Pensées : filosofia nova
Texte établi par Henri MartineauLe Divan (Tome premierp. 141-200).

PENSÉES DE PARIS[1]



Dans les derniers temps que j’étais à Paris, j’écrivais mes pensées sur de petits morceaux de papier. Pour m’en débarrasser je vais copier ici de suite ces pensées, avec leurs dates quand j’y en trouverai, sans y rien changer.

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1. La célébrité dans un siècle quelconque ne prouve rien pour ou contre un grand homme. Elle prouve seulement qu’il a écrit d’une manière plus ou moins conforme à l’intérêt de la majeure partie des hommes de ce siècle.

Or si ces hommes sont sous un monarque ou sous un despote, la célébrité prouve le vice de l’écrivain.

Tous les auteurs sujets ont été obligés de vicier, pour être tolérés ou goûtés Montesquieu, Voltaire, Buffon[2].

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2. Prendre la poétique de chaque écrivain (dans cette poétique on montre sa fin et les moyens par lesquels il est parvenu), tous les génies examinés prenez le bon, ôtez le mauvais. Voilà la poétique générale qu’on peut montrer en douze pages. Je compte quarante génies, les résultats généraux de la poétique doivent s’appliquer à la peinture, sculpture et architecture.

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3. Qu’est-ce que le bonheur ? C’est l’événement qui donne la plus grande jouissance possible à la passion ou aux passions qui dominent l’individu.

En amour le moment où l’on est sûr de l’amour de sa maîtresse sans l’être de sa jouissance.

On appelle malheur un événement qui ôte plus ou moins l’espérance à une passion. Le plus grand malheur qui puisse arriver à un père est celui d’Ugolin, à un amant celui d’Othello, ensuite celui de Des Grieux, ensuite celui de Sévère.

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4. Les événements avantageux à ma patrie se confondent avec les événements avantageux à moi H. B. jusqu’à environ l’année 1773. Depuis lors ils s’en éloignent de plus en plus. Il se pourrait que l’ensemble des dispositions actuelles des hommes et des choses fût un des plus avantageux qui aient jamais existé pour un homme tel que Molière ou Corneille. Approfondir cela.

Ne me serait-il pas avantageux que personne hors moi ne connût Helvétius ?

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5. Une personne à laquelle nous nous intéressons autant qu’à nous-même éprouve le plus grand des malheurs qui lui puisse arriver et se l’attirant par les actions qui la rendent intéressante à nos yeux est la perfection de la tragédie.

Que l’exposition soit une scène nécessaire à la pièce, comme celle de Pompée.

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6. Alfieri débuta en 1775 et finit de travailler en 1787 : dans ces douze ans il a beaucoup voyagé et fait sans doute ses ouvrages en prose. Cent-quarante-quatre mois divisés par dix-neuf donnent 7 11/19 mais il est probable qu’il n’a pas employé plus de cinq mois à chacune de ses tragédies. I’ poss. d’unque in 6. (8 floréal XI.)

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7. L’homme qui me ridiculise espère me fâcher par le ridicule qu’il me donne. Mais que devient-il lorsqu’il s’aperçoit que je le méprise lui et son ridicule ? Il me hait. Or j’aime mieux qu’un homme dise de moi des noirceurs, que s’il m’affublait d’un ridicule.

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8. Pour moi il ne doit y avoir d’ennuyeux que ce qui est sans instruction.

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9. Nous connaissons un homme excepté son opinion sur une certaine chose. Amusons-nous en attendant qu’il nous l’expose à chercher celle qu’il doit avoir conformément à son intérêt, non pas à son intérêt réel, mais à ce qu’il croit tel.

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10. À quoi la France doit-elle la supériorité sur les autres nations ? À ce que de bonne heure elle a été l’objet de leur envie. Or ce qui est vrai d’une nation ne l’est-il pas toujours d’un homme ?

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11. Chercher une méthode d’analyse par laquelle je puisse tirer d’un caractère, ou d’une intrigue, tout ce qu’il peut donner d’utile aux hommes, soit comme agréable, soit comme instructif.

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12. Faire une tragédie morale sur le pouvoir du fanatisme : un druide faisant massacrer un roi.

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H. 13. Dans le monde l’orgueil fait que chacun veut paraître heureux, et vante son bonheur. Ce qui fait que chacun, abstrayant d’une condition différente de la sienne les maux qu’il n’y a point éprouvés, envie la condition d’autrui.

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14. Réfléchir sur le pouvoir de l’habitude sur les hommes. Il me semble avoir lu dans Mme de Staal qu’elle regretta la Bastille.

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15. Je m’étais rappelé d’une figure de Raphaël que j’avais vue il y a une dizaine de jours, j’y avais beaucoup réfléchi. Je l’ai revue aujourd’hui, j’ai remarqué que mon imagination en avait forcé les traits.

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16. Tous les hommes se rappelant avec plaisir leur premier amour, en leur offrant l’image de cet amour dans un jeune homme charmant de toutes les manières, tous se reconnaîtront.

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17. Il résulte du premier alinéa, Homme, p. 267, 1er vol. que le climat influe sur les mœurs.

Le passage rapide sur des idées différentes auxquelles on met beaucoup d’attention produit un étourdissement et un léger mal de tête qui s’augmente à la moindre attention.

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18. Toutes nos idées nous venant par nos sens, un discours est une suite d’images. On est plus ou moins poète suivant que ces images se présentent plus ou moins distinctement à l’esprit.

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19. Quand une passion subite fait changer de conduits à un homme, on continue encore à lui supposer cette passion, et les gens qui veulent lui plaire lui nuisent souvent en voulant le servir.

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20. Influence sur nous de l’idéal du bonheur montrée par H[elvétius]. Influence de l’idéal du bonheur de l’auteur sur ses ouvrages. (2e volume de l’Homme, note : une des… etc., etc., prêts à moissonner.)

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21. Qu’est-ce que le rire ? Qu’est-ce que pleurer ? l’état gai ? l’état mélancolique ?

L’espérance n’abandonne jamais l’homme elle entre dans toutes les passions.

