Phédon (trad. Cousin)/Argument philosophique

Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome premier
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PHÉDON,


OU


DE L’ÂME.




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ARGUMENT


PHILOSOPHIQUE.


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« J’ESPÈRE, dit Socrate, sans pouvoir le prouver, que je retrouverai dans une autre vie les hommes vertueux, qui y seront mieux traités que les méchans ; mais pour y trouver des dieux excellens, c’est ce que j’ose assurer, si l’on peut assurer quelque chose. » C’est-à-dire, pour substituer à cette phraséologie antique un langage plus moderne. Il y a incontestablement en nous un principe qui se reconnaît et se proclame lui-même, dans le sentiment de tout acte raisonnable et libre, étranger et supérieur à son organisation corporelle, et par conséquent capable de lui survivre : un principe qui, une fois dégagé de l’enveloppe extérieure dont il se distingue, et rendu à lui-même, se réunit au principe éternel et universel dont il émane. Mais alors que devient-il ? Retient-il la conscience de lui-même ? Peut-il connaître encore le plaisir et la peine ? Soutient-il des rapports avec les autres principes semblables à lui ? enfin quelle destinée lui est réservée ? C’est là un autre problème qu’on ne peut guère résoudre affirmativement d’une manière absolue, et sur lequel la philosophie est à-peu-près réduite à la probabilité. En effet, si le principe intellectuel, pris substantiellement, est à l’abri de la mort, il ne s’ensuit pas que le moi, qui n’est pas la substance et qui n’en est peut-être qu’une forme sublime, participe aussi de son immortalité ; et la raison, dans ses recherches les plus profondes, dans ses intuitions les plus vives et les plus intimes, peut bien nous faire connaître l’essence du principe qui nous constitue et sa forme actuelle, avec les conditions réelles de sa manifestation et de son développement, mais sans pouvoir nous révéler certainement ni les formes que ce principe a pu revêtir déjà, ni celles que lui garde l’impénétrable avenir. Tel est, en résumé, tout le système du Phédon : il repose sur la distinction sévère et profonde qui sépare le domaine de la raison de celui de la foi ; la certitude, de l’espérance. De là, deux parties dans le Phédon : la première, qui, embrassant les trois quarts du dialogue, présente une chaîne d’analyses et de raisonnemens que ne désavouerait pas la rigueur moderne ; la seconde, assez courte, qui est remplie par des probabilités, des vraisemblances, des symboles.

Y a-t-il réellement en nous quelque chose qui soit essentiellement distinct du corps, et qui lui survive ? Tel est le sujet de la première partie du Phédon.

I. L’homme ne reconnaît-il pas au fond de sa conscience, et dans ce qu’il y a de plus intime en lui, le devoir de s’affranchir du joug des passions et de l’égoïsme, du corps, en un mot ? S’il le doit, il faut qu’il le puisse, et il ne le peut qu’autant qu’il possède un principe qui est en lui-même distinct et libre du corps, quoique accidentellement en rapport avec lui, un principe qui peut faire usage de sa liberté essentielle pour la reconquérir successivement tout entière. Ainsi le devoir suppose la liberté, et la liberté c’est l’âme. L’âme, essentiellement indépendante du corps, peut donc lui survivre et se suffire à elle-même.

II. L’idée de la science, comme celle du devoir, implique l’indépendance de l’âme et son immortalité. On ne parvient à la science qu’en se séparant des sens, en ramenant l’œil de l’âme sur elle-même, en l’accoutumant à se servir des puissances intérieures qui lui appartiennent, comme des seuls instrumens légitimes dans toutes ses recherches. En fait, ce n’est pas des sensations et des notions contingentes et purement collectives que produit leur généralisation la plus élevée, que nous viennent les idées universelles et nécessaires du bien, du beau, du juste, de l’activité, de la force, et de l’essence des choses ; et, sous le rapport de la méthode, si l’on veut acquérir d’exactes connaissances, le meilleur moyen assurément n’est pas d’aborder ce qu’on veut connaître par l’intermédiaire infidèle et mobile des organes corporels, mais par la raison et l’intelligence, élevées à leur plus haut degré l’abstraction et de pureté. Le procédé de l’âme, dans l’acquisition de la connaissance et la direction de l’esprit témoigne donc aussi d’une énergie qui lui est propre, et de son indépendance du corps.

