Perdue dans la Révolution russe (1917-1918)/02

Perdue dans la Révolution russe (1917-1918)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 51 (p. 136-168).
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PERDUE


DANS LA

RÉVOLUTION RUSSE...

(1917-1918)




II[1]


LENDEMAINS DE RÉVOLUTION




I. — LES FUNÉRAILLES DES VICTIMES

Dès le lendemain de la Révolution, je recevais de l’ouvroir un coup de téléphone : j’étais mandée d’urgence. Je savais qu’on renvoyait les curatrices et les sœurs appartenant à l’aristocratie. Maintenant que la liberté était proclamée, on ne voulait plus de créatures de l’ancien régime : on se dépêchait de le leur signifier, comme si l’on craignait de se contaminer à leur contact. Beaucoup partaient de leur plein gré, leur situation étant devenue extrêmement délicate et pénible. Aussi n’étais-je pas sans appréhension, en repassant le seuil de ce refuge de mutilés.

Mes malades m’ont fait le même accueil que toujours. Tous m’ont priée de rester à la tête de l’ouvroir et de continuer à m’en occuper. Cette réception si cordiale m’a réchauffé le cœur. Le soir devait avoir lieu une conférence de mutilés à la Douma municipale. Ils désiraient y assister, mais avec mon assentiment. C’est pour me le demander qu’ils m’avaient fait venir. De la façon la plus respectueuse, un de leurs délégués m’a exposé la nécessité de leur procurer un moyen de transport : les tramways ne fonctionnaient plus et ils ne pouvaient aller si loin à pied. Des événements pas un mot. Seulement, quand je partis, ils me dirent : « Si jamais, Sestriza, vous ou vos enfants, vous êtes en danger, venez vous réfugier parmi nous. Nous trouverons toujours moyen de vous protéger. »

Cette heure passée parmi ces braves gens m’avait complètement réconfortée. Ainsi la reconnaissance existe encore en ce monde et on la trouve chez les humbles 1 Par malheur, ce qui était vrai de l’ouvroir ne l’était pas du lazaret. Celui-ci était méconnaissable. Au lieu des visages avenants que nous étions accoutumés d’y voir, le contraste était frappant de l’expression farouche et sournoise avec laquelle les blessés vous regardaient. Les sœurs, quoique d’extraction modeste, étaient tenues en suspicion. Du jour au lendemain, les malades ne voulurent plus se soumettre à aucun règlement.


C’est le jeudi 23 mars qu’eurent lieu les funérailles des victimes de la Révolution. J’aurai peine à traduire la pénible impression que j’en ai rapportée. On remettait continuellement cette cérémonie pour diverses causes. On avait voulu d’abord enterrer tous ces morts sur la Place du Palais au pied de la colonne Alexandre, puis on se décida pour le Champ de Mars. Le Soviet des ouvriers et des soldats avait pris sur lui la direction générale et l’élaboration du cérémonial. Des médecins devaient être de service en permanence. A toutes les portes on avait reçu l’ordre de placer des baquets d’eau potable. Les tramways étaient arrêtés, la circulation interdite sur le parcours du cortège. Il régnait partout une grande surexcitation : on redoutait des troubles.

Le lieu de rassemblement se trouvait à l’hôpital municipal de Pierre et Paul, non loin de chez nous. C’est là que se massèrent à 9 heures les manifestants. Par le Bolchoi prospekt et le pont de la Cour, ils se rendirent au Champ de Mars. De nos fenêtres nous ne pouvions pas les voir, mais en rentrant ils passèrent devant notre maison. Les députations qui escortaient les dépouilles mortuaires ne stationnaient par sur le lieu de

[2] l’enterrement ; elles défilaient devant les sépultures, puis rebroussaient chemin en conservant leurs formations. De loin on entendait la Marseillaise entonnée par des milliers de voix. Des orchestres séparaient les députations et jouaient des marches funèbres. Chaque groupe portait des bannières brodées et peintes, avec diverses devises : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » — « Vive le Soviet des ouvriers et des soldats ! » — « Vive l’Internationale ! »

Les ouvriers, hommes et femmes, avaient arboré leurs habits de fête. Chaque, groupe était dirigé par un maître de cérémonie ceint d’une écharpe rouge. Pour maintenir la discipline dans les rangs, deux chaînes humaines bordaient le cortège. Aucun désordre : les prolétaires voulaient montrer aux bourgeois qu’ils étaient capables de maintenir l’ordre quand ils le voulaient. Quelque chose d’étrange et de mystérieux, où l’on devinait une hostilité sourde, émanait de ces masses silencieuses et ordonnées : cette affectation de calme était en quelque manière, plus effrayante que le désordre des manifestations tumultueuses. Ainsi, déployant le drapeau de la Révolution, s’avançaient d’un pas cadencé les ouvriers fiers de leur victoire : désormais, ils se sentaient les maîtres.

De la forteresse, des coups de canon saluaient les morts, chaque fois qu’on descendait leurs dépouilles dans la grande tombe.

Quant au public, rien ne saurait dépeindre sa consternation. Il assistait à ce spectacle avec une stupeur inexplicable pour un observateur superficiel, compréhensible seulement à qui connaît le peuple russe. Sauf peut-être dans la classe ouvrière, imbue d’idées nouvelles, le peuple russe est profondément religieux. Bien entendu, les questions de dogme le dépassent ; mais il ne s’en inquiète guère. Hier encore, il reconnaissait l’existence de deux choses sacrées : le Tsar et l’Eglise. Le Tsar parti, il ne restait que l’Église. Sous les voûtes pieuses des églises, les misérables échappent à la laideur qui les environne. Dans ce décor doré ils rêvent du paradis, qu’ils se représentent comme un endroit où on se repose de toutes les fatigues. Aucun paysan, fût-ce le plus pauvre, ne franchira ce seuil sacré sans mettre un cierge devant l’Ecce homo pour les âmes envolées de cette planète. Évidemment, avec ce dernier sou qu’il possède, il pourrait prendre un verre de vodka, mais il faut penser à l’expiation des fautes. Comme il prie aujourd’hui pour les disparus, d’autres plus tard prieront pour lui, quand il sera couché dans la terre humide. Encore, le moujik a-t-il pour se distraire le cabaret, mais la femme du peuple, en Russie, trouve dans l’église le refuge unique, l’unique poésie de sa morne existence. Sous ses nefs profondes aux icônes vermeilles, elle s’anéantit dans des visions de lumière. Les voix harmonieuses des chantres modulent des mélodies célestes. Les lampes des tabernacles éclairent les faces sombres des saints qui lui sourient doucement. L’encens répand une odeur suave. Dans ce lieu de délassement et d’espoir, elle oublie ses maux domestiques, son mari brutal, ses enfants malades. A travers les psalmodies du prêtre, elle laisse vaguer son imagination. Elle se voit déjà errant comme une princesse de légende au milieu des jardins paradisiaques. Des fleurs précieuses, comme elle n’en a jamais rencontré, embaument les sentiers sous ses pas. Elle est vêtue de robes tissées d’or et d’argent, pareilles aux habits sacerdotaux. Elle trouvera pour l’accueillir un ange aux ailes blanches comme un col de cygne. Le prêtre n’a-t-il pas répété les paroles du Seigneur : « Venez à moi, vous qui souffrez et vous serez soulagés ? » Et n’a-t-elle pas versé chaque jour assez de larmes amères ? Une heure arrivera où elle sera heureuse et choyée. Pour cela, il suffit de prier, et, parfois, de placer un cierge devant l’autel de la Mère de Dieu. A l’église, elle se sent réconfortée. Elle y puise la patience dont elle a tant besoin en attendant le moment où elle s’endormira pour toujours.

Résignation, espoir, c’est le fond même de l’âme de nos paysans. Le saint ciboire leur apporte la réponse au problème de la vie future, une consolation pour les misères de cette vie. Ils ne tâchent pas de comprendre : d’ailleurs, à quoi bon ? La réalité d’ici-bas est assez triste : l’inconnu de l’au-delà ne peut que valoir mieux. Cela explique leur passivité devant les pires chagrins. Je sais une femme du peuple à qui on annonçait la mort de son enfant ; elle fit le signe de la croix et dit : « Que la volonté du Seigneur soit faîte, il y aura un malheureux de moins sur la terre ! »

Qu’on imagine maintenant l’effet qu’a pu produire sur de telles gens Un enterrement civil collectif et public ! Il a du paraître à ces humbles cerveaux une œuvre satanique[3]. Ces cercueils rouges descendus dans un caveau au milieu de la ville, sans prêtres, sans cérémonie religieuse quelconque, sans prières, sans bénédictions, quel sacrilège !

Pétrifiée, la foule regardait et se taisait. Les vieux hochaient la tête et marmottaient tout bas : « C’est bien la fin du monde, la construction de la tour de Babel ! A-t-on jamais vu des chrétiens ensevelis dans la rue, quand il y a des cimetières ? On les enterre comme des chiens. Personne ne prie pour l’âme des défunts ! » Au lieu des coutumières oraisons funèbres, ce sont des discours politiques, qui se succèdent sur les cendres des morts. Ils chantent les louanges de la Révolution et célèbrent l’héroïsme de ceux qui sont morts pour elle.

La nuit commençait à tomber et il restait encore beaucoup de cercueils à descendre. Pour éclairer le travail des fossoyeurs, on alluma des torches qui projetaient au loin de sinistres lueurs. Le ciel avait, ce soir-là, un reflet de pourpre : les torches, les cercueils, les gens semblaient enveloppés dans un linceul sanglant. On se serait cru transporté en plein paganisme, à l’époque des cirques de Rome et des fêtes de Néron.