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Un Français de trente ans pris au hasard au milieu du Théâtre français au parterre ; un Anglais de trente ans pris de même à Londres ; un Romain du même âge pris au combat des gladiateurs ; un Italien pris au milieu du parterre à Milan, ne sont pas semblables. Ces hommes sont chacun le type de sa nation. Former ce type pour chaque siècle, quel était-il la première année du siècle, en 1501, 1601 1701, 1801 ? Quand j’aurai trouvé le Français de 1801, chercher le caractère qui lui plairait le plus.

Prendre pour mon public le Romain du temps des commencements de Pompée.

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23. Que manquerait-il à une tragédie dont le plan serait fait par Alfieri, les rôles d’hommes remplis par Corneille, ceux de femmes par Racine pour être parfaite ? (Probablement Alfieri et Racine auraient de grandes difficultés sur le plan.)

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24. Pourquoi Molière a-t-il été mélancolique sur la fin de ses jours, et Voltaire très gai ?

D’abord, le fait est-il vrai ? Oui, Voltaire était gai à la manière de Swift (peut-être un effet de la méchanceté) suivant la remarque de Delille. Peut-être que Molière ne jouait plus la comédie et que Voltaire qui se sentait sur le pinacle voulait faire parler de lui. (Cela me paraît évident.)

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25. Quelle différence y a-t-il entre le génie de Molière et Corneille et celui de Helvétius, et celui de Lagrange ? Ou entre le poète, le philosophe et le géomètre ?

Le poète est l’homme qui est affecté de toutes les passions aussi fortement que possible et qui a pour passion continue l’amour de la gloire.

Le philosophe est l’homme de trente-cinq ans revenu de toutes les passions (qui l’ont agité médiocrement) excepté celle de la gloire.

Le géomètre est celui dans qui toutes les passions, excepté celle de la gloire, sont à leurs minimums.

Si cela est, la même passion pour la gloire étant à tous, le poète a le maximum des passions, le géomètre le minimum. Le philosophe est entre deux.

J.-J. Rousseau était plus près du poète que du philosophe. Helvétius peut-être dans le milieu désirable pour un philosophe. Duclos trop près du géomètre.

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Le poète sera plus ou moins bon versificateur suivant qu’il croira que la facture du vers influe plus ou moins sur l’effet total (auprès de tous les hommes possibles) de son poème.

Quand on dit : Dorat a trop d’esprit, Voltaire trop de philosophie, on dit précisément le contraire de la vérité, car leur but à tous deux étant de toucher, c’était faute d’esprit que Dorat donnait dans ce qu’on nomme esprit (petites idées nouvelles sur tout) à tous ses personnages, et pour n’avoir pas assez réfléchi sur le cœur humain que Voltaire faisait de temps en temps disparaître le personnage pour se montrer.

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26. Supposons que Corneille, Molière, et Racine ont peint aux Français de Louis XIV tous les caractères qui pouvaient leur être agréables, il est évident qu’il ne reste plus que de nouvelles intrigues à faire, c’est-à-dire mettre des caractères aussi forts que les leurs dans de nouvelles positions.

Mais ce n’est plus au Français de Louis XIV que nous voulons plaire, mais à celui de 1803. Or que ces Français diffèrent c’est ce que prouve le peu de succès de Polyeucte, des Trois Sultanes, du Muet, des Dehors trompeurs (et tout ce que nous voyons). Le Français a acquis une tête plus forte, il s’est rapproché du caractère républicain, la preuve c’est qu’il sent plus profondément les caractères forts du théâtre, beaucoup moins tout ce qui tient à la galanterie ; je le crois assez fort pour supporter la tragédie aussi forte que celles des Grecs et des Anglais.

Il résulte de là :

que le Français d’aujourd’hui demande des ouvrages aussi parfaits que possible.

Il a la langue polie par Racine pour exprimer les passions qu’il sent aussi fortement qu’aucun peuple les ait jamais senties. Prouver ce point.

S’il en est ainsi, jamais poète ne s’est présenté au monde dans des circonstances plus heureuses que moi.

Je suis dans une grande erreur sur le plaisant et le comique. Où est le mot pour rire dans le Tartufe[3], le Misanthrope, le Philinte ?

Voltaire dit une chose qui me charme, je l’avais depuis longtemps dans la tête, que tout plaisant a un esprit faux.

Une carrière nouvelle s’offre donc au poète comique, celle ouverte par le Tartufe, le Philinte, les Précepteurs, la Mère coupable

Dans cette carrière les sujets à traiter sont tous des vérités morales à développer, vérités dont la connaissance est utile à tous, les pièces perdront de leur prix lorsque les vérités morales qu’elles développent ne seront plus utiles aux hommes. Les principaux sujets sont les deux Hommes, le Courtisan, l’Orgueilleux.

Au poète tragique : il peut peindre successivement tous les caractères aussi fortement que la nature humaine (telle que l’histoire et ce que nous voyons nous la montrent) peut le concevoir.

Le jaloux, Othello et plus fort encore s’il est possible.

L’horreur des remords comme Macbeth, lady Macbeth, Richard III.

Le vengeur, Oreste d’Alfieri.

L’amour du père, Virginius du même.

L’amour de la patrie, Brutus Ier.

Il peut faire des tragédies parfaites qui seraient selon moi celles dont le plan serait fait par Alfieri, les caractères d’hommes par Corneille, ceux de femmes par Racine.

Au poète épique : il peut chanter à une nation qui conçoit et admire les grandes choses et qui a une langue polie. Il est dans une situation approchante de celle de Virgile, il ne tient qu’à lui d’en mieux profiter.

On voit donc combien le champ est vaste. L’homme qui dans cette position ne fera que des ouvrages égaux à ceux de Corneille, Molière et Racine sera donc dans le fait moins grand homme qu’eux.

J’ai la qualité la plus essentielle peut-être à l’homme qui veut devenir poète, une imagination excessivement vive, qui voit tout ce qu’elle pense. La preuve est que je ne puis pas faire d’abstraction complète.

