Petit cours d’histoire de Belgique/p02/ch2

Maison d'édition Albert De Boeck (p. 24-29).



CHAPITRE II

Les Maires du palais.


§ 1. — Origine et développement de leur puissance.


1. Décadence des Mérovingiens.a) Les fils de Clovis se partagèrent, ses États suivant la coutume des barbares. Clotaire Ier parvint cependant à régner seul sur toute la monarchie. Mais de nouveaux partages suivirent sa mort. Finalement, le royaume présenta deux parties bien distinctes : l’Austrasie, patrie des Francs Ripuaires, à l’est de l’Escaut, et la Neustrie, séjour des Francs Saliens, à l’ouest du même fleuve.

Les rois Mérovingiens se rendirent odieux par des crimes dont le récit fait frémir. Signalons ce Clotaire Ier qui égorgea de sa main ses deux jeunes neveux, et fit périr dans les flammes son fils rebelle et toute sa famille. Nommons aussi la terrible Frédégonde. Ces rois souillés de crimes, avilis par leurs débauches, prétendirent néanmoins régner en souverains absolus à l’imitation des empereurs romains, et cessèrent de convoquer les assemblées générales des guerriers.

b) Mais les conquérants s’étaient aussi enrichis au détriment des vaincus. Ils formaient une aristocratie dominante, énergique et turbulente, animée des sentiments les plus belliqueux, pleine de confiance dans ses forces, et portant en elle un indomptable sentiment de farouche indépendance.

Ainsi, d’un côté, la royauté revendiquait tout pouvoir ; de l’autre, la noblesse refusait toute subordination.

c) Aussi en 613, dans une formidable révolte des leudes d’Austrasie, Brunehaut fut vaincue en dépit de son énergie, et attachée à la queue d’un cheval indompté. Le mérovingien Clotaire II, qui avait pactisé avec les révoltés, recueillit la couronne ; mais les grands lui adjoignirent comme ministres, sous le nom de maires du palais, les chefs de l’aristocratie austrasienne, Pepin de Landen et saint Arnulf. Le roi n’eut qu’une autorité précaire ; les vrais souverains du pays furent les deux maires.

2. Puissance des maires.a) La dignité de maire du palais n’était pas nouvelle ; elle existait d’ancienne date. Ce maire du palais était, à l’origine, un administrateur des domaines du roi : il n’était même pas nécessairement homme libre. Autant de domaines distincts, autant de maires. Mais, peu à peu, les maires des principales résidences royales avaient gagné la confiance du souverain ; ils en avaient profité pour élargir notablement leurs attributions et intervenir dans les affaires de l’État. Naturellement, ces fonctions eurent une importance incomparablement plus grande à partir de 614.

b) Or, Pepin de Landen, le premier des nobles d’Austrasie par ses immenses domaines, sa brillante réputation militaire et l’éclat de ses vertus, occupa le pouvoir pendant vingt ans avec une probité et des talents qui provoquèrent l’admiration générale. Il sut, chose difficile, faire régner l’ordre sans porter ombrage à l’humeur indépendante de la noblesse, et il acquit une popularité sans bornes, qui fut la source des grandes destinées futures de sa famille. Aussi, à sa mort, son fils occupa sans contestation les hautes dignités de son père.

c) Les princes Mérovingiens, relégués dans l’ombre par ces puissants ministres, essayèrent de ressaisir le pouvoir, et ils furent soutenus par les Neustriens, jaloux de l’élévation des Austrasiens. Mais Pepin de Herstal, petit-fils de Pepin de Landen, remporta une grande victoire à Testry, en 687, sur le roi Thierry III et les Neustriens. Cette victoire consacra définitivement le pouvoir des maires du palais et la prépondérance des Austrasiens.

d) De ce moment, les Mérovingiens n’eurent plus qu’un vain titre sans nul pouvoir ; ils avaient toujours la barbe longue et la chevelure flottante ; aux jours de réception solennelle, ils recevaient les ambassadeurs étrangers avec les insignes royaux et le sceptre à la main. Mais ils leur faisaient réponse suivant les indications du maire. Hors ces jours, ils vivaient assez pauvrement, entourés d’un petit nombre de serviteurs ; ils voyageaient dans un chariot traîné par des bœufs :

Seulement, au printemps, quand Flore dans les plaines,
Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris, le monarque indolent (Boileau).

L’histoire a flétri ces rois dégradés du nom de fainéants. Pendant qu’ils s’enfonçaient de plus en plus dans le mépris, trois maires exerçaient le pouvoir avec un génie extraordinaire. Ainsi leur autorité s’affermit si bien que Pepin le Bref put ceindre la couronne royale en 752.

1. Décadence des Mérovingiens. — Les Mérovingiens se rendirent odieux par leurs crimes et se déshonorèrent par leurs vices. Ils voulurent en outre exercer un pouvoir absolu.

Mais l’aristocratie, riche, puissante et insubordonnée, aspirait à une indépendance complète. Elle se souleva donc contre les rois, les vainquit, et leur imposa ses chefs comme ministres sous le nom du maires du palais (614).

2. Puissance des maires. — Le premier de ces maires tout-puissants fut Pepin de Landen. Il remplit ses fonctions avec tant de gloire, que ses descendants occupèrent après lui la même dignité, et la rendirent héréditaire dans leur famille. Ils devinrent ainsi les vrais souverains de la monarchie franque, tandis que les rois Mérovingiens, tenus à l’écart des affaires, tombaient dans le mépris. L’histoire a conservé à ces ombres de rois le nom de rois fainéants.

§ 2. — Charles Martel (714-741).