Les gens simples passaient en se signant devant ce grand tombeau et murmuraient entre les lèvres :

« Seigneur, préservez-nous de l’Antéchrist, car son règne approche ! »


II. — LE CONSEIL DE MILICE DE LA PETROGRADSKAÏA STORONA

Comme propriétaire d’immeuble, ma mère reçut en mars une notification du comité de milice du quartier. On la conviait à une séance au lycée ; j’y allai à sa place.

Jamais cette salle n’avait abrité entre ses murs une réunion aussi disparate. A la place d’honneur on voyait encore les portraits peints à l’huile des souverains, et ceux des divers dignitaires avec le cordon de Saint-André. Ces images muettes évoquaient l’histoire de la Russie autocratique qui avait étonné l’Europe par sa pompe. De quels spectacles étaient-elles aujourd’hui les témoins silencieux et désolés I Par quels termes, par quelles épithètes la Révolution avait-elle remplacé les titres anciens et la courtoisie d’antan ! C’était une cohue énorme, bourgeois et ouvriers confondus, ceux-ci en majorité. Sur une estrade un individu qui marquait mal, oh ! combien ! faisait office de président. Il nous annonça que, sur les douze membres dont se composait le Comité, deux étaient à remplacer. Nous étions convoqués pour élire leurs successeurs.

— Citoyens, veuillez désigner vos candidats !

Chacun cria un nom différent. Les uns timidement, d’autres avec arrogance. Les ouvriers considéraient les bourgeois avec des yeux de haine. Un homme en bourgeron monta à la tribune. Farouche et menaçant, il promena sur l’auditoire un regard circulaire, et, tout à coup :

— Je propose la candidature de la camarade Narischkine, cria-t-il.

Un coup de foudre eut produit sur moi moins d’effet que cette motion extraordinaire. J’en fus tellement saisie que la force même de refuser me manqua. Je me tus et restai bouche bée : je me consolais à l’idée que ma candidature n’avait aucune chance de succès. La liste close, une voix s’éleva :

— Il ne suffit pas de savoir les noms des candidats. Nous voulons être renseignés sur leur carrière publique. Avant de voter pour eux, il faut connaître leurs titres.

L’un avait passé dix ans en prison pour opinions politiques : il avait été mêlé à des organisations révolutionnaires ! Un autre, un ingénieur, avait dû fuir à l’étranger pendant son stage universitaire : il avait pris part à des manifestations antigouvernementales. Un troisième avait subi de nombreuses-condamnations pour faits de propagande, gracié en 1905… En somme, leurs états de service étaient tous à peu près les mêmes. Cela me rassurait. Lia camarade Narischkine avait travaillé depuis le début de la guerre à l’Union des Villes. Ce n’était pas un titre politique et ne répondait en rien aux exigences de cette assemblée.

Nouvelle fantaisie :

— Il faut que chacun des candidats expose en personne son programme politique !

À ces mots, la peur, une peur horrible, s’empara de tout mon être. Trop tard pour retirer ma candidature, il ne me restait aucun moyen de me dérober. Il fallait suivre l’exemple des autres et parler. Or, je ne savais même pas le nom des divers partis. Plongée dans mes pensées, j’écoutais distraitement les discours emphatiques des orateurs. Tous se prétendaient plus gauches que les gauches. La plupart critiquaient violemment l’ancien régime. Les mêmes qui avaient été des monarchistes ardents avant le 27 février, voulaient maintenant se rattraper. Parfois montaient des clameurs furibondes :

— Plus haut, citoyen. On ne vous entend pas. On ne comprend rien à ce que vous dites.

Le malheureux candidat, terrifié, faisait des efforts désespérés ; mais son organe oratoire refusait de se soumettre à sa volonté. Plus : morte que vive, je me répétais : « Que va-t-il m’arriver ? Je ne sais pas parler. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Que suis-je venue faire ici ? » Mes réflexions devenaient de plus en plus sombres, je perdais le fil de mes idées. La chaleur accablante, le bruit des interruptions se confondaient dans mon cerveau fatigué. Je ne voyais plus rien qu’un point lumineux, qui tournait, tournait sans cesse. Il grandissait, puis de nouveau se rapetissait ; je ne saisissais d’ailleurs-pas-la cause de ce phénomène qui absorbait toute mon attention.

— Camarade Narischkine !

Mon nom ! Glacée d’épouvante, je me lève n’ayant qu’une idée : en finir. Et j’entends une voix, voie voix étrangère à moi-même, articulant très nettement : « Je ne fais partie d’aucun groupe politique ; je me suis : toujours tenue à l’écart de la politique. Depuis-la guerre, je travaille à l’Union des Villes, pour les mutilés. Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez : Si vous me nommez ; je ferai tout mon possible pour me rendre utile. »

Je me rassieds. Un tonnerre d’applaudissements accueille mes paroles. Elles ont plu. Pendant le scrutin, un homme, plus agités que tous ces agités et secouant une crinière abondante, s’approche de moi.

— Vous avez une majorité écrasante, camarade.

Le président annonce les résultats : sont élus le citoyen Nejdanoff et la citoyenne Narischkine. Nous nous suivons à une voix. Les autres n’ont recueilli que quelques suffrages. Le citoyen chevelu m’apprend que tous les ouvriers ont voté pour moi. Quelles pouvait être la cause d’une sympathie si imméritée ? Comme je m’informais, j’obtins cette réponse : « Un camarade ouvrier menchévik, membre du Soviet des ouvriers et des soldats, a proposé votre candidature. » En mon âme, je le maudissais : je dus pourtant m’approcher de lui et le remercier. Sa figure morose ne se dérida point. Brisée de fatigue, je sortis de cette séance comme on sort d’un cauchemar.


Séance plénière au lycée. Autour d’une immense table siègent les vingt-sept représentants de la milice de la Petrogradskaïa Storona : douze bourgeois et quinze ouvriers. Ces derniers envoyés par toutes les usines des différentes parties de la ville forment un bloc séparé. Le courant bolchevik prédomine déjà dans les usines de notre quartier, pays d’élection de cette doctrine. Le leader de la délégation ouvrière est une femme, ancienne étudiante, la camarade Tarakanova, grande, figure pâle, traits frustes, yeux incolores à l’expression dure et mauvaise. Elle est vêtue d’une robe de velours noir, avec col de guipure : un chapeau Rembrandt à plumes, repose sur ses cheveux blond filasse coiffés en bandeau. Ce qui frappe chez les ouvriers, c’est leur mine hargneuse et ce regard en dessous, si différent du regard bonasse et enfantin qu’ont les soldats. Ils parlent, peu, griffonnent des notes à la Tarakanova qui interpelle le président à leur place. Elle lui transmet sans cesse les demandes d’explications de ses camarades, ouvriers. Alors, ce président, le bourgeois Sheiman, se multiplie ; lui et l’éloquence ne font qu’un. Il n’y a plus trace de l’apathie avec laquelle il préside nos séances locales. Il se frappe la poitrine pour flétrir les ennemis du peuple et exalter les ouvriers. « Les camarades ouvriers, voilà les véritables piliers de la démocratie » Mon cœur bat à l’unisson avec eux ! » En l’écoutant, on se demande quels intérêts il est chargé de défendre, ceux de son quartier ou ceux des ouvriers. C’est leur cause qu’il plaide, non la nôtre, ce sont eux qu’il soutient de son vote.

La Tarakanova parle très bien, de manière nette et martelée. On voit qu’elle a l’habitude de la tribune. Elle dit :

— Nous autres camarades ouvriers succombons sous le poids du labeur qui nous est échu, de par la veulerie des bourgeois. Non seulement nous travaillons à la sueur de notre front dans les usines, mais encore c’est nous qui devons monter la garde pour maintenir l’ordre dans la capitale.

Quelqu’un s’avise de la prendre au mot. Que les ouvriers cèdent aux bourgeois leurs fonctions de policiers : les bourgeois seront trop heureux de se charger de cette corvée et d’en débarrasser les ouvriers. Alors la Tarakanova bondit :

— Jamais I s’écrie-t-elle avec emphase, jamais nous ne rendrons les armes que nous portons ! Jamais, nous, les ouvriers, nous n’abandonnerons notre poste. Nous n’avons pas confiance dans la bourgeoisie. Le jour où les conquêtes de la Révolution seront en danger, nous, les camarades ouvriers, nous nous lèverons comme un seul homme pour défendre la liberté conquise au prix de notre sang.

Tout dans l’attitude de la Tarakanova dénote une âpre haine de classe. Elle creuse sans cesse, par des mots blessants, l’abîme entre les ouvriers et les intellectuels. Sa parole distille le fiel et sème la discorde. D’ailleurs, elle est la seule dont la personnalité ressorte dans ce cadre si terne : c’est elle qui donne le ton et dirige réellement les débats. Quant aux ouvriers, ils sont parfaitement disciplinés : ils se soumettent entièrement à leur leader et votent toujours à l’unanimité. Au contraire, du côté des bourgeois, ce ne sont que disputes et divisions. Le président écoute, ennuyé. Quand l’avantage semble se dessiner dans un sens qui n’est pas celui des ouvriers, aussitôt il brusque les choses et passe à la question suivante. Au surplus, même avec une autre tactique, le résultat eût été pareil : les quinze voix d’ouvriers l’auraient toujours emporté sur les douze voix bourgeoises, même si les bourgeois avaient été d’accord. Ce défaut d’union entre les intellectuels produisait une impression navrante. Quel sourire moqueur la Tarakanova lançait quand s’élevaient les querelles entre bourgeois ! Dans les séances privées, ils ne manquaient pas de protester contre la prépondérance des ouvriers ; ils cherchaient un moyen de se délivrer de leur tutelle. Mais, aux séances plénières, complet changement de ton. A de rares exceptions près, tous craignaient de déplaire aux ouvriers, et, comme toujours en pareil cas, ils exagéraient. Ils leur brûlaient trop d’encens. Cela même mettait les ouvriers en garde : ils ne pouvaient croire à la sincérité de toutes ces paroles flatteuses qu’on leur prodiguait.