III. D’où viennent tous les maux de cette vie ? Précisément du rapport de l’âme avec le corps, rapport qui entraîne inévitablement avec lui la contradiction, l’erreur, le vice, la misère. La fonction de la philosophie est de chercher à tarir, autant qu’il est en elle, cette source fatale, d’élever peu-à-peu la créature humaine à la vérité, à la vertu, à la paix, à l’unité, par la liberté, en lui enseignant à s’affranchir des besoins du corps. Or, cet affranchissement porté à un certain degré, c’est la mort, la mort n’étant que la séparation du corps et de l’âme. Le philosophe opère en lui la mort dans le triomphe de la liberté sur les sens, et c’est précisément quand il meurt ainsi qu’il est plus en possession de la vie ; et le phénomène de la mort sensible, loin d’être un obstacle, est un pas à l’indépendance et à l’immortalité de l’âme.

IV. Les contraires naissent des contraires : la mort, de la vie ; et la vie, de la mort. L’existence est un cercle actif et fécond dont les extrémités opposées reviennent sur elles-mêmes, rentrent sans cesse les unes dans les autres, par deux mouvemens contraires qui les séparent à-la-fois et qui les rapprochent, composent pour décomposer, décomposent pour composer encore, détruisent en renouvelant, renouvellent en détruisant, tirent le plus grand du plus petit et le plus petit du plus grand, le plus faible du plus fort et le plus fort du plus faible, le plus vite du plus lent et le plus lent du plus vite, toutes choses enfin de toutes choses, ce qu’on appelle la mort du sein de ce qu’on appelle la vie, et réciproquement. Et il faut bien qu’il en soit ainsi, car si la vie engendrait la mort sans que la mort à son tour reproduisît la vie, la mort aurait bientôt aboli tout être vivant, et les propositions harmonieuses de l’éternelle existence seraient altérées. Circulus æterni motus… La vie n’a donc rien à craindre de la mort, ni l’âme de la dissolution de ses organes..

V. Toute science n’est que réminiscence : s’il en est ainsi, il faut que nous ayons su avant cette vie ; il faut donc que l’âme ait existé avant de revêtir cette forme humaine ; elle peut donc lui survivre.

Par exemple, les sens nous découvrent des choses que nous jugeons égales ; savoir, des arbres, des pierres, etc. Mais l’idée d’égalité renfermée dans le jugement que nous portons sur ces choses, d’où l’avons-nous tirée ? L’égalité ne doit pas être confondue avec les choses égales qui ne sont telles que par leur rapport à l’égalité. L’idée de l’égalité ne vient donc point des sens ; il suit qu’il faut qu’elle naisse avec nous, ou que nous l’ayons eue avant cette vie, et qu’à l’occasion des objets extérieurs elle nous revienne à la mémoire. Est-elle innée, et le seul fait de la naissance la développe-t-il en nous ? Loin de là : ce n’est pas en entrant dans ce séjour de ténèbres qu’on découvre la lumière ; on la perdrait bien plutôt ? Reste donc que nous ayons acquis l’idée de l’égalité avant notre naissance, et que nous ne fassions que nous en ressouvenir. Ce que nous disons de l’idée de l’égalité, il faut le dire aussi de l’idée du beau, du bien et du juste. Encore une fois, nous ne puisons pas toutes ces idées dans les impressions extérieures, mais nous les trouvons d’abord dans notre âme qui les possédait avant cette vie ; il faut alors que notre âme ait existé avant cette vie ; elle peut donc lui survivre.