Charles était fils de Pepin de Herstal, le vainqueur de Testry. Lorsque Pepin fut mort, les Neustriens envahirent l’Austrasie, et les Frisons remontèrent le Rhin jusque sous les murs de Cologne ; ces deux peuples avaient à venger les victoires que Pepin avait remportées sur eux.

Charles, qui n’avait que dix-sept ans, attaqua hardiment le vieux chef des Frisons, Radbod, mais il éprouva une défaite complète. Heureusement pour lui, Radbod rentra peu après dans son pays. Alors Charles, avec une poignée de braves, se jeta dans l’Ardenne et pendant trois ans, il fit aux Neustriens une guerre de partis et de surprises ; le bruit de ses exploits grossit peu à peu sa petite troupe, et, en 717, il put livrer aux Neustriens une grande bataille à Vincy. Vainqueur, il les poursuivit jusque dans leur pays, et y rétablit la suprématie des Austrasiens.

Charles entreprit alors un grand nombre d’expéditions militaires qui rendirent son nom célèbre : il porta son autorité jusqu’aux Pyrénées et à la Méditerranée. En Allemagne, il atteignit les rives de l’Elbe et du Danube.

Répondant Eudès d’Aquitaine, ardent ennemi des Francs, avait appelé à son secours contre eux, les Mahométans d’Espagne. Cette nation redoutable était alors à l’apogée de sa puissance. Partis de l’Arabie après la mort de leur prophète Mahomet, en 632, les Mahométans avaient élevé en un siècle un empire immense : ils dominaient sur toute l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus ; ils s’étaient rendus maîtres de tout le nord de l’Afrique ; puis passant par le détroit de Gibraltar, ils avaient, à la fameuse bataille de Xérès, qui dura trois jours, anéanti l’armée des Visigoths et conquis toute l’Espagne. Ces hordes formidables franchirent donc les Pyrénées et se répandirent en Aquitaine. Mais elles pillèrent effroyablement le pays, et le duc Eudès n’eut bientôt plus d’autre ressource que d’aller implorer le secours de Charles Martel. Celui-ci passa la Loire et rencontra les Barbares au nord de Poitiers. Pendant sept jours, les deux armées restèrent en présence. Alors se livra l’un des plus mémorables combats dont l’histoire fasse mention ; il dura tout un jour. Charles donnait à ses guerriers l’exemple de la plus héroïque valeur. À la fin du jour, l’armée des Mahométans était presque anéantie : trois cent mille de leurs guerriers, dit-on, jonchaient la plaine. Charles reçut le nom de Martel en souvenir des coups terribles qu’il avait portés aux ennemis. Cette grande victoire sauva la civilisation chrétienne et arrêta enfin, en Occident, le prodigieux développement de la religion mahométane (732).

Charles, fils de Pepin de Herstal, eut à défendre l’Austrasie contre les Neustriens et les Frisons. Il sortit victorieux de la lutte et, avec le titre de maire, il fut bientôt, comme son père, le véritable souverain des Francs.

Ce prince rendit son nom glorieux par de nombreuses expéditions militaires, qui étendirent son pouvoir jusqu’aux Pyrénées et à la Méditerranée, et en Allemagne jusqu’à l’Elbe.

Mais il s’illustra surtout par la mémorable victoire qu’il remporta sur les Mahométans, à Poitiers, en 732. Cette, victoire sauva la civilisation chrétienne.

Charles mourut en 741.

§ 3. — Pepin le Bref (741-768).

À la mort de Charles le Martel, ses deux fils, Carloman et Pepin, se partagèrent la monarchie ; mais bientôt, Carloman, fuyant les grandeurs du monde, se retira au monastère du Mont Cassin, en Italie, et Pepin resta seul maire du palais.

Ce prince était de petite taille, mais il avait une vigueur extraordinaire et un cœur intrépide. Une légende rapporte qu’un jour, à Aix-la-Chapelle, au milieu d’une grande fête, il osa combattre un lion qui venait de terrasser un taureau, et lui trancha la tête d’un seul coup d’épée.

Pepin commença par bien affirmer son pouvoir sur toute la monarchie ; puis il résolut d’enlever aux Mérovingiens la couronne et le sceptre. Il sollicita l’approbation du pape Zacharie et celui-ci répondit : « Celui qui exerce le pouvoir légitime doit aussi en prendre le titre pour que l’ordre ne soit pas troublé. » Pepin convoqua donc à Soissons l’assemblée générale des guerriers. Ceux-ci l’élevèrent sur le pavois, et Childéric III, le dernier roi mérovingien, rentra dans le cloître d’où Pepin l’avait tiré jadis (752).

Bientôt après, le pape Étienne II vint en France, et un sacre solennel confirma l’acte de Soissons (754).

Par reconnaissance, Pepin passa les Alpes avec son armée, et combattit le roi des Lombards, Astolphe, qui voulait enlever au pape la ville de Rome. Il le vainquit et lui retira deux provinces qu’il donna au souverain Pontife.

Pepin le Bref remplaça son père en 741. Il gouverna d’abord la monarchie franque en qualité de maire du palais. Mais, en 752, avec l’approbation du Pape Zacharie, il se fit proclamer roi à Soissons, et le dernier roi mérovingien fut enfermé dans un monastère : ainsi fut fondée la dynastie des Carolingiens.

Pepin vainquit le roi des Lombards, qui voulait s’emparer de Rome ; il donna au souverain pontife deux provinces nouvelles, qui formèrent, avec la ville de Rome, le patrimoine de Saint-Pierre[1].

Pepin eut un règne remarquable ; il gouverna avec une rare sagesse et il établit un grand nombre d’utiles institutions.

  1. Les papes étaient véritablement souverains de la ville de Rome depuis le pontificat de saint Grégoire le Grand (590-604).