Dans la position d’esprit où je me trouve la campagne est ce qui me convient le mieux. Y lire sans cesse les auteurs modèles et rien qu’eux. Le poète doit écrire, le philosophe juger. Helv[étius] était plus en état d’apprécier Corneille et Racine que Corneille Racine et Racine Corneille.

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27. Le grand défaut des héros de Voltaire c’est qu’il semble qu’ils se disent : « Allons, je vais dire une belle parole, je vais faire une belle action. »

C’est une faute contre la belle nature, le vrai héros fait sa belle action sans se douter qu’elle est belle (du moins sans lui croire ce degré de sublimité que la postérité lui assigne) ; il la trouve juste et il la fait souvent avec effort. Plus il sacrifie à la justice, plus il nous semble grand. Brutus est donc le plus grand des hommes.

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28. Valbelle pourrait dire dans les deux Hommes : J’ai élevé Charles pour en faire un républicain, Charles a été destiné par son éducation à être le vil flatteur d’un gouvernant.

Son vers ambitieux se nourrit d’hyperboles.

Ce vers m’est venu tout fait en allant à Louvois il y a quatre jours. Réminiscence peut-être.

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29. Lebrun (P.-D.-E.) naquit à Paris en 1729. Dans son Ode aux Français en 1772, je remarque :

Sachez que nos destins sont enfants de nous-mêmes
La fortune est un nom, le hasard a ses lois.

Du sang de nos héros ces plaines sont fumantes,
Le soc y vient heurter leurs ossements épars ;
Et l’Escaut roule encor jusqu’aux mers écumantes
Les casques et les dards.

C’est alors que ma lyre amante du courage
Consacrant ce mortel par d’immortels accents
Fera d’un nom si beau retentir d’âge en âge
Tout l’empire des temps

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Occupe les enfants d’Éole à broyer les dons de Cérés.
donner cela à traduire en vers à Chateaubriand.
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30. Nous Français nous pensons en français. Je crois que lorsque nous pensons très vite nous glissons sur les verbes et pesons sur les substantifs. Voilà je crois comment pensent les âmes froides, moi, je vois les choses.

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31. Une douce mélancolie telle qu’on la sent au soir d’un beau jour de printemps est le vernis propre à la tragédie (toutes les fois qu’on élève un homme à des considérations générales sur sa vie, il est conduit à mépriser un peu l’habituel objet de ses désirs, ce qui le jette dans la mélancolie. Cet état n’est pas sans plaisirs).

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h. Il y a infiniment plus de rapports entre Helvétius et Molière qu’entre Helvétius et Goldoni.

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32. Chercher ce qu’on dirait de tel homme ou de telle chose si l’on était appelé à les juger en deux lignes devant un tribunal composé de Molière, Helvétius, Corneille, Homère, et Ossian, et La Fontaine.

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Pour la φ donner aux dieux anciens des caractères modernes par conséquent un peu ossianiques.

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33. Je crois qu’il existe pour les grands hommes un moment d’indétermination où peu de chose peut leur faire changer de chemin pour aller à la gloire. D’après cela il devrait y avoir moins de grands écrivains dans une république bien organisée, que dans une monarchie où la gloire des lettres est la seule qui ne dépende que [de] nous.

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34. Toute espèce de système annoncée rend méfiant le lecteur judicieux, il craint qu’on ne plie les faits au système.

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35. Molière fit vingt-six pièces en quinze ans, ce qui fait six mois 24/26 pour chacune et probablement pas plus de cinq mois.

Racine, cinq en six ans, ce qui fait quatorze mois 2/5.

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36. Les moyens qu’un auteur dramatique emploie ne sauraient être trop communs, communs dans la nature, et non dans ses mauvaises imitations.

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37. J. C. Boissat m’a donné un précieux trait de son caractère (la difficulté de penser) par cette propension qu’ont les hommes à plutôt mal parler de soi qu’à n’en rien dire. Tirer un grand parti de cette vérité dans le monde.

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Tout s’use aux yeux des hommes et même la vertu. Un amant roué aura beau jeu vis-à-vis la femme de Scipion. Périer dévot et qui à vingt-quatre ans a encore son pucelage. Le mariage est fait.

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38. Jean-Jacques a rendu la peinture de l’amour impossible en roman. On lit les nouveaux romans mais c’est par amour pour l’amour. Comme Rousseau a peu d’événements et qu’ils sont simples son livre ne vieillira pas de dix ou douze siècles.

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39. Rendre de la manière la plus frappante possible en vers une pensée ou une image exprimée en prose, c’est l’affaire du style.

Les poètes peuvent donc être étudiés pour deux objets différents : le style, les choses. Or il me semble que Corneille réunit plus souvent la perfection des idées à celle du style que Racine. Racine est souvent parfait dans la peinture de l’amour, Phèdre, Hermione, Monime. Il a presque toujours la perfection du style. Corneille, souvent celle des idées et non celle du style. Il suit de là que Corneille doit être plus goûté par les âmes qui cherchent la moelle que par le vulgaire.

Racine doit toujours être étudié pour le style. Il a des défauts sans doute. Mais il pèche souvent par excès de poésie et c’est un beau défaut. Étudier donc son style seulement et pour le style et les choses Phèdre, Hermione, et Monime.

Un auteur n’est grand que parce qu’il crée. Chateaubriand déraisonne donc quand il loue Racine de la composition des caractères d’Agamemnon et Achille. Je ne vois pas la gloire qu’il y a à affaiblir Homère. Je crois que Racine n’avait pas (hors l’amour) le génie d’invention.

Remarquer dans les poètes quelques morceaux parfaits de tout point à étudier. Exemple :

Cinna : Le récit de la conspiration ; — Phèdre : l’aveu à Œnone, la déclar[ation] à Hippolyte ; — Dante : Ugolino ; — Alfieri : le récit d’Egiste dans Mérope ; Horaces : l’imprécation de Camille. Aifieri : tout Oreste. Tartufe : la brouille[4] des amants au deuxième acte. Les peintres font des études d’après Michel-Ange, Raphaël ; en faire en traduisant Dante, Alfieri, Arioste, Alexis, etc.[5].