On voit que nous avons gardé ici à dessein, et avec un respect scrupuleux, les formes et la phraséologie sous laquelle cette théorie célèbre a paru pour la première fois dans le monde philosophique. Mais il faut percer ces enveloppes, pour entrevoir les hautes vérités qui sont dessous. La théorie de la science, considérée comme réminiscence, ne nous enseigne-t-elle pas que la puissance intellectuelle prise substantiellement, et avant de se manifester sous la forme de l’âme humaine, contient déjà en elle, ou plutôt est elle-même le type primitif et absolu du beau, du bien, de l’égalité, de l’unité, et que lorsqu’elle passe de l’état de substance à celui de personne, et acquiert ainsi la conscience et la pensée distincte en sortant des profondeurs où elle se cachait à ses propres yeux, elle trouve dans le sentiment obscur et confus de la relation intime qui la rattache à son premier état comme à son centre et à son principe, les idées du beau, du bien, de l’égalité, de l’unité, de l’infini, qui alors ne lui paraissent pas tout-à-fait des découvertes, et ressemblent assez à des souvenirs ? C’est ainsi du moins que j’entends Platon.

VI. Pour que l’âme puisse périr, il faut qu’elle se dissolve. Mais qui se dissout ? Le composé, non le simple. Et qui constitue le simple ? L’identité et la permanence, et l’absence de toute forme positive et visible. Or, l’âme n’a point de forme, et plus elle se tient attachée à sa substance, moins elle participe au temps et au changement. Le temps et le changement n’ont de prise sur elle, que lorsque, abdiquant la liberté qui la constitue, elle se laisse déchoir de sa propre nature, et s’abandonne au trouble et à l’agitation des affections dépravées, au flux et au reflux des choses qui passent. L’âme est donc simple dans son essence ; elle est donc indissoluble et immortelle.

VII. Mais si l’âme n’était qu’un être collectif, un résultat, une relation, l’harmonie d’une lyre ! l’harmonie aussi ne semble-t-elle pas quelque chose de simple, d’invisible, de fixe, et pourtant elle se dissipe quand la lyre et les cordes sont brisées ! Non, l’âme qui préexiste substantiellement à son apparition sous cette forme corporelle, l’âme ne peut être la collection, le résultat, la relation, l’harmonie de parties qu’elle précède. D’ailleurs une collection, un résultat, un rapport n’ont pas d’essence propre, et n’existent réellement que dans les élémens qui les constituent, tandis que l’âme sait et sent qu’elle a une existence à soi. Enfin la force de toute composition est dans l’accord le plus intime de ses composans ; la force de l’âme au contraire est de se séparer violemment de plusieurs de ses prétendus élémens, et de leur faire la guerre. L’âme n’est donc ni une collection, ni un résultat, ni une relation, c’est une unité individuelle, subsistante par elle-même.

VIII. Mais cette unité individuelle qui peut survivre au corps, puisqu’elle le précède et s’en distingue, ne peut-elle pas avoir aussi sa fin ? Qui assure qu’après avoir ainsi animé plusieurs organisations corporelles, le principe intellectuel ne s’épuise pas à la longue dans le renouvellement successif de ses formes ? et comme pendant la durée d’une de ses formes il n’y a pas mémoire des formes précédentes, qui sait si la forme actuelle n’est pas la dernière, et le dernier renouvellement auquel peut suffire la force du principe ? Pour le savoir, il faudrait connaître plus à fond les lois universelles de la vie et de la mort, de la naissance et de la corruption des choses. Ici se rencontre épisodiquement la théorie des Idées.

Toute philosophie qui se renferme dans les phénomènes apparens du monde extérieur, se condamne à n’atteindre jamais ni les causes ni les principes. La physique croit faire merveille par exemple d’expliquer la situation dans laquelle je suis assis, par la disposition des os, la tension des muscles, n’oubliant rien dans le détail minutieux de ses laborieuses et superficielles explications, si ce n’est le principe réel, la cause première du phénomène, la détermination de ma volonté. L’erreur commune, celle du peuple et du physicien qui n’est pas philosophe, est de confondre l’apparence avec la réalité, ce sans quoi la cause ne pourrait pas se développer, avec la cause elle-même. « La physique se perd dans une multitude de petites causes qui ne sont pas des causes, et prend pour une chimère la grande cause qui fait, lie et vivifie tout… En parlant de la cause et du principe, il ne faut pas s’arrêter aux effets, si l’on veut pénétrer dans la réalité des choses. »

La cause, le principe suprême, c’est l’intelligence.

