Pensées et Fragments/Politique

Texte établi par P. Vulliaud, Librairie Bloud & Cie (p. 56-61).

POLITIQUE



Le droit divin, comme pensée sociale, est une émanation du sentiment religieux.

(Le Vieillard et le Jeune Homme. 3e Entr.)


Le souverain d’un peuple ne peut vouloir que la conservation des institutions, puisque lui-même fait partie de ces institutions qui toutes se tiennent.

(Le Vieillard et le Jeune Homme. 4e Entr.)


Une dynastie représente la société tout entière, telle qu’elle est.

(Le Vieillard et le Jeune Homme. 3e Entr.)


Les destinées d’une dynastie et d’une société sont intimement unies, et n’ont qu’un même intérêt. L’usurpation saisit avec violence les rênes du gouvernement, ou s’en empare avec astuce ; mais elle est sans mission. La dynastie légitime sort naturellement de l’état des choses. Ainsi l’usurpation conduit au despotisme ; la dynastie légitime, ou, en d’autres termes, la dynastie naturelle, toutes les fois qu’elle use de despotisme, est contraire à son essence même : elle pèche contre Dieu, en ce qu’elle est infidèle à sa mission. La souffrance de la société est bien plus grande alors ; car c’est une souffrance qui n’est point accidentelle, et qui attaque l’intimité de l’existence sociale.

(Le Vieillard et le Jeune Homme. 3e Entr.)


La société ne peut pas être dirigée dans un sens contraire à ses destinées ; et ses destinées sont en elles-mêmes.

(Le Vieillard et le Jeune Homme. 3e Entr.)


La question de l’origine du pouvoir est évidemment la même que celle de l’origine de la parole.

(Instr. soc., p. 177.)


Un prince légitime est toujours, et doit toujours être le représentant de la société dont il est appelé à diriger les destinées, c’est à la fois le signe et le but d’une véritable mission. S’il y manquait, la société serait opprimée, ce qui ne pourrait durer. Tel est l’arrêt sans appel qui a vaincu Bonaparte. Il ne représentait la société, qui était une société nouvelle, que parce que lui-même était un homme nouveau ; et cela ne suffisait point. Un souverain n’est point un homme, c’est une chose ; c’est une institution, c’est la royauté. Un souverain n’a point de liberté ; chez lui la volonté d’affection doit continuellement être en garde pour ne laisser parler que la volonté royale. Les prérogatives de la royauté sont douées d’une grande force et d’une énergie irrésistible, car ce sont l’énergie et la force de la société ; et elles agissent indépendamment de celui qui en est investi. Le souverain est le premier sujet des lois ; et les lois qu’il fait ou qu’il promulgue ne peuvent être que l’expression de la volonté générale : sans cela elles seraient frappées de désuétude à instant même.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


L’hérédité est un droit de convention qui suppose le pacte primitif, et qu’on est censé avoir admis comme une garantie de la stabilité, pour ne pas courir, à chaque règne, les chances d’une révolution. Par conséquent elle est fondée sur l’utilité des peuples. La légitimité suppose le droit divin : elle place les peuples sous la tutelle plus immédiate de la Providence, et les princes sous le haut domaine de Dieu, modérateur de toutes les sociétés humaines. Par conséquent elle est fondée sur un principe religieux et moral.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


Sitôt qu’une dynastie cesse de représenter la société, sitôt qu’elle cesse d’avoir le sentiment de ce qui est, alors elle ne peut subsister devant la toute-puissance des choses ; alors le fait divin n’existe plus pour elle ; alors sa mission est finie.

(Élégie, éd. 1832.)


Tout pouvoir qui demande à un autre pouvoir d’assigner ses propres limites, se déclare soumis ; il accepte la capitulation dont il n’a pas discuté les conditions, il est vassal.

(Réflex. div, p. 339, éd. 1833.)


Toujours l’opinion a fini par gouverner ; mais autrefois elle avait une puissance lente et séculaire, à présent elle est rapide et presque instantanée : elle se forme quelquefois comme un orage ; et le pilote qui conduit le navire a souvent à peine le temps d’observer à l’horizon le point noir qui doit enfanter la tempête.