Le seul moyen pour nous de contre-balancer cette majorité acquise contre nous, était de faire entrer dans l’assemblée un tiers parti qui nous appuierait. Le hasard nous servit à souhait. Au cours d’une interpellation sur le nombre de postes de milice, quelqu’un fit remarquer que les soldats n’étaient pas représentés parmi nous. D’une voix tonnante un enseigne militaire reprit la question à son compté, et dit de rudes vérités au sujet de la prédominance des ouvriers. Le conflit s’envenimait. La Tarakanova, très pâle, abondait en paroles conciliantes : « C’est un oubli impardonnable de notre part. Nous, les camarades ouvriers, nous désirons de toutes nos forces l’étroite union avec nos camarades les soldats. » L’émoi que traduisait ce langage nous fut une révélation. Nous résolûmes de battre le fer pendant qu’il était chaud. Une réunion eut lieu chez moi. Je proposai d’envoyer une députation aux casernes, afin d’expliquer aux soldats l’amitié que nous leur portions et de leur proposer une alliance. Le principe était de faire siéger à la séance plénière autant de soldats qu’il y avait d’ouvriers. Si les soldats posaient la candidature d’un de leurs officiers aux fonctions de commissaire, nous nous engagions à la soutenir. Mon plan fut entièrement approuvé ; mais personne ne voulait se charger de le mettre à exécution. Enfin, il se trouva deux braves, l’ingénieur Nejdanoff et un maitre d’école letton, pour accepter d’être nos porte-parole. Ils furent très bien reçus par les soldats, qui parurent enchantés.

En quittant la caserne, ils croisèrent la Tarakanova, venue évidemment pour une négociation analogue.

A la séance suivante, la Tarakanova jetait de notre côté des regards furibonds. Il y avait de l’électricité dans l’air. On devait élire un commissaire général pour tout le quartier. Tout à coup, la porte s’ouvrit, livrant passage à quinze soldats, délégués par leurs régiments. La Tarakanova blêmit, mais n’osa rien dire. Après de longues discussions, on procéda à l’élection du commissaire. La candidature de l’officier, présentée par les soldats et soutenue par notre groupe, l’emporta sur celle de l’ouvrier : le résultat était tel que nous l’avions escompté. Devant ce premier échec, la Tarakanova ne perd pas la tête : elle s’accroche à un détail, prétend que l’élection n’est pas valable et se lève avec fracas. Les ouvriers la suivent et quittent la salle. Une confusion terrible s’ensuit. Dans les couloirs, de petits groupes discutent. La Tarakanova parle avec volubilité. Quant à Sheiman, il me toise avec dédain et dit très haut :

— Il y a ici des membres de l’extrême droite, qui essaient de semer la discorde entre les ouvriers et les soldats.

Notre victoire ne fut pas de longue durée. L’officier, hésitant devant les complications que soulevait sa candidature, la retira : finalement, le protégé de la Tarakanova fut nommé commissaire. C’était un ouvrier bolchevik, sachant à peine lire et écrire, une vraie mine de brute. On lui donna comme adjoint sa douce amie, et nous autres, les 350 000 habitants de ce côté de la ville, nous fûmes soumis à la volonté de cet homme illettré et de cette ancienne étudiante. D’argent, ils en avaient tant qu’ils voulaient.

Voyant le train dont allaient les choses et l’impossibilité absolue d’y remédier, beaucoup de membres se désintéressèrent petit à petit de ces séances. Bientôt d’ailleurs les nouvelles mairies centralisèrent toutes les fonctions municipales. Ce conseil de milice, qui paraissait devoir jouer un rôle important, disparut comme une poussière qui s’envole. Il rentra dans son néant.


III. — GRANDEUR ET DÉCADENCE D’UN OUVROIR
(Avril-Octobre).

Avril. — Malgré la tourmente que nous traversons, l’ouvroir de Lesnoï a pu être inauguré à la date fixée.

Charme indescriptible de cette petite maison. Toute blanche, enfouie dans la verdure, des jardinières vertes aux fenêtres remplies de géraniums vermeils, elle paraissait souhaiter à tous la bienvenue et leur ouvrir les bras : Ses chambres étaient celles d’un sanatorium bien aménagé plutôt que d’un ouvroir de mutilés. Les murs peints au ripolin, comme la blancheur des rideaux de mousseline donnaient une impression de propreté minutieuse. De chaque côté de la terrasse descendait un double escalier. Au milieu de la pelouse un grand vase en pierre avec de grosses pâquerettes égayait la vue. Des lilas touffus penchaient leurs branches alourdies par les fleurs qui mettaient dans l’air la griserie de leur parfum. Des pommiers s’alignaient comme une rangée de soldats avec leurs pétales blancs légèrement rosés. Des poules picoraient dans les allées sablées. De temps à autre le grand coq érigeant sa crête d’un rouge carmin faisait sa ronde d’inspection. Un bon vieux chien sommeillait dans sa niche, levant la tête quand le bruit des pas le réveillait. On eût dit un décor de Chantecler.

Maison simple et recueillie, maison douce à l’humaine souffrance ! Ceux qui avaient travaillé à la création de ce nid pour les malheureux y avaient apporté le meilleur de leur cœur et de leur âme.

Ils avaient voulu en faire un ouvroir type, destiné à servir de modèle du genre pour la Russie. Tous les appareils de mécanothérapie les plus perfectionnés y avaient été réunis. Chaque homme allait être soigné, éduqué, rééduqué, selon ses capacités mentales et physiques. Les spécialistes les plus réputés avaient offert gratuitement leurs services et mis à notre disposition leurs talents. Cet asile de Lesnoi était vraiment le rêve réalisé des savants et des humanitaires… Les invalides s’en rendaient compte ; ils paraissaient heureux ; ils avaient revêtu pour l’inauguration leurs habits de fête : l’avenir s’annonçait sous des couleurs favorables.

La direction est confiée à une sœur qui vient du front : elle comprendra les maux des mutilés et compatira à leurs souffrances. Les autres membres du personnel, des étudiants et des étudiantes, ont le zèle de la jeunesse : le feu sacré du dévouement brûle en eux. Sur notre demande, les invalides se font représenter par deux d’entre eux dans notre comité de gestion. Une vie de labeur, une atmosphère où ils ne sentiront que de la sympathie, enfin notre préoccupation de leur bien-être les empêcheront de se démoraliser.


On m’a priée d’héberger un petit volontaire : c’est un pauvre garçon rachitique et dégénéré, qui a grand besoin de prendre des forces. Il ne sera pas encombrant. Timide, effacé, il passe inaperçu, sans bruit : on ne le voit, on ne l’entend pas. Pauvre enfant I Puisse-t-il se rétablir dans ce coin de verdure où il trouvera paix et sympathie.


Octobre. — L’automne fait pleuvoir les feuilles. Un soleil sans chaleur ne dore plus de ses rayons ce jardin qu’hier encore il faisait si gai. Les arbres ont dépouillé leur robe verte pour des parures plus sombres, brunes et rouges. Les coqs et les poules n’animent plus les allées de leur présence. La niche a perdu son hôte. Les géraniums aux fenêtres penchent leurs têtes fanées. Les feuilles tombent.

La tristesse du jardin a pénétré dans la maison. L’enchantement des premières semaines a disparu. Maintenant, ce sont contre le personnel d’incessantes réclamations : les salaires ne satisfont plus les invalides. Moi seule je réussis encore à calmer cette mauvaise humeur. Combien de bonnes heures ai-je connues, assise dans le jardin à l’ombre d’un grand tilleul, occupée à chapitrer les mécontents. Je tâchais de leur tracer un engageant tableau de leur avenir, de leur vie ennoblie par le travail. Ils m’écoutaient avec docilité comme on écoute un conte, mais au fond ils se méfiaient. Mes promesses leur semblaient trop belles. Pourtant, elles n’étaient pas mensongères : avec un peu de bonne volonté, ils les eussent réalisées. Mais à peine avais-je le dos tourné, l’effervescence reprenait. Et quels étaient les instigateurs des troubles ? C’était ce petit volontaire dont j’ai dit un mot tout à l’heure ; c’était lui, le timide et l’effacé, lui si modeste au début, et un autre soldat pareillement recueilli chez nous par pitié. Ils couraient les meetings, toute la journée, et revenaient, la nuit, haranguer leurs compagnons. Ceux-ci n’approuvaient pas tous cette propagande révolutionnaire ; mais ils n’osaient protester, de peur de passer pour amis des bourgeois… Ainsi la discorde et la suspicion se glissèrent parmi les invalides. Des scandales éclataient. Les beaux jours étaient à jamais écoulés.

Nous décidâmes de recourir à une mesure qui, à vrai dire, s’imposait : le renvoi des deux coupables. Mais alors le petit volontaire s’informa dans les milieux révolutionnaires, si nous avions le droit de le chasser. On lui répondit que non. Désormais sûr de lui, ce gamin morbide n’eut plus aucune retenue : il s’en donna à cœur joie d’attiser la haine chez les mécontents et d’imposer silence aux modérés. Ces derniers n’osèrent pas se séparer de leurs camarades. Ce fut à nous de partir. Bientôt il ne nous resta qu’à quitter, le cœur gros et pour toujours, ce coin que nous chérissions. Ainsi un petit drôle avait réussi à imposer son influence néfaste à un groupe d’hommes dont chacun, par son âge, pouvait être son père.

