Pensées d’août/À David d’Angers. Sur une statue d’enfant
À DAVID
L’enfant ayant aperçu
(À l’insu
De sa mère, à peine absente)
Pendant au premier rameau
De l’ormeau
Une grappe mûrissante ;
L’enfant, à trois ans venu,
Fort et nu,
Qui jouait sur la belle herbe,
N’a pu, sans vite en vouloir,
N’a pu voir
Briller le raisin superbe.
Il a couru ! ses dix doigts
À la fois,
Comme autour d’une corbeille,
Tirent la grappe qui rit
Dans son fruit.
Buvez, buvez, jeune abeille !
La grappe est un peu trop haut ;
Donc il faut
Que l’enfant hausse sa lèvre.
Sa lèvre au fruit déjà prend,
Il s’y pend,
Il y pend comme la chèvre.
Oh ! comme il pousse en dehors
Tout son corps,
Petit ventre de Silène,
Reins cambrés, plus fléchissants
En leur sens
Que la vigne qu’il ramène.
À deux mains le grain foulé
A coulé ;
Douce liqueur étrangère !
Tel, plus jeune, il embrassait
Et pressait
La mamelle de sa mère.
Âge heureux et sans soupçon !
Au gazon
Que vois-je ? un serpent se glisse,
Le même serpent qu’on dit
Qui mordit,
Proche d’Orphée, Eurydice.
Pauvre enfant ! son pied levé
L’a sauvé ;
Rien ne l’avertit encore. —
C’est la vie avec son dard
Tôt ou tard !
C’est l’avenir ! qu’il l’ignore[1] !
- ↑ Dans la première forme de la statue de David il y avait un serpent qui était prêt à mordre le pied de l’enfant : je crois que l’artiste a fait disparaître depuis cet accessoire trop philosophique.