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40. Questions à résoudre dans les moments d’inaction forcée.

1. Qu’est-ce que le rire ?

2. le pleurer ?

9. le malheur ?

4. la joie ?

5. la tristesse ?

3. le bonheur ?

6. Quelles sont les circonstances propres à porter chaque passion à son maximum ?

7. Chercher à exprimer le plus généralement et le plus clairement possible la règle capitale de la subordination entre les choses afin de viser toujours au plus essentiel[6].

8. Déterminer les cas où l’on peut sacrifier la vérité à faire briller le trait caractéristique de l’ouvrage.

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42. La douleur de Mérope[7] dans Alfieri n’est-elle point trop celle d’un homme, ne devrait-elle pas avoir parmi ses accès de fureur, des moments de désespoir et de faiblesse ?

J’ai vécu pour t’aimer, je meurs en t’adorant.

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Dans la tragédie[8] il ne faut que des hommes passionnés, or un homme passionné fortement et parlant précisément le langage de sa passion n’est jamais ridicule.

On ne peut pas connaître le caractère d’un homme passionné. Tout ce que je sais du caractère d’Othello après l’avoir en cinq actes sous les yeux est qu’il est susceptible de grandes passions (mieux, j’ai vu la jalousie, je n’ai vu que cela), ce qui me fait juger qu’il doit être brave, du reste. je connais mieux Orgon en sortant du Tartufe quoi qu’il n’ait pas à beaucoup près autant de scènes qu’Othello.

Alfieri veut que chacun de ses acteurs ait un moteur différent, qu’ils soient fortement passionnés, opérants, et chauds. Cela est parfait pour la tragédie, mais un homme passionné ne nous fera jamais rire, ce sont les demi-passions qui sont comiques (dans le Joueur l’amour et le jeu) un homme passionné est toujours plus ou moins terrible aux yeux de l’homme de bon sens qui l’écoute.

Un homme méprisable est celui qui n’est pas susceptible d’être passionné, et qui lorsqu’on lui montre qu’il y va de son intérêt n’hésite pas à faire une mauvaise action, tel est M. de Chamoucy.

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43. Une pièce faite, chercher soigneusement si l’on ne pourrait point en retrancher quelque scène ou acte, en insérant quelques vers dans ce qui précède ou ce qui suit, bien entendu en faisant arriver les mêmes événements et développant les mêmes et autant les passions.

Quand on veut plaire à deux en même temps l’on ne plaît à personne. Lorsque j’ai un rôle pour qui je crains la faiblesse ou le ridicule, je le donne à un grand nom. C’est son nom qui sauve le Thésée de Phèdre.

L’opinione dei più, alla quale il drammatico autore è pur troppo costretto a servire

Esame d’Antigone

dell’avere il personaggio piu d’una passione…

etc.[9].
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44. Un orateur[10] doit voir le rôle passionné qui lui convient le mieux, et le prendre. S’il en sort il ne fait plus d’effet. Doit parler de vertus, justice etc., comme s’il y croyait et à l’abri de ces mots imposants montrer aux gens que leur intérêt est de faire ce qu’il leur conseille ?

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45. Le poème dramatique doit être comme une voûte, qu’on ne puisse ôter une pierre sans que tout croule à l’instant.

(J’ai vu jouer en peu de temps[11] quatre ou cinq fois Iphigénie par Talma, Lafon, Mlles George, Duchesnois, Fleury, etc.)

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Iphigénie est peut-être la pièce de Racine qui est le plus contre le système d’Alfieri. Eriphile vient se jeter à travers l’intérêt. Pour Achille ce rôle abonde en développements, ce n’est pas là l’Achille irritable d’Homère, il me semble que Ladislas de Rotrou nous le montre beaucoup mieux, si Venceslas était écrite, comme Iphigénie, tout le monde la préférerait à Iphigénie qui n’a pour elle que la force de la situation et la beauté des vers.

Je trouve qu’Iphigénie est le type du génie de la monarchie. Voilà la tragédie qui plaisait au siècle de Louis XIV. De toutes celles de Racine, c’est celle qui me plaît le moins, j’aime mieux Bajazet. Dans Iphigénie tout le monde bavarde et personne n’agit.

Dès que je serai arrivé à Claix, me jurer à moi-même de ne lire que la nouvelle Héloïse, Pope’s Iliad, le troisième volume de Racine et les dictionnaires de rimes et de synonymes.

46. La Gouvernante, le Cercle[12]. Dans la première pièce, il n’y a de bon qu’une scène de lettre au deuxième acte (délicieusement jouée par Mlles Mars et Devienne). Cette pièce jouée il y a quelques soixante ans eut dix-huit représentations et un succès très brillant. Lachaussée était riche.

47. Je sors du Vieillard et les jeunes gens[13]. Je n’ai point de termes pour exprimer mon étonnement du succès d’une pareille niaiserie. Je n’ai trouvé de bon dans toute la pièce que deux vers du deuxième acte. Le génie de Molière, Corneille et Alfieri n’a, j’en suis sûr, rien de commun avec celui de Collin. Il n’y a qu’une manière d’expliquer le plaisir que cette pièce fait au public, c’est l’odeur d’une âme pure et franche qui s’exhale de toute la pièce. Peut-être Collin aurait-il du talent pour l’élégie. Du reste, nulle connaissance des passions, une versification douce mais lâche et fade au suprême degré. Cette pièce en prose ne serait pas allée au deuxième acte. Au reste, je crois que les amis ont beaucoup fait. Ce soir on applaudissait tous les dix vers souvent à des fadeurs uniques. Je suis persuadé que cette pièce serait tombée aux Français. Il est impossible qu’elle se soutienne jamais à côté de la Pupille et autres petites pièces. Les applaudissements excessifs donnés au Vieillard et à la Gouvernante aux moindres traits d’amour doivent m’encourager autant que possible.