Adieu, petite maisonnette où, pendant six mois, s’est encadrée notre vie de labeur et de dévouement, adieu ! Ceux qui t’ont créée, maintenant sont dispersés. Reverront-ils jamais ce foyer d’invalides, ses murs blancs et son jardin de lilas ? D’autres y prendront notre place ; mais personne ne l’aimera comme nous, qui y avons laissé une parcelle de notre âme.

Très peu de temps après notre démission, le petit volontaire, auteur de toutes ces misères, s’est empoisonné. La cause de son suicide est restée inconnue.


IV. — UN MEETING D’INVALIDES
30 mai.

Je m’étais bien promis de ne plus rien organiser désormais ; on risque toujours de tomber dans un piège : les gens de l’ancien régime sont partout entourés de méfiance.

Cependant, voici deux officiers qui désirent me parler. Le premier, un grand, à la barbe noire, des yeux de myope, le regard fuyant sous le lorgnon, se présente à moi, sous le nom d’Oréolovitch. Il a servi dans la Croix-Rouge, puis dans le Comité industriel et se dit très protégé par Goulchkof[4] qui le connaît depuis la guerre japonaise. Son compagnon, un Kirghiz invalide, est un certain Lapine décoré de la médaille de Saint-Georges. Il dirige, avec Oréolovitch pour adjoint, une formation de volontaires invalides levée depuis peu.

D’abord les deux hommes ne m’avaient guère inspiré confiance. Mais cette première impression se dissipe, quand j’apprends le but de leur visite. Il s’agit d’envoyer au front des détachements de volontaires, recrutés parmi des soldats mutilés ou blessés pendant la campagne. Leur exemple réveillera le courage de ceux qui ne veulent plus se battre et se laissent gagner par la propagande bolchevique. Mais les invalides ne possèdent aucunes ressources : pour s’en procurer, ils veulent organiser un meeting monstre avec le concours des orateurs les plus célèbres. Ils viennent me prier d’en prendre sur moi l’initiative et l’organisation.

J’essaie de me récuser. Je proteste que je n’ai aucune des qualités requises pour cette tâche. Mais comment résister à leurs prières ? Leur idée est belle et touchante : elle peut donner des résultats sérieux. Car quel geste pourrait mieux faire éclater au grand jour l’amour de la Patrie, que celui de ces hommes mutilés, déjà victimes de la guerre et qui, loin d’aspirer au repos, n’ont d’autre désir que de se sacrifier à nouveau et d’offrir une seconde fois en holocauste au pays leur chair ravagée et leur sang ? Très émue, je promets de prendre l’œuvre en main et de faire mon possible.

Avant toute chose, je me rends au siège de leur comité : pour toute installation, ils ont dans une misérable chambre une table entre quatre murs. Ce comité n’était riche qu’en disputes. Pas un point sur lequel ils fussent d’accord. D’ailleurs, aucun d’eux ne savait écrire correctement, sauf Oréolovitch, à qui on décernait ici le grade de colonel. Je leur expose qu’il faut d’abord instituer un comité d’honneur choisi parmi les chefs les plus influents de tous les partis politiques acquis à l’idée de la défense nationale. Le meeting n’a de raison d’être que s’il devient l’occasion d’une grande manifestation groupant autour de l’idée de patrie tous ceux qui, malgré la divergence de leurs opinions politiques, communient dans le même culte patriotique. A la tête il faut une personnalité représentative, populaire dans les milieux russes, symbolique pour l’étranger.

Gamme toujours dans les réunions de ce genre, les soldats crient d’une seule voix : « Pravilno[5]. » Puis, après des palabres sans fin sur les mérites respectifs de Kerensky[6] et de Rodzianko, la candidature du président de la Douma l’emporte… Je suis chargé d’aller le solliciter.

Cette première séance m’a confirmé dans l’opinion où j’étais déjà qu’une telle entreprise est au-dessus de mes forces. Ces malheureux ne se doutent de rien : ils ajoutent beaucoup plus d’importance au détail de leur futur uniforme et à la couleur de leurs galons qu’aux questions essentielles. Mais ils sont tellement persuadés de la réussite de leur projet, la désillusion qu’ils éprouveraient à la suite d’un échec serait telle, qu’il faut à tout prix essayer de leur venir en aide et de lever avec eux l’étendard moral de la victoire.


2 juin.

Sur le front, les armées russes vont passer à l’offensive. Il s’agit donc de secouer la torpeur où s’est engourdie l’âme russe : c’est, en un pareil moment, le devoir de tous. Il n’est pas de jour où, dans quelque cérémonie publique, aux représentations théâtrales, un ministre prend la parole. On commence à se réveiller. L’exemple de ces invalides vient à son heure pour concourir à l’exaltation des cœurs. Le vent de leur héroïsme va chasser au loin les miasmes mauvais épars dans la ville.

Puisqu’on ne rêve maintenant que démocratie, où trouver une organisation plus démocratique que celle des mutilés ? Aussi nos mutilés ne doutent-ils pas d’être bien accueillis par Kerensky. Comment croire qu’une députation d’invalides, tous chevaliers de Saint-Georges, ait besoin de recommandation auprès du jeune socialiste, ministre de la Guerre, adulé par le peuple et par l’armée ? Pour ces braves, leurs blessures et leurs croix peuvent sans doute tenir lieu de lettres d’introduction…

Kerensky ne les reçoit pas !

Ce premier échec décourage tellement mes compagnons qu’ils me prient d’aller seule chez. Rodzianko. Par L’intermédiaire de Maklakoff, j’obtiens une audience pour le lendemain : il faut être éloquente et brève, chose difficile ! On m’introduit dans un petit bureau : dans l’exiguïté de ce cabinet de travail, la haute taille de l’homme d’Etat et sa voix de stentor me frappent encore plus. Très aimable, mais aussi très distant, il ne semble nullement enclin à accepter la corvée de président d’honneur. Je me représente le chagrin que causerait ce refus aux pauvres soldats. Avec toute l’éloquence dont je suis capable, je le supplie de ne pas se dérober et lui explique l’espoir que fondent les invalides sur son appui et sur sa grande influence. Peu à peu il se dégèle, il vient à nous, et j’emporte son acceptation.

Le concours des membres du parti Cadet et celui du corps diplomatique sont désormais assurés. Mais l’adhésion des milieux socialistes m’inspire les plus graves appréhensions. Ici, le nom de mon père, qui m’ouvre tant de portes, ne peut que me nuire. A toute force, il me faut arriver jusqu’à Kerensky. Je me mets en quête de recommandations.


12 juin.

C’est avec une certaine émotion que je franchis le seuil du ministère des Finances, où j’ai vécu toute mon enfance et toute ma jeunesse. Le suisse qui m’ouvre la porte est le même, les huissiers qui m’introduisent sont les mêmes. Mais comme ils ont vieilli ! Presque tous ont maintenant les cheveux blancs. Dans la même salle d’attente aux meubles de damas vert, les mêmes portraits des ministres de l’Empire me sourient dans leurs cadres vermeils comme à une ancienne connaissance. Celui-ci en perruque poudrée du XVIIIe siècle, aux beaux habits brodés d’argent, comme il ravissait mon imagination d’enfant ! Voici Bunge, figure sévère de professeur ; et encore voici celui qui occupait ce poste avant mon père, Vchnegradsky, une bonne tête de vieillard joufflu à lunettes d’or. Tout semble pareil, — et tout a tellement changé !

Mais je n’ai pas le temps de me laisser aller à la rêverie ; la porte du cabinet du ministre s’ouvre : devant le bureau où j’avais coutume de voir mon père, se tient assis Chingareff. Dès qu’il m’aperçoit, il se lève et vient à ma rencontre avec la plus engageante cordialité. C’est la première fois que je me rencontre avec lui : il me fait grande impression. Ce qui attire en lui, c’est le regard. Voilé par moment d’un nuage de tristesse, ce regard reflète une bonté infinie et illumine tout le visage. De l’ensemble de la personne se dégage un charme pénétrant. On sent que, derrière ce masque d’homme froid et correct, se cache une âme si belle, si pitoyable à la souffrance d’autrui, à la misère des humbles, qu’on a le courage de tout lui dire, de tout lui demander. L’âme de Chingareff doit avoir des affinités secrètes avec celle de Tchekhoff[7]. Non seulement il promet de prendre part au meeting, mais il se réjouit de contribuer au triomphe d’une idée si noble. Je le prie d’en parler à Kerensky, mais il craint que son intervention ne soit plutôt nuisible : leurs rapports sont assez tendus. Il compte agir par Terechtenko, très lié avec le ministre de la Guerre. Tant de sincérité, de simplicité et en même temps de force, émane de ses paroles que j’en reste tout émue. J’ignore ce que vaut le politicien, l’homme est généreux, fermement attaché à un idéal. Je le quitte avec la sensation de l’avoir connu toute ma vie.