Les vrais principes, les vraies causes, ce sont donc les idées.

L’idée est, dans chaque chose, l’élément intérieur et essentiel qui, s’ajoutant à la matière, l’organise et lui donne sa forme. L’idée est le type interne de toute chose.

L’idée, ne venant pas du dehors, ne peut être saisie par les sens.

Elle ne tombe pas davantage sous le raisonnement ; le caractère de la perception que nous en pouvons avoir, est d’être immédiate, simple et indécomposable. Par exemple, c’est l’idée seule du beau qui fait que toute chose belle est belle. Qu’on y pense : ce n’est pas tel ou tel arrangement de parties, tel ou tel accord de formes, qui rend beau ce qui l’est ; car indépendamment de tout arrangement, de toute composition, chaque partie, chaque forme pouvait être déjà belle, et serait belle encore, la disposition générale étant changée. La beauté se déclare par l’impossibilité immédiate où nous sommes de ne pas la trouver belle, c’est-à-dire de ne pas être frappé par l’idée du beau qui s’y rencontre. On ne peut donner d’autre explication de la perception de l’idée du beau. Il en est de même du bien, du juste, de l’étendue et de la grandeur, de la quantité et du nombre, et des forces élémentaires de la nature.

Sans doute ce n’est point ici le lieu de rechercher si la critique moderne, tout en reconnaissant la solidité et la profondeur des bases de cette théorie fameuse, pourrait en admettre toutes les applications, surtout celles qui se rapportent au détail des nombres ; mais on ne peut s’empêcher de remarquer, en passant, que la théorie de Platon a cela de propre et d’excellent parmi les théories idéalistes, qu’elle ne s’arrête pas à la qualité logique des idées et qu’elle va jusqu’à leur essence réelle. Les idées de Platon ne sont pas seulement des directions pour la pensée, comme les catégories d’Arioste et de Kant, ce sont des élémens intégrans de la réalité. Principes et causes tout ensemble, elles planent à-la-fois sur l’humanité et sur la nature, et réunissent en elles le principium essendi et le principium cognoscendi, si mal-à-propos divisés par la scholastique, comme si l’essence de l’être pouvait être destituée d’intelligence, ou que l’intelligence ne fût pas aussi de l’existence, et l’existence à-la-fois la plus puissante et la plus pure !

Les idées, les principes et les causes, bien que, par leur rapport aux choses qu’elles animent et qu’elles constituent, elles tombent accidentellement dans le temps et dans l’espace, sont essentiellement étrangères aux révolutions de l’espace et du temps ; elles ne connaissent ni commencement ni fin pour elles-mêmes : elles sont éternelles, incorruptibles.

Le caractère propre d’un vrai principe, d’une vraie cause, c’est d’exclure son contraire, et même le contraire de ce qui émane directement d’elle. Or, suivant Platon, et toute l’école platonicienne, dont Stalh n’a fait que recueillir la tradition, l’âme est le principe, la cause de la vie : « Si vous demandiez ce qui fait que tel corps est chaud, je ne répondrais pas, ce qui est bien vrai, mais n’explique rien, que c’est la chaleur ; mais, allant d’abord au principe, je répondrais avec précision que c’est le feu. Si l’on demandait ce qui fait que telle personne est malade, je ne répondrais pas, c’est la maladie, mais la fièvre ; si, quelle est la raison de l’impair, je ne dirais pas l’imparité, mais l’unité. De même ici m’élevant à l’idée primitive, au principe, à la cause de la vie, je dis que c’est l’âme. » Ainsi l’âme, constituant la vie, et excluant, en sa qualité de principe, le contraire de ce qu’elle constitue, et ce contraire étant ici la mort, elle n’a rien à craindre de la mort, et l’exclut éternellement. Elle est donc éternelle et incorruptible.

