Petit Manuel d’harmonie/De la phraséologie musicale
§ 10.
DE LA PHRASÉOLOGIE MUSICALE.
Si l’on ne peut enseigner à personne l’art de créer la melodie, fille de l’inspiration musicale, on peut au moins avancer que l’audition de beaux et nobles chants, et leur analyse intelligente, disposent merveilleusement à devenir créateur mélodique, pour peu qu’on se sente quelque disposition à ce genre de production.
Une phrase musicale est le produit de plusieurs sons qui, par l’arrangement qu’on leur donne, par les inflections différentes qu’ils subissent, et enfin par le genre du mode et un certain mouvement rhythmique, forment un tout absolu, musicalement parlant.
Une phrase est donc composée de parties symétriques qui se lient les unes aux autres. Ces parties prennent le nom de membres de phrases on de périodes mélodiques.
Il y a des parties de phrase qui ne sont qu’incidentes dans le discours musical ; elles servent à lier celles qui constituent le fond de la pensée mélodique.
Le premier membre de phrase s’appelle l’antécédent ; le second qui, par sa forme, reproduit en quelque sorte la figure mélodique du premier, s’appelle le conséquent ; et enfin le dernier, qui, comme nous venons de le dire, n’est que la liaison des deux parties de la phrase à la première partie de la seconde période, prend le nom d’incident.
Ces différents éléments de phrases symétriques forment un tout appréciable, et présentant à l’esprit un sens suivi, agréable ou véhément, suivant l’impression qu’on a voulu donner à la mélodie.
Or, ce n’est qu’au moyen de modulations passagères, mais relatives entre elles, qu’on peut donner à la mélodie une succession d’intervalles dont le principal attrait est de charmer l’oreille en parlant au cœur.
Voici, relativement aux deux modes dans l’un et l’autre desquels s’écrit la mélodie, quelle est la marche la plus ordinaire à suivre pour enchaîner les différentes modulations.
Nous appliquerons cette double démonstration à la construction harmonique d’une romance, afin de nous renfermer dans les limites modestes que nous nous nous sommes tracées.
Dans le mode majeur, la mélodie ira au ton de la dominante du ton choisi ; puis, après y avoir fait un petit repos, elle reviendra par le moyen de la septième de dominante à la tonique principale.
Dans le mode mineur, le champ de la modulation pourra être plus vaste. Car après avoir passé au ton majeur, dont la tonique principale est le relatif mineur naturel[1], elle reviendra sur la dominante du mineur principal, et, au lieu de conclure dans ce même mineur, elle terminera dans sa tonique synonyme majeure[2].
Exemple d’une mélodie majeure dans laquelle les membres de phrases sont indiqués suivant leurs qualités d’antécédent, de conséquent et d’incident, et dont les modulations sont analysées l’une après l’autre.
LE PETIT DOIGT, Musique de M. A. Romagnesi.
Autre exemple d’une mélodie mineure annotée de la même manière que la précédente.
SI ÇA T’ARRIVE ENCORE, musique du même compositeur.
En général, toute phrase qui n’a pas sa correspondante dans une même période doit prendre le nom de membre incident.
Nous terminerons ce paragraphe en faisant observer au lecteur qu’il faut éviter, lorsqu’on écrit une composition légère, de lui faire parcourir une série de modulations recherchées, et que la mélodie naïve de la romance, surtout, perd beaucoup de cette simplicité qui fait son plus grand charme si le compositeur emploie l’harmonie compliquée du genre enharmonique pour l’accompagner ; ce qui, soit dit en passant, ne peut contribuer qu’à rendre les intonations vocales d’une exécution souvent insurmontable.
- ↑ Comme de la mineur en ut majeur, par exemple.
- ↑ Un ton synonyme est celui qui ne diffère d’un autre ton que par la qualité majeure ou mineure de sa tierce, mais qui porte le même nom-tonique, comme, par exemple, les deux tons de la mineur et la majeur (avec trois dièses).
- ↑ Si nous nous sommes permis de reproduire ici deux des plus délicieuses mélodies du recueil si populaire de M. A. Romagnesi, ce n’a été que pour rendre notre démonstration plus efficace à nos lecteurs ; parce que, depuis long-temps, les inspirations de l’un de nos plus excellents compositeurs de romances sont familières à tous ceux qui aiment à répéter de doux et spirituels refrains.