Le lendemain, fidèle à sa promesse, il me téléphone qu’il a annonce ma visite à Terechtenko. Donc, après déjeuner, je m’achemine vers le ministère des Affaires étrangères. On m’introduit dans le cabinet du ministre : au bout de quelques minutes, entre un homme jeune, svelte et mince, très élégant, dans des vêtements venus directement de Londres, parlant à la perfection l’anglais et le français. Au lieu de la chaleur intérieure de Chingareff, la politesse exquise et aussi la froideur glaciale de l’homme du monde. Derrière les phrases aimables et les éloges décernés aux invalides, je sens de la prudence et de l’hésitation. Il me promet d’obtenir l’appui de Kerensky et aussi d’Avksentieff. Malgré ces bonnes paroles, je me rends compte que je n’ai pas réussi à gagner le jeune et élégant ministre des Affaires étrangères…

Comme je l’avais pressenti, Terechtenko ne donne pas signe de vie. Mais Mme Lebedew, fille de Kropotkine, se prodigue pour notre cause. C’est elle qui obtient de Kerensky la promesse de recevoir une députation des invalides et de prêter son concours éventuel, s’il se trouve à Petrograd ; en tout cas, il nous autorise à mettre son nom sur le programme. Elle en a aussi parlé à Avksentieff, à Skobeleff et à Tzereteli : les deux premiers ont donné leur consentement, le troisième a refusé.

Finalement, la fête doit avoir lieu à la Maison du Peuple, le jour de la remise de l’étendard au 1er détachement. Déjà tous les billets sont placés, tout est réglé jusque dans les moindres détails… Soudain, comme un coup de foudre dans un ciel serein, éclate la nouvelle que Rodzianko est parti pour la campagne. On craint des troubles bolcheviks : dans de pareilles circonstances, il n’admet pas une réunion du genre de la nôtre. Il a fallu nous résigner : le meeting n’aura pris lieu !

Les invalides sont consternés : c’est l’effondrement de tous leurs rêves. Sans subsides, leur départ pour le front devient des plus aléatoires. Tout se recule pour eux dans un vague lointain.


15 juin.

Malgré ce lamentable échec, je n’ai pas perdu tout espoir d’organiser un nouveau meeting pour les mutilés. L’enthousiasme de la foule, lors de la bénédiction de leur étendard leur a rendu courage. Mes visites aux hommes influents recommencent.

Roditcheff[8] qui s’était absenté de la ville, vient de rentrer. Je suis allée le trouver dans son appartement de la Basseinaïa. Notre entretien, malgré sa grande cordialité, m’a laissé une impression de désenchantement. Au lieu de l’enthousiasme auquel je m’attendais !

— Ne trouvez-vous pas, me dit-il, qu’il y a quelque chose de ridicule dans le fait qu’une poignée de manchots et d’estropiés veulent marcher à l’ennemi ?

Chingareff, lui, avait immédiatement senti combien la chose était grande et belle et point du tout ridicule.

… Nous avons la promesse définitive des orateurs. Encore une fois, tout est prêt : un seul point reste en suspens, le choix du président. C’est en son nom que doivent être faites les invitations au corps diplomatique. Rodzianko continue à refuser son concours…

Je me retourne vers Chingareff. Bon et complaisant comme toujours, il me conseille de solliciter, une dernière fois, le président de la Douma, et, à son défaut, de m’adresser à Kropotkine : il a l’estime de tous les partis. Enfin, après de nouveaux pourparlers, Rodzianko me rend visite : il m’expose combien il est hasardeux d’organiser une réunion publique quand des troubles peuvent surgir à chaque moment. Je lui mets sous les yeux la liste des orateurs inscrits ; il en prend connaissance ; il parait qu’elle lui fait bonne impression, car il finit par me promettre son concours, m’affirme qu’à moins d’événements imprévus, il présidera notre meeting, et ajoute :

— Vous le voyez : je tiens toujours mes promesses !


18 juin.

La Maison du Peuple, où va se tenir le meeting des invalides, est, toute la matinée, en pleine ébullition. Vers midi, la pluie qui tombait à torrents cesse et le ciel s’éclaircit soudain comme par enchantement.

Rodzianko arrive à deux heures précises : dans la cohue générale, il a passé inaperçu. C’est par hasard que je l’ai découvert dans le couloir. Il est maussade. Il me répète que, comme il m’en a prévenue l’autre jour, il ouvrira le meeting mais qu’il sera obligé de partir avant la fin.

Les loges réservées au corps diplomatique se remplissent peu à peu. Voici l’ambassadeur d’Italie, type d’homme du Nord, la barbe rousse, qui cause avec son petit collègue japonais. Le vieux ministre serbe, Spalaikovitch, coudoie un attaché français. Deux individus, dans le couloir, demandent le chemin de la scène. L’un, un petit vieillard, au visage pointu, les cheveux blancs comme neige, les yeux brillants ; l’autre, un gros blond à lorgnon, qui porte, l’uniforme français ; mais son type dément absolument cette nationalité. Ce sont Deutch et Koslovsky envoyés par l’Elinstvo[9] à la place d’Alexinsky. Dans une petite pièce attenant au plateau se trouvent déjà plusieurs officiers étrangers, ainsi que Maklakoff, Roditcheff et Mme Lebedew. Le leader du Labour Party, M. Henderson fait son entrée : il est de tournure élégante : ses idées n’ont pas déteint sur son extérieur. Chez nous, un socialiste doit être échevelé, débraillé, et non pas habillé, mais tout juste vêtu.

Maintenant Rodzianko, métamorphosé, sourit cordialement à tous. Le doute qui jusque-là le tenaillait sur la réussite du meeting a dû se dissiper. De nouveaux venus s’inscrivent continuellement sur la liste des orateurs ; l’étroite pièce bourdonne comme une ruche. L’hémicycle houleux regorge de monde. Les rubans et les croix de Saint-Georges, mêlés aux guirlandes de verdure font au théâtre une décoration pittoresque.et des plus agréables à voir. Des draperies, aux couleurs nationales de tous les pays alliés, retombent en plis souples des loges où se trouvent les représentants de ces nations amies… Cela repose du drapeau rouge, qui flotte partout depuis le 27 février.

Sur le fond de l’estrade se détache une reproduction de l’étendard des invalides avec leur devise : « La victoire est le gage de la liberté. » Tous les volontaires mutilés sont en uniforme khaki aux épaulettes bordées d’un galon aux couleurs nationales : sur leurs poitrines brillent des décorations. Beaucoup n’ont qu’une jambe : ils se redressent avec une allure martiale de vieux braves. Leurs figures rayonnent. Autour d’une grande table recouverte d’un tapis, siègent quelques-uns des hommes qui ont joué les premiers rôles dans l’histoire de la Révolution.

Au milieu d’un profond silence, le président déclare la séance ouverte. En quelques mots vibrants, il explique l’objet de la réunion. Il propose de saluer les ambassadeurs alliés présents et puis d’acclamer les détachements qui partent pour le front. Un tonnerre d’applaudissements accueille ces paroles ; l’auditoire tout entier réclame les hymnes nationaux. A deux reprises, retentissent les accents de la Marseillaise. Une vague de patriotisme, qui roule de gradins en gradins, submerge la salle. Rodzianko parle maintenant d’une voix tonnante au milieu d’un enthousiasme indescriptible.

Quand le calme se rétablit, le président donne la parole à Henderson. Malheureusement, son discours ne nous arrive qu’à travers la traduction d’un interprète, ce qui lui fait perdre beaucoup de son action. Le ministre anglais exhorte les ouvriers russes à renoncer provisoirement à tout ce qui est grèves et discussions sur les heures de travail. Ils doivent songer uniquement à la. défense nationale : de la quantité de munitions qu’ils fabriqueront dépendra le sort du pays, avec celui de plusieurs millions de combattants. Chaque heure de travail en plus représente autant de vies épargnées. Les camarades britanniques le savent bien, des docks de Londres aux mines du pays de Galles, eux qui font la guerre non pas au peuple allemand, mais à son militarisme. Sur ces entrefaites, arrive Chingareff, sortant d’une séance du gouvernement provisoire. Le sénateur-américain Root prononce quelques mots. Harangue brève, mais qu’importe ? L’orateur américain est là, il soutient la cause : c’est l’essentiel. L’émotion a déjà pris racine et s’épanouit en applaudissements dont la Patti aurait pu être fière à l’époque de ses grands triomphes.

Voici maintenant Maklakoff à la tribune. Sa taille voûtée, ses mouvements anguleux, son extérieur négligé, ses cheveux rejetés en arrière, tout cela disparait quand on l’écoute : ses yeux noirs où brille tant d’intelligence, tant d’esprit, ont un regard si expressif, qu’il en paraît presque beau. Il commence, d’une voix faible, avec un accent légèrement grasseyant : déjà le public est suspendu à ses lèvres. Pourtant, son langage est sévère : il brûle beaucoup moins d’encens que les autres à toutes les libertés maintenant promulguées. Il souligne, — constatation pénible, mais combien vraie ! — la crise que traversent l’armée et le pays. Il fait entendre l’appel de la patrie en danger. Alors sa voix devient forte, elle s’amplifie, elle vibre. On ne résiste pas à cette parole entraînante. Le cadre, l’orateur disparaissent : on ne voit plus que le danger de la patrie, on n’entend que l’objurgation de la patrie qui a besoin de vous. Il semble que la cloche d’alarme fasse l’accompagnement à ce discours : ses tintements se prolongent en échos lointains jusqu’au fond de l’Ame. Le poète se retrouve dans le tribun : s’il en est qui sont restés indifférents jusqu’ici, ils sont emportés par le mouvement et communient dans la ferveur générale.

A Maklakoff succède le major Thornhill. Dans un russe très pur, d’une voix claire et forte, il salue le détachement au nom de l’armée anglaise. De plus en plus, les figures des invalides » s’illuminent : ils ont un air d’enfants heureux et fiers.

