Pensées de toutes les couleurs/S’ILS N’ÉTAIENT PAS MORTS/Meilhac et Halévy

Calmann-Lévy, éditeurs (p. 233-234).


MEILHAC ET HALÉVY

(1832-1897) (1834-1908)



À eux deux, ils auraient cent-cinquante-six ans. Meilhac soixante-dix-neuf ; Halévy soixante-dix-sept.

Meilhac est encore plus bedonnant et encore plus chauve ; Halévy plus long et plus saule-pleureur. Meilhac a toujours autant d’esprit qu’Halévy et Halévy autant d’esprit que Meilhac. Depuis quelques années, ils n’écrivent plus ni l’un ni l’autre. Meilhac se contente de la gloire d’Halévy et Halévy de celle de Meilhac. Meilhac continue d’adorer le billard ; Halévy la lecture. Meilhac va de temps en temps au théâtre, surtout dans les petits théâtres gais ; Halévy a renoncé même aux coulisses de l’Opéra et aux petites Cardinal. Meilhac habite toujours son appartement de la place de la Madeleine, d’où il peut apercevoir la redingote de marbre de son ex-collègue Jules Simon ; Halévy réside la plupart du temps dans sa maison de Sucy-en-Brie, d’où il contemple les gazons et les arbres. Meilhac ne va à l’Académie que quand ça lui chante ; Halévy s’y rend même quand ça ne lui chante pas. Jusqu’à la fin, Meilhac reste le dessinateur d’antan, fantaisiste et un peu bohème ; Halévy le bureaucrate exact et scrupuleux…

Ce soir, Meilhac et Halévy dînent au restaurant Durand, en partie carrée, avec MM. Robert de Flers et Armand de Caillavet, leurs continuateurs immédiats. Et l’on peut affirmer que, s’ils ne s’amusent pas infiniment eux-mêmes, les garçons qui les servent ne… s’embêtent pas[1].

  1. Ce petit jeu peut, on le voit, durer à l’infini… Je m’arrête, ne voulant pas abuser de la patience de mes lecteurs. Je me permets seulement, en finissant, de leur recommander cet innocent passe-temps comme éminemment économique, moral et inoffensif pour les vivants autant que pour les morts.