Lemercier doit être bien étonné d’avoir vu siffler son Isule et de voir applaudir le Vieillard etc…

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48. Chercher la réputation générale

1o du héros qui ne le serait que pour les femmes ;

2o que pour les hommes

3o pour les hommes et pour les femmes.

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49. Saint-Lambert, notes de l’Hiver, tome 2.

Molière est celui de tous les philosophes qui a le mieux vu les défauts qui s’opposent à l’esprit de société, et il les a combattus par le ridicule. Il nous faudrait aujourd’hui un poète philosophe qui combattît les défauts qui naissent de l’esprit de société. Ce poète trouverait une foule de caractères qui n’étaient point connus du temps de Molière. Les intrigues sont un caractère commun… il y a peu de maris jaloux, mais il y a peu de maris. Les pères tyranniques sont rares, les pères indifférents ne le sont pas. On n’a plus les préjugés bourgeois, mais on ne connaît plus les douceurs de la vie simple et domestique…

… L’esprit de société porté à l’excès a donné trop de force et d’étendue aux égards ; on pourrait les opposer à l’amour de l’ordre et de la justice.

Le héros idéal, c’est l’homme dont il y a plus à espérer qu’à craindre. V. 48.

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50. Pourquoi dans la comédie la sensation devient-elle pénible dès qu’un des personnages mérite la potence ? Parce que toute société suppose ressemblance et que nous répugnons à être en société avec des scélérats.

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51. Je commence à lire Corneille, le 20 floréal XI.

Si l’amour vit d’espoir, il périt avec lui.

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Les caractères les plus intéressants veulent être développés pour être sentis au théâtre, dans l’épopée le poète peut les peindre en deux mots et ils ont leur physionomie.

L’infante du Cid et Milord N. amant de Pamela sont dans la même situation.

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Tout est figuré dans le style de C[orneille]. On ne voit pas le métaphysicien, on ne voit que le personnage. C’est là le vrai style.

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L’invention étant ce qui distingue le génie, on ne sent pas assez la différence de l’homme qui a tiré Cinna de deux pages de Sénèque le philosophe, à celui qui a corrigé et embelli la Phèdre de…

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Je ne conçois rien de plus parfait que la fin du premier acte du Cid, depuis la sixième scène jusqu’à la fin.

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Sabine des Horaces et Jocaste de Polinice d’Alfieri ne sont pas agréables au spectateur parce que leur malheur est sans remède. Cependant Sabine vaut beaucoup mieux que Jocaste, seulement il faudrait qu’elle parlât moins souvent et moins longuement de se faire donner la mort, et que, femme tendre, elle se bornât à pleurer son malheur et à essayer d’empêcher le combat de son mari contre ses frères.

La vraie comédie d’un peuple républicain serait celle où l’on se moquerait sans cesse des mœurs des rois et des courtisans des peuples non républicains.

Le Cid me plaisait plus en l’an VII qu’en l’an XI, parce qu’élevé dans une famille pleine de l’honneur monarchique je n’étais que bon sujet d’un monarque. Aujourd’hui je suis beaucoup plus citoyen que sujet et je dois tendre à devenir sans cesse meilleur citoyen.

Quelle différence pour Corneille si au lieu de perdre un temps précieux à faire des pièces comme Heraclius il ne se fût jamais écarté de la sublime simplicité de Cinna et du Cid. Voilà ce que fait le goût. Il a dépensé peut être autant de talent pour Heraclius que pour Cinna.

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Le caractère de Rodogune est le deuxième ou le troisième pour la beauté de tous ceux qui sont au théâtre. Le cinquième acte sublime. Qu’on songe à la force de génie de Corneille, cette pièce vraiment tragique faite par l’auteur du Cid et du Menteur établit son génie d’une manière sublime. On dit que Corneille demeura plus d’un an à en disposer le sujet. Ce que ce grand homme devait presque au hasard, au moyen de ma méthode je l’obtiens facilement et d’une manière sûre. Les deux plus beaux caractères de femmes sont sans doute ceux de Cléopâtre et de Phèdre. Les deux plus beaux d’hommes : le vieil Horace et Oreste. Les deux caractères d’Othello et de Iago vont à côté de Phèdre et de Rodogune.

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52. J’ai lu le 22 floréal an XI pour la première fois l’Œdipe de Sophocle. La simplicité d’Alfieri et des chœurs pleins de raison. Ce spectacle devait être le plus intéressant possible pour les Thébains, et il était aussi pompeux qu’intéressant. Je puis le transporter sur notre théâtre (à l’Opéra) où cependant il n’aura jamais ce degré de sublimité qu’il offrait aux Grecs. Je laisserais subsister les chœurs et le spectacle du premier acte. Cette pièce a été très bien traduite en vers italiens et représentée vers 1515 à Vérone.

Avant d’apprendre un rôle, en marquer les périodes comme Clément a marqué les périodes du couplet d’Abner au premier acte d’Athalie.

53. Avant de faire une chose il faut toujours écrire les motifs qui me la font entreprendre. Avant de faire des comédies et des tragédies il faut déterminer à quels spectateurs je veux plaire.

Déterminer mon public ;

et mon théâtre matériel.

Quand je fais une chose, supposer tout ce qui ne dépend pas de moi aussi parfait que possible.

J’ai lu l’Esprit des Lois le 21 floréal XI pour la première fois de ma vie. J’avais deviné d’après la lecture du livre de l’Esprit faite six mois auparavant beaucoup des découvertes que Montesquieu y montre.

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54. Tous les cinquante ans coup d’œil sur l’état de la réputation des grands hommes. Les vicissitudes des réputations, les causes qui les produisent, et les moyens mis en usage comparés avec l’esprit du gouvernement (c’est-à-dire avec ce qu’il est, ce qu’il veut être, et ce qu’il a été) auraient fourni un beau chapitre à Montesquieu.

Le sujet de la Littérature de Mme de Staël n’est pas traité à fond par cette dame.

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55. Je puis faire une bluette en un acte et en vers alexandrins sur l’ennui qu’éprouve un poète avant que de pouvoir faire jouer sa pièce. Les acteurs seront Crébillon, le procureur Prieur, et les comédiens du temps.