Un soldat revenu d’Allemagne, qui ne possède pas le moindre talent oratoire, mais qui parle avec un accent de sincérité indiscutable, empoigne tout de suite son public. Son langage, d’une rude franchise, brutal même par moments, frappe l’imagination de la foule, plus voisin d’elle et plus compréhensible que celui des autres orateurs. « Courez au front remplir votre devoir ! » s’écrie-t-il. Les soldats de la garnison assis dans les galeries se mettent à applaudir. Bourru, il leur répond : « N’applaudissez pas, vous autres : Vous feriez mieux d’aller vous battre, plutôt que de rester ici à grignoter des graines de tournesol et à flâner par les rues ! »

Et puis c’est le tour d’un petit vieillard à lunettes, an regard bon et spirituel. Dans son expression naïve passe parfois une ombre de malice. C’est Kropotkine. Tout le monde le traite avec déférence : lui est la modestie même. Quand il apparaît sur l’estrade, on l’accueille avec frénésie. Il semble tout à fait étonné de cette explosion de sympathie à son égard. C’est son gendre qui lit le discours, à sa place : « L’homme qui a sa chaumière à l’écart a-t-il le droit de rester insensible au malheur qui s’abat sur celle de son prochain ? Non. » Sur ce thème sont brodés des développements pleins de noblesse. Kropotkine adjure chacun de secouer son apathie, de courir à la défense de la patrie, incendiée comme la chaumière du voisin. Il répète qu’il faut combattre avec les Alliés pour la grande cause commune. Il se hausse au-dessus des partis : il n’a qu’un amour au cœur, celui de pays : il souffre d’assister à sa ruine…

Après lui, se lève Roditcheff. Celui-là, c’est le mouvement fait homme. L’amphithéâtre frémit sous cette fanfare de vie intense. Sa voix tonnante, où s’étouffe par moments un sanglot, éclate en un torrent d’imprécations. On dirait les notes rudes et vibrantes d’une musique militaire qui accompagne les troupes partant pour la guerre. Elles stimulent les courages, elles donnent envie d’aller en avant, toujours en avant, vous faire tuer s’il le faut pour la patrie et la liberté. J’imagine ainsi l’effet que devait produire la Marseillaise chantée par Rouget de l’Isle. Ses paroles cinglent comme des coups de fouet : la foule saisie n’ose plus remuer.

Chingareff ne possède ni la grâce de Maklakoff, ni la fougue de Roditcheff. Pourtant, de son allocution se dégage une force d’émotion que les autres n’ont pas ; elle parait plus belle : c’est que son âme y transparait, son âme pure comme une rosée d’avril. Les paroles d’André Ivanovitch Chingareff sont simples comme une chanson russe, pleines de mélancolie, mais, aussi d’espérance.

Je ne puis citer tous les orateurs, qui se succèdent sans lasser la patience du public. Malgré l’heure avancée, personne ne songe à partir. Enfin, à huit heures, Rodzianko, — qui décidément n’est pas parti avant la fin, — clôture la réunion. On lui jette des fleurs, on agite des mouchoirs. Les invalides poussent des hourras retentissants auxquels se joignent ceux de l’assistance. Lui, salue à droite et à gauche, visiblement ému. Cette ovation lui est doublement agréable, venant d’un public qui représente des milliers de personnes de tous les groupes et de tous les partis. Il sait que l’étoile de sa popularité, hier si brillante, est en train de pâlir à l’horizon devant l’astre nouveau de Kerensky. Le portrait avec la signature de ce dernier, vendu aux enchères, monte à plusieurs milliers de roubles ; ceux de Rodzianko et de Kropotkine ne rapportent qu’une somme relativement minime.

L’atmosphère qui règne dans la salle se communique à toutes les parties de la Maison du Peuple. L’argent coule à flots. Chacun donne tout ce qu’il peut pour les invalidés. Dans le jardin, des soldats revenus du front, tout pleins des idées qu’ils viennent d’entendre si éloquemment développées, haranguent la foule qui les acclame. Le kiosque de l’emprunt de la Liberté est assailli par les souscripteurs qui s’inscrivent pour 500 000 roubles ; chiffre énorme, car ce ne sont pour la plupart que de petites gens. 35 000 personnes ont défilé au tourniquet. Devant l’attitude du public, les bolcheviks, venus pourtant en grand nombre pour faire du scandale, ont jugé prudent de se tenir tranquilles. L’enthousiasme a débordé, spontané, irrésistible comme une source longtemps contenue qui jaillit du sol.

Heures inoubliables, d’où furent bannis tout esprit de parti, tout intérêt personnel, où communièrent ceux dont le rêve ailé domina la masse inerte et grise et l’enleva jusqu’à lui ! Là où le symbole est la Patrie, son honneur et sa gloire, il n’y a pas de droite ni de gauche, il n’y a que des Russes et la Russie.

Là-bas, sur le champ de bataille, pour lequel le premier détachement paît demain, les soldats présents à cette fête du patriotisme se souviendront de ces instants sublimes. Ici, ils furent les héros de la foule qui les acclama pour leur noble geste. Là-bas, ils vont être ceux de la Patrie à qui une seconde fois ils apportent leur vie en offrande.

Les forts vont racheter les fautes des faibles.


V. — LA REMISE DU DRAPEAU AU IIe DÉTACHEMENT

Le second détachement s’était couvert de gloire pendant l’émeute bolchevique. Il allait prochainement partir pour la ligne de feu après la remise de son drapeau. Le général Vasilkovsky devait le passer en revue. L’ambassadeur d’Amérique et les attachés militaires des Puissances alliées assistèrent à la cérémonie qui se déroula sur la place Isaac. On attendait aussi le ministre de la Guerre, Kerensky.

Je vis tout à coup déboucher une ancienne calèche de la cour avec de magnifiques chevaux pommelés qui avaient appartenu aux attelages de l’Impératrice. Dans ce somptueux équipage, un mouchoir blanc noué autour de la tête, une vieille femme était assise, ayant auprès d’elle un tout jeune officier. C’était la Brechko Brechkovskaïa, la grand’mère de la Révolution russe, accompagnée de son aide de camp. Jamais souveraine n’a eu allures plus hautaines.

Dès qu’elle parut, les soldats l’acclamèrent avec frénésie. Comme elle jouissait d’une immense popularité, l’argent pour diverses organisations affluait chez elle. Les invalides me chargèrent de lui en demander pour le soutien de leurs familles : ils espéraient en outre qu’elle entrerait dans leur comité. Je m’approchai d’elle sur le parvis de la Cathédrale et lui exprimai leur prière. Mais elle n’avait pas le temps de m’entendre.

— Venez chez moi, me dit-elle, vous m’exposerez l’affaire à loisir.

— Où habitez-vous ?

— Je reçois les mardis au Palais d’Hiver.

— L’entrée est par la porte Saltikoff, ajouta respectueusement l’aide de camp…

En vérité, cette vieille femme était plus arrogante que les têtes couronnées : elle n’avait ni les manières affables, ni la bonté d’une véritable souveraine.

La revue commença sans le ministre de la Guerre qu’on avait vainement attendu. Les mutilés défilèrent devant le général avec une belle allure martiale ; ceux mêmes qui portaient un appareil tâchaient de boiter en mesure et se raidissaient pour avoir meilleure prestance. Quand le drapeau leur fut remis, la Brechko Brechkovskaïa descendit parmi eux et prononça une longue harangue, qui parut les enchanter. Puis elle leur donna son mouchoir qu’ils se partagèrent en guise de souvenir. Et s’étant rassise au fond de son carrosse, elle partit au milieu des hourras.

Pour moi, quel que fût mon désir d’obliger les invalides, je ne pus vaincre ma répulsion ; je n’allai pas au Palais d’hiver pour y être reçue en audience par la grand’mère de la Révolution russe. Elle portait un fichu au lieu d’un chapeau, mais cela ne l’empêchait pas de prendre des airs de reine en tournée officielle. Cette parodie m’écœurait.


VI. — LA CÉRÉMONIE EN L’HONNEUR DES COSAQUES

Les journées des 3 et 5 juillet furent marquées par de graves désordres bolcheviks. Toutes les troupes sur lesquelles le gouvernement comptait se tenaient prêtes. Les premières qui sortirent dans la rue furent les Cosaques. Au Liteiny prospekt et sur le pont conduisant à la Viborskaïa storona, une vingtaine d’entre eux furent tués, d’autres blessés. Grâce à leur intervention, l’ordre put être rétabli. Ces braves étaient morts pour nous, habitants de la capitale : le clergé et les intellectuels décidèrent d’assister à leurs funérailles : elles prirent les proportions d’une grandiose manifestation patriotique.

