Petits poèmes (LeMay)/Réminiscences

Petits poèmes (LeMay)
C. Darveau (p. 175-177).

RÉMINISCENCES



Passez devant mes yeux, souvenirs que j’adore !
Comme ces flots d’azur qu’illumine l’aurore,
Passez ! passez devant mes yeux !
Comme au milieu des nuits ces brillants météores
Qui glissent dans les airs avec des bruits sonores,
Passez, souvenirs radieux !

Ô jours de liberté ! jours d’amour et d’ivresse
Où rien ne captivait ma sauvage jeunesse,
Je vous revois encor souvent !
De temps en temps, ainsi, sur la vague en écume
Le rocher voit reluire, au milieu de la brume,
Les rayons du soleil levant !


Je te pleure toujours, toit bâti par mes pères,
Foyer religieux où tant d’amour sincères
Comblaient le cœur du troubadour !
Et toujours je te pleure, ô chambre solitaire,
D’où mon regard pensif sur le ciel et la terre
Flottait doucement tour à tour !

Je regardais souvent, dans les longs soirs d’automne,
Ces aspects merveilleux qu’un soleil couchant donne
Aux œuvres sublimes de Dieu.
Je regardais la nue avec sa longue frange
Flotter, comme un navire à la structure étrange,
Dans un vaste océan de feu.

Je regardais aussi jaunir nos pâturages ;
Je regardais nos bois, sans feuilles, sans ramages,
Partout s’endormir pour longtemps.
Mais l’arbre reverdit que le soleil caresse !
Et pour l’homme qui touche an seuil de la vieillesse
Il n’est plus jamais de printemps !

Cascades qui sonnez comme des cors de cuivre,
Vieux pins qui tout l’hiver vous drapez dans le givre
Comme, dans l’hermine, un grand roi,
Solitaires sentiers, bosquets pleins de mystères,
Fontaines qui courez sous les fraîches fougères,
Vous souvient-il encor de moi ?


Berce-toi, papillon, sur ton aile de gaze,
La rose ouvre pour toi sa coupe de topaze,
Pour toi les prés sont veloutés !
Ah ! je voudrais aussi parmi les fleurs sauvages
Voltiger au hasard sur mes heureux rivages,
Loin du tumulte des cités !…

Ô vous dont le berceau fut en nos champs tranquilles,
Pouvez vous respirer l’air empesté des villes
Sans regretter vos prés en fleurs ?
Mes yeux de toutes parts s’aperçoivent que l’homme :
Dieu semble se cacher ; c’est en vain qu’on le nomme,
On ne voit pas bien ses splendeurs !

Je cherche un horizon baigné dans la lumière,
Et mes tristes regards se heurtent à la pierre
D’un mur qui tombe inachevé !
Je demande aux zéphyrs mes arômes champêtres,
Et la brise du soir n’apporte à mes fenêtres
Que la poussière du pavé !

Ah ! comment voulez-vous que mon âme s’élève,
Dans un transport d’amour, vers ce Dieu qu’elle rêve
Et que le désert lui montrait !
Du livre où je lisais la page s’est fermée !
Et jamais je ne vois qu’à travers la fumée
Le ciel d’azur qui m’inspirait !