Une comédie en cinq actes peut avoir de mille à deux mille vers. Le nombre désirable est quinze cents.

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56. Pourquoi l’amour est-il un sentiment si délicieux ? C’est que les intérêts de l’amant et de l’aimée y sont confondus.

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57. La gloire prend nécessairement toutes les qualités de la chose sur laquelle elle est acquise. La gloire acquise par un langage très pur (Boileau) est donc bien moins stable que celle acquise en disant de grandes vérités, et en peignant de grandes passions (Corneille).

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58. Le poète voit d’abord dans chaque accident l’image que cet accident offre aux yeux de tous les hommes et un instant après il en voit la raison le philosophe voit d’abord la raison.

Seneca caput XX : Unus dies hominum eruditorum plus potest quam imperatorum longissima aetas.

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On ne s’intéresse pas à Ladislas parce que sa passion est sans espoir.

*

59. L’homme[14] dans quelque état qu’il soit renferme en lui le germe de toutes les passions. Elles sont excitées faiblement mais enfin elles le sont. Soit une passion = a un climat = c, une législation = l.

Chaque passion pour être exprimée exactement devra être écrite acl ; c et l tendant à rendre a aussi grand que possible, j’écrirai Ac’l’, si c seulement. A c’l si lA cl’. Ac’l’= A’. A’ est donc la plus grande force possible d’une passion.

Soit la société la plus simple observée (celle des sauvages chasseurs de l’Amérique) exprimée par S.

Je suppose (ce qui n’est pas exactement) que les effets du froid soient les mêmes aux pôles austral et septentrional. Il n’y aura plus que trois zones :

Zone froide = C

Zone tempérée = C’

Zone torride = C’’

Il faudra voir ce que serait SC, SC’, SC’’.

*

60. Je crois que le climat a beaucoup d’influence sur la nature des plantes, et par conséquent sur celle des animaux dont l’homme se nourrit ; il en a donc sur le corps de l’homme. Or il est évident que tous nos plaisirs passant par notre corps, le climat doit avoir une certaine influence sur nos désirs et par conséquent sur nos actions.

Lois + x climats = mœurs.

Buffon, IV, 238.

Dans les parties méridionales de l’Europe et dans les villes les filles sont pubères à douze ans et les garçons à quatorze, mais dans les provinces du nord, et dans les campagnes à peine les filles le sont-elles à quatorze, et les garçons à seize. Cela vient de la nourriture. (Le climat influe beaucoup sur l’âge de la puberté.)

H[elvétius], H[omme], 294, (II vol.) dit :

61. La beauté d’un ouvrage a pour mesure la sensation qu’il fait sur nous. Plus cette sensation est nette et distincte, plus elle est vive. Toute poétique n’est que le développement de ce principe.

On ne se rappelle pas assez souvent que dans les bons ouvrages presque toutes les beautés sont locales.

Étudier la langue des passions et des caractères différents.

Il me semble que les Anglais ont aussi plusieurs tours et abréviations propres à la poésie. Serions-nous les seuls chez qui il faut que les vers décomposés donnent une prose ordinaire ?

Cette pensée est fausse. L’erreur est de Voltaire qui ne cesse de la prêcher dans son commentaire sur Corneille. Les plus beaux vers sont ceux qui décomposés donnent une prose vicieuse par l’excès des ellipses. Je l’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle

Et pleurés de lui il grava sur leurs tombes

Quoique pendant tout l’an libéral il nous donne… etc., etc., etc.

*

62. Bibliothèque des romans, an XI, tom. II. Le mari séducteur.

Sur les demi-mots en amour.

Mme de Genlis prétend qu’ils ne sont que du faux amour, que le vrai est prolixe et trop occupé de son objet pour faire attention à toutes les petites circonstances. Toujours n’en est-il pas moins que l’art de deviner une femme doit réussir auprès de presque toutes. Dans l’exemple de Mme de Genlis, l’amant flatte sa maîtresse en lui accordant une physionomie très expressive.

*

63. Juger du caractère que doit avoir une chose par celui qu’elle doit avoir dans l’action principale de sa vie.

*

64. Mettez un être dans la nécessité de faire une telle chose et soyez sûr qu’il en viendra à bout. Si nous avons le bonheur que les couvents restent supprimés, changement immanquable dans les mœurs d’ici à cinquante ans.

*

65. Tous les hommes sont des Don Quichotte, et par conséquent les auteurs. Les considérer comme tels.

*

66. Ce qui fait que jusqu’ici j’ai mal déclamé, c’est que n’ayant que des rôles à sentiment, je les ai dits avec esprit, sans cesse en présence du goût et m’éloignant trop de la simplicité.

*

67. Plus il y aura de la famille dans votre tableau, plus il intéressera généralement.

L’intrigant connaît parfaitement l’homme dont il a besoin, mais ne connaît point les hommes. Entre l’intrigant et le philosophe, la différence qui existe entre le courrier et le géographe.

*

68. Veuillez embrasser le poppe di una donna, elle bataillera longtemps, arrivato aile coscie ce sera à recommencer. Il valait donc mieux commencer par le réel, il en est ainsi au moral, vous avez autant à souffrir de l’envie dans la poursuite d’un petit bien que dans celle d’un grand, il n’y a donc pas à hésiter.

*

69. Je reconnais en lisant Buffon à vingt ans (pluviôse an XI) les cicatrices des préjugés qu’il m’ôta lorsque je le lus à quatorze. Il y a au commencement de l’histoire de Rome vingt pages qui m’ont paru du pur galimatias.

Quels sont les avantages et les désavantages d’avoir comme les Italiens une langue particulière pour la poésie ?

*

69 bis. Je suis fort à vingt ans et je me crois très bien constitué pour les plaisirs qu’on appelle de l’amour, cependant je puis me réduire au point de ne pas désirer les femmes du tout, et de déch…er sans plaisir seulement tous les quinze jours. Alors c’est un besoin, comme celui d’uriner, je sens mes pensées embarrassées, je vois une femme, et je sens tout de suite que mes idées sont éclaircies (pluviôse XI).

