que tous les corps vivans possèdent généralement les mêmes organes, et jouissent en conséquence des mêmes facultés ?

Un objet que je n’ai pas dû négliger dans cette seconde partie de mon ouvrage, est la considération des résultats immédiats de la vie dans un corps. Or, je puis faire voir que ces résultats donnent lieu à des combinaisons entre des principes qui, sans cette circonstance, ne se fussent jamais unis ensemble. Ces combinaisons se surchargent même de plus en plus, à mesure que l’énergie vitale augmente ; en sorte que, dans les animaux les plus parfaits, elles offrent une grande complication et une surcharge considérable dans leurs principes combinés. Ainsi les corps vivans constituent, par le pouvoir de la vie qu’ils possèdent, le principal moyen que la nature emploie pour faire exister une multitude de composés différens qui n’eussent jamais eu lieu sans cette cause remarquable.

En vain prétend-on que les corps vivans trouvent dans les substances alimentaires dont ils se nourrissent, les matières toutes formées qui servent à composer leur corps, leurs solides et leurs fluides de toutes les sortes ; ils ne rencontrent dans ces substances alimentaires que les matériaux propres à former les combinaisons que je viens de citer, et non ces combinaisons elles-mêmes.

C’est, sans doute, parce qu’on n’a point suffisamment examiné le pouvoir de la vie dans les corps qui en jouissent, et que l’on n’a point aperçu les résultats de ce pouvoir, que l’on a supposé que les corps vivans trouvoient dans les alimens dont ils font usage, les matières toutes préparées qui servent à former leur corps, et que ces matières existoient de tout temps dans la nature.

Tels sont les sujets qui composent la seconde partie de cet ouvrage : leur importance mériteroit, sans doute, de grands développemens ; mais je me suis borné à l’exposition succincte de ce qui est nécessaire pour que mes observations puissent être saisies.