La veille au soir, les dépouilles mortuaires avaient été transportées de l’hôpital à la cathédrale Isaac, où devait avoir lieu la cérémonie funèbre. Dès le matin, les cloches, de leur voix grave, appelèrent les fidèles à la prière. Les rues étaient noires de monde. Les immenses nefs de l’église aux colonnes de porphyre et de lapis-lazuli ne pouvaient contenir la foule accourue pour honorer les défenseurs de l’ordre. Tout le gouvernement était là, Kerensky en tête. Le métropolitain et le clergé au grand complet officièrent. Après un éloquent adieu aux morts, le cortège se mit en marche. Des députations sans nombre accompagnaient le convoi. Rodzianko et beaucoup de membres de la Douma étaient venus : Roditcheff portait une grande couronne. Des brassées de fleurs recouvraient les cercueils de leur moisson odorante. Des fleurs, des fleurs à perte de vue : elles veillaient les chers disparus. Dans un profond recueillement, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants marchaient derrière les chars. Une vague de ferveur religieuse passait sur tout ce monde intellectuel, généralement sceptique ou indifférent. Une atmosphère de mysticisme et d’espoir, pour que le sacrifice de ces enfants du Don et du Kouban ne fût pas inutile, enveloppait la terre, tandis qu’un radieux soleil brillait au ciel. Devant les principales églises… le murmure des prières se mêlait au carillon des cloches. Des passants se joignaient sans cesse au cortège. Quand il arriva au couvent Alexandre Nevsky, il s’était transformé en une véritable mer humaine. On avait creusé là un vaste caveau où devait plus tard s’ériger une chapelle ardente. Et des fleurs, toujours des fleurs. Les cercueils y furent descendus, la panikhida commença. Le silence n’était coupé que par le bruit des sanglots. Quand les chantres entonnèrent, de leurs voix profondes et harmonieuses, le Vetschnaia Pamiat. « Mémoire éternelle, » tous les assistants tombèrent à genoux. Et, prosternés, ils redisaient les mêmes paroles. L’écho répéta ce dernier adieu de la terre, et dans l’air vibra comme une litanie éternelle : Vetschnaia Pamiat ! Veischtnaia Pamiat ! Vetschnaia Pamiat ! Une croix provisoire fut plantée dans le sol, avec une lampe de tabernacle qui brûlait doucement. La brise était saturée du parfum des roses et des jasmins qui tapissaient cette dernière retraite. Par la lourde journée d’été, ce souffle embaumé caressait avec tendresse les fronts brûlants et les yeux des mères et des épouses que les larmes avaient ravagés.

La foule s’écoula en silence. Mais, longtemps après, à toutes les heures du jour, des prières furent dites sur cette tombe des Cosaques. Au loin, dans les stanitsa natales, en évoquant le courage et les prouesses des morts, les vieux Cosaques et leurs enfants faisaient le signe de la croix et répétaient aussi : Vetschnaia Pamiat !


VII. — UNE VISITE A KROPOTKINE

Mme Lebedew, la fille de Kropotkine, m’a téléphoné que je ferais plaisir à son père en venant prendre une tasse de thé chez lui. Je décidai de profiter de cette invitation pour le remercier de la sympathie qu’il avait témoignée aux invalides. Je me rendis aux îles, dans la villa Van der Palz.

Tout au fond d’un vaste jardin aux arbres touffus s’élevait une maison en bois avec une véranda vitrée. Sous l’ombrage d’un tilleul aux larges branches, je trouvai Mme Lebedew, habillée d’une robe de mousseline blanche qui faisait ressortir son teint éclatant de brune. Son père, en conférence avec Milioukoff, me priait d’attendre. La conversation roula sur l’ouvroir. Je me plaignis de la paresse des mutilés qui me désespérait. Elle me pria de répéter ce fait à ses parents qui refusaient d’y croire.

Quelques instants après apparut au fond de l’allée Kropotkine avec sa femme. Tel était l’agrément de ses manières qu’on était tout de suite sous le charme. On reconnaissait l’homme du monde d’une autre époque, courtois et brillant. Plein d’entrain, il s’intéressait à tout comme un jeune homme. Il me fit l’accueil le plus empressé et me promit de visiter mes invalides.

Comme je lui disais leur horreur du travail, son regard limpide prit une expression de profond étonnement.

-— Est-ce possible ? me dit-il ; les paresseux dont vous vous plaignez sont sûrement des exceptions.

Il jugeait les individus en théoricien qui, du fond de son cabinet de travail, a rêvé, durant un long exil, à son pays natal et aux souffrances de ses compatriotes. Il regardait les gens avec une âme d’idéaliste, les imaginant tels qu’il les voulait et non tels qu’ils étaient réellement. Go savant universel mettait sur les visages qu’il contemplait un reflet de sa propre candeur.

Je proposai à Mme Lebedew d’entrer dans notre comité. Elle s’excusa sur le manque de temps ; elle cherchait un emploi qui lui rapportât quelque argent : ils n’étaient pas riches, et la vie coûtait cher. Pourtant, au début de la Révolution, l’existence de Kropotkine eut des allures d’apothéose. Petrograd réservait une réception enthousiaste à ce vieillard, retour d’exil. Du matin au soir, sa maison ne désemplissait pas. Des hommes politiques de tous les partis, des savants, des étrangers sollicitaient de lui un entretien, lui demandaient conseil, recueillaient pieusement ses paroles. Il représentait l’idéalisme incarné.

Qu’il doit souffrir maintenant, en assistant à l’écroulement de son rêve ! Témoin vivant de l’application par un peuple inculte des doctrines auxquelles il a sacrifié sa vie, le grand humanitaire doit avoir le cœur brisé. Une personne de son intimité m’a dit qu’il pleurait comme un malheureux dans le petit appartement où il s’était réfugié à Moscou.

Je n’ai plus revu Piotr Alexeevitch Kropotkine après cette journée aux iles où chantaient les oiseaux, où les feuilles des bouleaux à l’écorce argentée bruissaient sous la caresse éthérée de la brise. Mais je n’oublierai pas ses yeux lumineux qui reflétaient son âme, grande à embrasser le monde, douce et simple -comme l’âme d’un enfant…


VIII. — L’HÔTEL DE LA KCHESLNSKAYA

C’est en janvier 1918 que j’ai franchi pour la première fois le seuil de la Kchesinskaya. J’étais venue remercier la célèbre danseuse, pour avoir paru dans une représentation an bénéfice <les invalides.

Un maître d’hôtel français m’ouvrit la porte et m’introduisit au salon. Dans une chambre tendue de soie claire, aux meubles anglais, se tenait la maîtresse de céans. Des fleurs rares aux couleurs chatoyantes embaumaient la pièce remplie de bibelots de prix. Sur un guéridon, des roses jaune tango dans une potiche chinoise courbaient leur tête trop lourde pour leur fragilité. Elles exhalaient un parfum suave et pénétrant. Précieuse et menue, l’artiste faisait penser à quelque danseuse d’Angko. Un ruban cerise encerclait ses cheveux noirs comme du jais. Des yeux pétillants d’esprit, dans un visage irrégulier, la faisaient paraître plus jolie qu’elle n’était en réalité. En causant avec elle on comprenait son succès de femme, aussi modeste et simple dans l’intimité que l’artiste était brillante et pleine de fougue sur la scène. Le boudoir ensoleillé donnait sur un jardin d’hiver ; des colombes voltigeaient autour des plantes exotiques ; le roucoulement de ces oiseaux blancs se mêlait au murmure cristallin de la petite fontaine dans sa vasque d’albâtre, et puis, à travers les floraisons luxuriantes et les fougères tropicales, l’œil apercevait, au dehors, le parc, ses allées et ses massifs recouverts d’un linceul de neige. Et c’était tout le Nord, avec la dentelle de ses arbres et son âme de brume et d’exil.

L’arrangement intérieur, très somptueux, complétait l’impression. Quoique j’adore la patine que seuls les siècles écoulés confèrent aux choses, j’avoue que l’image de cette femme frêle s’harmonisait mieux avec un cadre ultra-moderne : c’était l’écrin qu’il fallait pour enfermer un bijou de Lalique.

C’est cette demeure qu’à cause de sa situation exceptionnelle, — le belvédère domine trois quartiers, — Lénine choisit pour s’y installer avec son état-major. L’imagination populaire, qui magnifie tout ce qui lui est inconnu, a qualifié de « Palais de la Kchesinskaya, » ce qui n’est qu’une jolie habitation de dimensions moyennes. Maison ou palais, par quelles vicissitudes elle allait passer ! Tout d’abord, l’imprimerie de la Pravda y fut transférée. Mais, en juillet, après un violent assaut, les invalides du second détachement s’emparèrent de cette citadelle du bolchévisme : pour leur récompense, ils obtinrent d’y établir leur comité central. Cependant une compagnie de cyclistes, profilant du temps que durèrent les pourparlers engagés à cet effet, l’occupa et ne voulut plus la quitter. Une lutte acharnée s’engagea : la victoire resta aux invalides qui prirent triomphalement possession de l’hôtel.

Très peu de temps après, j’eus l’occasion de m’y rendre. A la place du domestique français, en livrée impeccable, un invalide débraillé, à moitié endormi, m’ouvrit la porte. A voir l’aspect du vestibule, on hésitait entre la grange et le corps de garde. L’odeur des fleurs avait été mise en fuite par les fumées épaisses d’un âcre tabac. Le salon et les pièces voisines avaient été transformés en dortoirs pour les soldats. Sur les murs salis et dégradés, pendaient encore quelques haillons d’étoffe, échappés au vandalisme des nouveaux occupants : témoins misérables, ils laissaient deviner la défunte richesse de ce qui fut des tentures de soie. Les cheminées, jadis de marbre blanc et rose, n’offraient au regard qu’une large brèche, un trou béant. Des morceaux de papier collés remplaçaient les vitrer brisées. Le piano, à moitié démoli, avait été relégué dans un coin. Parfois un soldat désœuvré appuyait sa main lourde sur le clavier d’ivoire : alors un son grêle s’exhalait comme une plainte sous ce toucher brutal.

Le jardin d’hiver aux colombes blanches avait subi les mêmes outrages que les salons. Tout avait disparu, jusqu’aux derniers vestiges des plantes rares. Rien n’existait plus. Il semblait qu’une invasion des Huns eût tout balayé. Çà et là des débris d’objets, épaves rejetées par la tempête, achevaient de mourir. A mon cœur ils parlaient de jadis, comme ces fleurs fanées d’un bouquet que l’on retrouve, après des années d’absence, dans une maison abandonnée. Les pétales sont flétris et desséchés, mais leur mort se souvient de leur existence parfumée d’autrefois.