*

70. Les passions sont des forces qui peuvent être mélangées d’une infinité de façons dans l’homme.

À chaque instant je combine ces forces dans des proportions différentes, elles produisent des actions. Je regarde si ces actions sont de nature à plaire au public.

Je ne suis encore que le hasard dans ces combinaisons. Il faut inventer une méthode qui les range dans un ordre commode à suivre, et qui n’en laisse échapper aucune. Je suis amoureux de la gloire, et comme tel amoureux du grand.

*

71. Après avoir vu jouer le Tartufe voici les réflexions qui me sont venues :

Où il fallait beaucoup d’avant-scène pour développer le caractère du Tartufe, Molière a employé deux actes à préparer sa venue en montrant ce qu’il a fait. Les choses par les récits, les changements de caractères en montrant Orgon et Mme Pernelle.

Le spectateur juge en partie le personnage sur le jugement qu’il en voit porter à ceux qui l’entourent. Cléonte, homme honnête et raisonnable, est en état de juger le Tartufe et rassure le spectateur qui aurait pu craindre que (l’odieux du désapprouvant Tartufe) le ridicule dont Tartufe se couvre aux yeux de Damis, Elmire, Marianne, Dorine, n’influât sur le jugement qu’ils portent de lui.

Attention de Molière de ne pas rendre parfaits des personnages qui partagent le sentiment du spectateur, Damis emporté, Dorine bavarde, etc.

Et de ne montrer au contraire que sous un jour favorable ceux auxquels il veut concilier l’intérêt du spectateur tels qu’Elmire et Marianne.

Orgon homme faible jusqu’à la fin. Les injures qu’il dit à Tartufe emmené en prison.

Qu’est-ce qui fait la force du Tartufe ? C’est la crainte qu’on a d’être Orgon, — ou son fils, ou l’amant de sa fille, ou son frère, ou son ami.

Mais Orgon étant ridicule personne ne se met à sa place. (On s’y mettrait si Tartufe faisait de ces grands coups de scélératesse capables de tromper tout le monde (voilà le ressort qui aurait pu produire à volonté le comique ou l’odieux). La même raison fait qu’on ne se met pas à la place de l’ami d’Orgon. On ne déteste donc Tartufe que sous les rapports de fils ; — d’amant de la fille ; — et de frère. Or on n’a qu’un père et que peu de frères, l’amant de la fille est donc le rapport le plus général par lequel Tartufe est odieux. Plus je rendrai Delmare odieux par des rapports généraux, mieux je ferai.

*

For the two men.

La meilleure manière de montrer le précepteur de Charles, c’est de montrer son ouvrage.

*

Peindre dans le précepteur de Chamoucy l’antiphilosophe, le tartufe actuel, les traits de Laharpe et de Geoffroy.

*

Dans Chamoucy le résultat d’une mauvaise éducation ; cette mauvaise (voyez [15]) éducation doit donner de petites passions et par conséquent un petit caractère. Eviter cependant le caractère de petitesse s’il est possible. Totius devant Romulus.

*

Dans Adèle[16] le type d’une jeune fille du monde un peu coquette.

*

Pas de meilleure manière de montrer tout Ch[arles] que de l’affecter d’une passion violente, l’amour.

*

72. Rechercher quelles sont les causes de la disette des idées chez les hommes vulgaires, afin de les éviter.

Les gens faibles ont besoin de croire. Mme R. ne va pas se confesser mais croit aux discours de bonne aventure (donc Fabre a raison dans les Précepteurs).

(Discours sur l’inégalité). Chercher dans les bêtes les passions des hommes et tâcher d’y apercevoir leurs fondements naturels. Les taureaux, les cerfs se battent avec acharnement par jalousie.

*

Fuga generosa e ben degna che l’imiti aleun magnanimo nipote.

Charles électrisé par la gloire de l’armée du Rhin y court, son oncle le sait et profite de sa fuite pour lui faire voir le superbe spectacle d’une armée de citoyens se battant pour leur patrie. Au bout d’un mois il le ramène.

Charles croit toutes les femmes de Paris coquettes. Ce jugement qui n’est pas prouvé en raison n’en reparaît qu’avec plus de force dans les moments de jalousie. Il est adroitement fortifié par Mme de Valbelle.

*

73. Chercher des sujets comiques et tragiques par tes vérités morales prouvées. Chercher les vérités que Molière a prouvées. L’art de pousser une peinture. Quomodo majus ?

*

74. Faire un livre[17] où je recueillerai tout ce que je trouverai de bon dans la peinture des passions. Dans lequel au moins j’indiquerai les morceaux lorsqu’ils seront trop longs pour être transcrits[18]. Passions naturelles : père, époux ; — sociales : amant, ambitieux ; — combats de passions : comme amour × honneur = le Cid. Caractères : les quatre âges de Boileau. Nature aperçue : tempête : Virgile, Homère, Voltaire, etc. Le Camoëns. Combats : Tasse, Arioste.

*

J’entreprends un livre[19] sur l’objet des méditations de toute ma vie. C’est un traité de chaque état de l’homme en particulier.

Mon objet étant de chercher les moyens d’émouvoir je ne parlerai pas de l’état de maladie qui imité ne produirait aucun effet. Pourquoi ?

Je commencerai en parlant de chaque passion ou bien par rapporter les plus grandes choses qu’elle ait fait faire. Ensuite, les plus belles imitations poétiques.

Je déterminerai l’âge dans lequel l’homme éprouve cette passion, l’âge dans lequel il l’éprouvait chez les anciens (voir l’histoire des passions, par…).

ii

Des oppositions de liens aux passions. Table de toutes ces oppositions donnant des caractères touchants.

Quelle est l’époque dans les caractères la plus intéressante à peindre ?

Celle où il faut le plus agir.

iii

Du style des passions.

Le style des passions est l’art de faire des phrases françaises de manière à ce qu’elles montrent le plus exactement et le plus clairement possible le caractère ou la chose que je peins, en lui donnant le vernis qui lui convient. L’harmonie imitative. Art de faire les vers français. Étudier la manière simple de Corneille que je crois la meilleure.