Après une discussion franche, sévère, approfondie, à laquelle, pour les objections et pour les réponses, il n’est pas aisé de voir ce que la philosophie moderne pourrait ajouter après deux mille ans ; les amis de Socrate demeurent convaincus ; cependant l’un d’eux, quoiqu’il ne trouve plus d’objections à faire, avoue que la grandeur du sujet, et la faiblesse naturelle de l’esprit de l’homme, lui laissent encore un peu d’inquiétude et une vague incrédulité. Socrate n’en est pas surpris, mais il engage son ami à revenir souvent et sérieusement sur les principes dont ils viennent de s’entretenir, l’assurant qu’à la longue, plus il les méditera, plus il les trouvera solides et satisfaisants.

Telle est la première partie du Phédon, qui contient le dogme philosophique de l’incorruptibilité du principe intellectuel dans la dissolution de son organisation extérieure. Vient ensuite la seconde partie avec le cortège des croyances populaires et mythologiques sur la destinée et l’état ultérieur de ce principe immortel, transporté hors des conditions de son existence actuelle. La première partie était une discussion entre philosophes ; la seconde est un hymne, un fragment d’épopée ; c’est en quelque sorte, un accompagnement doux et gracieux, destiné à relever l’effet des démonstrations précédentes, et à charmer le cœur et l’imagination, après que l’intelligence est satisfaite.

La philosophie démontre qu’il y a dans l’homme un principe qui ne peut périr. Mais que ce principe reparaisse dans un autre monde avec le même ordre de facultés et les mêmes lois qu’il avait dans celui-ci ; qu’il y porte les conséquences des bonnes et des mauvaises actions qu’il a pu commettre ; que l’homme vertueux y converse avec l’homme vertueux, que le méchant y souffre avec le méchant, c’est là une probabilité sublime qui échappe peut-être à la rigueur de la démonstration, mais qu’autorisent et consacrent et le vœu secret du cœur, et l’assentiment universel des peuples. Elles ne sont pas d’hier, elles ne s’éteindront pas demain, ces naïves et nobles croyances qu’un indestructible besoin produit, répand, perpétue parmi les hommes, comme un héritage sacré ; et, en vérité, ce serait une philosophie bien hautaine que celle qui défendrait au sage, à l’heure suprême d’invoquer ces traditions vénérables, et d’essayer de s’enchanter lui-même de la foi de ses semblables et des espérances du genre humain. Ce n’est pas là du moins la philosophie de Socrate. Trop éclairé pour accepter sans réserve les allégories populaires qu’il raconte à ses amis, il est trop indulgent aussi pour les repousser avec rigueur ; et l’on voit tout au plus errer sur les lèvres du bon et spirituel vieillard ce demi-sourire qui trahit le scepticisme sans montrer le dédain.

Mais quelles sont ces allégories, d’où viennent-elles, et quelles idées positives est-il possible d’entrevoir sous leur voile symbolique ? Pour connaître la mythologie du Phédon, il faut la lire dans l’original : on n’extrait pas des allégories. Quant à leur origine, incontestablement elle est étrangère. Platon lui-même déclare qu’il n’est pas ici inventeur, mais historien. Dacier rapproche sans cesse les images du philosophe grec de celles des prophètes hébreux ; et Proclus, dont l’opinion représente l’opinion collective et systématique de toute l’école d’Alexandrie, Proclus rattache les allégories du Phédon aux traditions sacrées de l’Egypte. Faut-il aller plus loin ? est-ce sur les bords de l’Indus et du Gange qu’on doit aller chercher la source commune et première de ces fables de la Grèce qui, après avoir vivifié le paganisme ont souvent inspiré la muse chrétienne de Dante et de Milton ? Quoi qu’il en soit de la véritable patrie de ces fables, voici les idées auxquelles on peut immédiatement les rapporter : 1o le jugement des âmes après la mort ; 2o un système de punitions graduées qui est en même temps un système d’expiation et de purification ; 3o le retour des âmes à la vie sous des formes plus ou moins parfaites. Maintenant n’y a-t-il rien encore derrière ces idées, ou ne sont-elles elles-mêmes que des enveloppes symboliques du dogme de l’unité et de l’incorruptibilité de la substance intellectuelle, et la perpétuelle destruction et du perpétuel renouvellement de ses formes ? c’est un problème qu’il ne s’agit pas d’examiner ici, et dont j’abandonne la solution à une critique mythologique plus exercée et plus hardie que la mienne.


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