Dehors, des groupes de soldats sont couchés sur l’herbe, jadis si soigneusement passée a la tondeuse… Tout d’un coup, l’air fut déchiré par un bruit strident : c’était l’annonce du dîner. Aussitôt des centaines d’hommes se ruèrent comme des bêtes affamées, dans ce paradis désaffecté où maintenant se cuisinait la popote du soldat. A l’haleine embaumée des fleurs succédait une odeur de soupe et de choux.

Ce bruit, cette scène triviale, déshonorant les ruines d’une splendeur abolie, me firent détourner la tête. Je ne voulais plus rien voir de ce qui était sous mes yeux. Je m’enfuis ; et, dans ma fuite, j’étais poursuivie par une vision d’antan : sous les arceaux de la pergola, restée par miracle intacte, la silhouette mince et gracieuse de la jolie danseuse m’apparaissait, rêvant a ses succès et a sa gloire d’artiste sous la garde jalouse des roses jaune tango.


IX. — UNE VISITE A SMOLNY
Mai-juin.

Ma mère et mes enfants sont en Finlande depuis avril. Tranquille sur leur compte, je suis restée à Petrograd, afin d’organiser dans notre propre maison un lazaret pour les grands blessés. En dépit du malheur des temps, je ne me considère pas comme relevée de mes fonctions. Les changements politiques sont sans influence sur le devoir d’une sœur. Sous tous les régimes, un blessé demeure toujours pour elle un blessé. Elle a beau n’avoir aucune idée commune avec lui, elle doit rester fidèle à son poste jusqu’à la-dernière extrémité.

Dans cette ambulance modèle aux lits de fer et aux murs passés au ripolin, qui eût reconnu notre demeure ? Moi seule je revoyais en pensée la haute silhouette de mon père dans la pièce qui fut son bureau. Alors, sur les tentures rouges ressortaient les portraits de ses aïeux dans leur cadre uniforme en bois doré. A côté de sa table à écrire se dressait un grand buste en bronze de l’empereur Alexandre III dont il vénérait la mémoire. Tout cela maintenant n’était plus. Le salon blanc de ma mère, toujours rempli de plantes tropicales, avait été transformé en dortoir. Au lieu de femmes élégantes babillant dans leurs fauteuils autour d’une table à thé, des sœurs attendaient la venue de nouveaux hôtes au lazaret 205…

Ainsi les douces images, du passé cédaient la place à de tristes ou cruelles réalités présentes. Voici en ce genre encore une impression que je rappellerai : ce fut peut-être la plus saisissante.

Pour aller en Finlande, il fallait aller chercher une autorisation à Smolny, où l’on devait se présenter en personne. A l’entrée de la citadelle bolchevique, on exigeait un laisser-passer spécial ; je l’obtins grâce à un matelot du lazaret, et je me rendis à Smolny.

Avait-il jamais existé, l’institut de jeunes filles nobles fondé dans cet édifice sur le modèle de Saint-Cyr par la grande Catherine ? La chapelle avait éteint la lueur de ses lampes. Les couloirs où avaient glissé des pas silencieux tremblaient sous les lourdes bottes des Lettons. Parfois un matelot laissait choir son fusil et l’écho de la chute brutale se répercutait de salle en salle. Les recoins obscurs où les âmes s’étaient blotties dans un recueillement parfumé subissaient, comme un viol, la ronde profane des sentinelles. Quel feu de joie sacrilège, allumé par la populace, avait dévoré les tapis, les consoles en bois sculpté, les châsses ? Au bas du royal escalier, une femme dépeignée vendait des journaux et des brochures de propagande. Des boites de conserves, des haillons traînaient sur les parquets. Le tapotement des machines à écrire et les voix discordantes des hommes se croisaient parmi des relents de cuisine.

Cette salle aux colonnes blanches où siégeaient, dans-la fumée des cigarettes, les ouvriers et les soldats au milieu de la rouge clameur de la Révolution sociale, des élèves aux robes à paniers, des demoiselles aux profils de camée y avaient dansé le menuet aux sons grêles du clavecin. Le jeune et séduisant empereur Alexandre Ier et la blonde souveraine Elisabeth avaient souri doucement entre ces murs dorés, maintenant tout frémissants des discours incendiaires de Trotzky.

A travers les allées majestueuses du parc, sous les chênes où les courtisans s’étaient promenés dans leurs habits brodés, les gardes rouges proféraient aujourd’hui leurs jurons grossiers. Où étaient-ils, ces fantômes gracieux d’un autre âge, qu’était devenue la somptuosité des fêtes galantes du Nord ? Les silhouettes des vieux princes frivoles, appuyés sur leurs cannes à pommeau d’ivoire ne peuplaient plus les sentiers piétines et boueux. Des automobiles blindés, des camions et des mitrailleuses avaient envahi les ombrages et les pelouses. Le drame avait vaincu l’idylle.

La Nelidova reconnaîtrait-elle maintenant son cher Institut, où le tsar Paul l’avait courtisée et chérie ? Tout un monde défunt d’art, d’élégance et de mondanité religieuse dormait dans cette enceinte, et les nouveaux venus en avaient dispersé la cendre. Ce n’était pas seulement Smolny, l’ancien Smolny, le Smolny impérial qui avait irrémédiablement disparu sous leurs coups : c’était la vieille Russie, sa puissance traditionnelle, ses siècles de faste et de gloire.

A l’aube, Lénine, dans la chambre 67, doit sans douté s’accouder à la fenêtre pourvoir les brumes d’automne se disperser sur la Neva ; et, debout face à l’Orient, il salue peut-être dans le soleil le spectre rouge du communisme en marche vers le monde. A la même croisée, la dame de classe s’est penchée jadis vers l’aurore, et pâle encore d’avoir passé sa nuit sur le dernier livre de Pouchkine, elle imaginait quelque aventure merveilleuse, quelque Doubrovsky de légende, et elle célébrait à travers l’espace de mystiques et secrètes fiançailles.

Dans la pénombre grise, en quittant Smolny, on se hâte au milieu des flaques de boue ; mais l’immense bâtiment, éclairé à chaque fenêtre, éblouit parmi les ténèbres. Il semble préparer quelque fête suprême, et le rêveur solitaire, égaré dans la Révolution, se surprend à épier au loin le bruit étouffé d’un carrosse et à chercher au clair de lune des formes frêles qui exécutent un menuet précieux, suranné, — et si triste !…


X. — LA MORT DU SOLDAT RUSSE ?

L’armée russe n’est plus qu’un souvenir : le bolchevisme l’a tuée. Qu’on accuse le gouvernement, les leaders des divers partis qui entraînaient derrière eux les masses ; qu’on accuse le manque de culture du peuple russe, mais qu’on ne rende pas responsable de tout et indistinctement le soldat ! Des hommes qui savent mourir et souffrir comme l’a fait au début de cette guerre le soldat russe, ne peuvent être des lâches… Ce sont de grands enfants primitifs et incultes dont on a voulu faire des civilisés malgré eux. On les imaginait capables de discipline morale, librement consentie. Ces hommes qui, jusque-là, étaient habitués à obéir sans discuter, furent tout à coup assaillis par une propagande effrénée. Les uns les excitaient contre leurs officiers, les autres leur brûlaient de l’encens en flattant leurs plus mauvais instincts. On a farci leurs cerveaux de doctrines politiques innombrables et diverses : chaque parti tâchait de les rallier à sa cause. Comment s’y seraient-ils reconnus ?

Bientôt ramenés à l’état de hordes sans cohésion, discutant sans les comprendre le Contrat social et les Droits de l’Homme, incapables de se débrouiller par eux-mêmes dans ce chaos, sans discipline, sans foi dans leurs chefs, que pouvaient-ils faire ? Quelle sauvegarde avaient-ils contre leurs instincts ? Aucune. Pauvre soldat ! Ne l’avait-on pas méconnu d’abord ? Les âmes ont-elles vibré d’orgueil, les cœurs battu plus fort devant son héroïsme silencieux, quand il se faisait tuer sans une ombre de regret pour sa jeunesse que la mort fauchait dans sa fleur ? Blessé, il souffrait le martyre sans jamais demander pourquoi, sans qu’une plainte ou un reproche lui échappât. Alors, on a passé devant lui sans le regarder, sans essayer de le comprendre. Maintenant on le regrette, on se repent : il est trop tard ! Le jour viendra où on retrouvera le soldat russe. Il n’est pas mort, il n’est qu’endormi dans le sanctuaire des cœurs fidèles. Il sortira de son long sommeil, et avec lui s’éveillera la Russie : car l’âme d’un grand peuple est impérissable et elle renaîtra de ses cendres.


Vera Narischkine-Witte.
  1. Voyez la Revue du 15 avril.
  2. Jeudi 23 mars.
  3. Beaucoup de familles d’ouvriers réclamèrent les corps des leurs pour les enterrer religieusement.
  4. Président de la 2e Douma et du Comité de guerre, ministre de la Guerre au sein du gouvernement provisoire au début de la Révolution.
  5. Juste.
  6. Kerensky, chef du groupe des « travailleurs » à la Douma et des socialistes révolutionnaires au début de la Révolution, ministre de la Justice, ministre de la Guerre dans le cabinet du prince Lvoff. Président du Conseil en juillet, il fut renversé le 25 octobre par le coup d’État.
  7. Grand écrivain russe (1855-1904), remarquable surtout dans ses courtes nouvelles et dans son théâtre, offrant un singulier mélange (l’idéalisme et de réalisme objectif.
  8. Membre influent du parti cadet, député à la Douma, orateur éloquent.
  9. L’Unité, journal socialiste.