(Inst. soc., p. 211, éd. 1818.)


Autrefois il suffisait de gouverner avec l’opinion, à présent il faut gouverner par elle, sous peine de la laisser gouverner elle-même, ce qui constituerait une vraie anarchie.

(Inst. soc., p. 212.)


Il y a chez toutes les nations, à toutes les époques, dans tous les siècles, une majorité numérique à contenir plutôt qu’à gouverner.

(Inst. soc., ch. v.)


Le gouvernement constitutionnel pourrait se définir un gouvernement fondé sur l’opinion ; car tout cet appareil si simple et si compliqué en même temps n’est qu’une méthode rigoureuse pour consulter à chaque instant l’opinion, et néanmoins pour la consulter sans s’y asservir aveuglément, pour la dégager des passions qui peuvent l’obscurcir, pour la diriger elle-même, pour n’en recevoir des leçons ou des avertissements que lorsqu’elle a été formée et mûrie, soit par les discussions des Chambres, soit par la liberté de la presse.

(Le Vieillard et le Jeune Homme, 4e Entr.)


C’est un des prodiges de l’organisation sociale qu’il intervienne toujours un pouvoir au-dessus de la société même, lorsque le besoin s’en fait sentir et qui cesse en même temps que le besoin. Le doigt de Dieu est là. Une autre chose non moins merveilleuse, c’est que le pouvoir se donne à lui-même des limites qu’ensuite il ne peut franchir, image de Dieu imposant à l’univers des lois qui doivent subsister toujours.

(Le Vieillard et le Jeune Homme, 4e Entr.)


Jamais une loi ne se fait ; elle se promulgue.

(Inst. soc., p. 68.)


Les institutions des peuples sont filles du temps.

(Inst. soc., p. 70.)


Dans toute institution, il y a une origine mythique, et j’emploie ici cette expression dans un sens en quelque sorte légal.

(Préface de l’Homme sans nom, p. 42.)


L’autorité, même l’autorité paternelle, a besoin d’être juste.

(Paling. soc., p. 282.)


La sanction du pouvoir de celui qui commande est donc dans l’assentiment de celui qui obéit : c’est en cela que réside la force sociale, antique acception du mot dynastie.

(Paling. soc., p. 282.)


La personnalité sur le trône, quelque éclatante qu’elle soit, ne produit que les fruits inféconds de la personnalité.

(Paling. soc., p. 291.)


Les révolutions qui se font pour obtenir la liberté sont légitimes, celles qui se font pour obtenir l’égalité sont toujours antisociales. Quand je parle de révolutions pour obtenir la liberté, je me place en quelque sorte dans une hypothèse spéculative ; je ne crois pas que les véritables gouvernements puissent être gratuitement oppresseurs, car ils ne peuvent vouloir que le bien de tous. Les révolutions qui ont pour but d’établir l’égalité sont antisociales, et la raison en est bien évidente : c’est qu’elles ont pour but un nouveau partage dans la propriété, et par conséquent la spoliation.

(Inst. soc., p. 136.)


Ce ne sont point les différentes formes de gouvernement qui importent le plus à chaque individu.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


Nous ne devons plus mêler dans nos discussions les intérêts religieux avec les intérêts politiques, parce qu’ils sont devenus différents.

(Inst. soc., p. 371.)


Quoique l’Évangile soit une loi indépendante de toute institution politique, une loi qui admette toute espèce de gouvernement, néanmoins on peut dire que nous n’avons point eu de législateur depuis Jésus-Christ, et que les empires chrétiens ne peuvent point en avoir d’autre. Cela est vrai en bien des sens ; mais cela est vrai surtout en ce sens que toute loi qui ne sera pas puisée dans l’esprit du christianisme n’est et ne peut être qu’une loi antisociale, ce qu’implique contradiction.

(Inst. soc., p. 72.)


Sans le christianisme, sans les idées morales que le christianisme a mises dans le monde, le despotisme finissait inévitablement par s’acclimater dans la vieille Europe.

(Essai sur les Inst. soc., p. 369.)