Pensées de toutes les couleurs/S’ILS N’ÉTAIENT PAS MORTS/Jules Verne

Calmann-Lévy, éditeurs (p. 215-218).


JULES VERNE

(1828-1905)



Il aurait quatre-vingt-trois ans…

C’est toujours le même bourgeois tranquille, à la figure sans personnalité marquée, qu’encadre une barbe très blanche.

Sa réputation est aujourd’hui mondiale. Aux yeux des hommes, il passe pour un précurseur, une sorte de Messie scientifique. Il est celui qui a prédit l’avenir. Il est peut-être le seul romancier qui, à travers une œuvre fantaisiste, ait dit : « Cela sera. » Longtemps, ses romans ont été considérés comme des contes à dormir debout, dont la Science était la fée. On a été même jusqu’à dire que la lecture en était mauvaise pour les petits, qu’elle faussait leur imagination. Mais le temps a marché, et vite. Les utopies devinrent des réalités. Les sous-marins et les aéroplanes sont sortis tout armés des livres de Jules Verne. On pourrait parcourir vingt mille lieues sous les mers ou dans les airs. Et, dernièrement, on a fait le tour du monde en moins de trente-neuf jours…

Oui, Jules Verne a cette rare bonne fortune d’assister, vivant, à la réalisation effective et pratique de ses rêveries. Il aurait le droit d’être grisé un peu par cette situation unique et de laisser monter à son cerveau quelques bouffées d’un légitime orgueil. Mais les hommes vraiment simples restent toujours simples. Pendant toute son existence, Jules Verne a méprisé les honneurs humains. Il est moins décoré qu’un préfet ou qu’un peintre. Il a refusé toutes les distinctions…

Il continue de vivre à Amiens, tranquille dans sa maison tranquille. Et cet homme qui a beaucoup voyagé effectivement lui-même quand il était jeune et tant fait voyager les autres en imagination pendant toute sa vie, cet homme bon, simple et probe finit son existence paisiblement, ne quittant plus guère son fauteuil… qui n’est même pas académique.