Les poètes étrangers m’instruiront du rythme des passions (15 floréal XI).

*

75. Lorsque les hommes n’eurent plus à faire sur la place publique ils se formèrent une occupation chez eux en créant l’amour et la chevalerie ; actuellement qu’ils trouvent des sensations délicieuses sans sortir de leurs maisons, peuvent-ils être rappelés sur la place publique ?

(J’ajoute 11 fructidor XI) :

Il me semble que l’amour chevaleresque occupait beaucoup plus que l’amour actuel qui tend sans cesse par la facilité des femmes à occuper moins. La crainte de l’ennui est peut-être le plus puissant de tous les mobiles dont nous, Français, nous soyons susceptibles.

*

76. Une femme ne peut rien faire directement (dans nos mœurs), il faut qu’elle fasse tout faire.

*

77. Je lis à Claix, le 3 ventôse an XII [23 février 1804], la vie du Dante à la tête de l’édition de Prault où il y a de bonnes idées.

Et Tancrède tragédie de Voltaire.

Les vers en sont coulants mais faibles de choses. Les sentiments sont très communs.

Arrivé au deuxième acte je n’ai encore trouvé que ces vers de beaux :

On dépouille Tancrède, on l’exile, on l’outrage,
C’est le sort d’un héros d’être persécuté.
Je sens que c’est le mien de l’aimer davantage.

Voilà la seule beauté que j’aie encore vue.

*

Mais je ne puis souffrir ce qui n’est pas Tancrède.

*

Quel est cet Orbosson ? quel est ce téméraire ?

*

Il devait présumer qu’il était impossible
Que jamais je trahisse un si noble lieu.

*

Les personnages grimacent d’une manière insupportable dans les deux derniers actes.

*

Jeanne Baillie, anglaise, a eu une idée approchante de la mienne pour la tragédie. La Bibliothèque britannique rend compte de Monfort, Alfred, Ethwald, deux parties. Lire l’original, ainsi que le Voyage de Matthison en Allemagne.

*

Je suis arrivé à Grenoble le 5 messidor an onze et j’en pars.

Mon père m’avait promis, un mois avant le carême, de me faire partir avant ce temps et j’y suis encore samedi.

Bonne leçon pour moi. Lorsque j’aurai envie de revenir à Grenoble, songer que j’y viens bien quand je veux, mais que je ne sais quand je pourrai en sortir.

Je n’ai point trouvé ma famille comme je me la figurais de Paris (P[auline] seule exceptée). Ils m’aiment mais ce n’est point de cet amour divin que je m’étais figuré. Comme je disais cela hier à Mme J. elle me dit qu’elle pensait la même chose, et que beaucoup de personnes lui en avaient dit autant. Toutes les familles ressemblent donc à la mienne.

Mon génie a été presque toujours mort pendant les neuf mois passés à Grenoble, excepté les cent vingt-six for A et les trois cents of two men. J’ai lu Shakspeare, quelques-unes de ses pièces deux fois. J’ai vu l’homme dans l’homme et non plus uniquement dans les livres. Je sens de plus en plus que mon cœur a besoin d’aimer. Je veux revoir M[arthe] M[arie] ; mais avant ce voyage, faire recevoir the two men.

J’ai observé hier en sortant de chez M. J. qu’il faut juger notre conversation par l’effet que nous lui voyons produire et non par l’estime que nous en faisons. L’aisance, la molle facilité, sont les premières qualités de la conversation.

Mi sembra che this woman ha il cor tenero per me.

Je ne serai pas aimable tant que je ne saurai pas par cœur beaucoup d’anecdotes. Eviter de prendre le ton misanthrope qui dépare les ouvrages de Jean-Jacques. Pour cela briller dans le monde. Avec de la facilité, mon imagination m’y fera briller d’une lumière originale.

*

Mme Chalvet ma tante dînait il y a quelques jours à la maison. Ma tante Eulalie y était. Elle contait que dans leur première jeunesse un nommé M. Bon, avocat, homme très riche, demeurait au deuxième. Il avait une vingtaine de mille livres de rente, et avait toujours une excellente table. Un jour, sur le soir, ma grand’ mère et ses filles qui habitaient le premier entendirent la gouvernante de M. Bon qui jetait les hauts cris et appelait ; c’était son maître qui venait d’être atteint d’une attaque d’apoplexie. Mes tantes le soignèrent avec cette gouvernante, ce qui n’empêcha pas que deux heures après il n’expirât entre les bras de ma tante Chalvet. Aussitôt ma grand’mère qui était un peu piquon ferma toutes les armoires et mit une de ses filles en faction devant chacune d’elles. Cette précaution était d’autant plus nécessaire que dans un tiroir d’une armoire qui était dans la chambre du milieu il y avait des poignées d’or que M. Bon y jetait sans compter. Ma tante Chalvet se hâta de parcourir les chambres, elle ramassa son plein tablier de petits bijoux en or, vermeil, argent, tels que petits couteaux manches d’argent, ciseaux, étuis, etc., etc.

Bientôt après la justice arriva, et l’on mit les scellés partout.

Revenues chez leur mère, mes tantes se partageaient tous les petits bijoux de M. Bon. L’une disait : M…… (son héritier) me donnera ces jolis petits ciseaux ; l’autre : ce bel étui, ainsi de suite. Elles pouvaient s’attendre à cela, leur vigilance ayant sauvé dix mille écus peut-être à cet héritier. Il arriva, enfin de la campagne et ne fit pas seulement à ma grand’mère une visite de remerciement. Elle se repentit de sa vigilance, d’autant mieux que la gouvernante de M. Bon avait de lui plusieurs enfants auxquels l’héritier n’assura qu’une existence mesquine. La pauvre gouvernante se repentait bien d’avoir appelé.

Maintenant si Shakspeare et un auteur tragique français avaient à représenter ce fait :

Shakspeare ne manquerait pas de laisser aux petites filles leurs vœux pour les bijoux de M. Bon, et leur partage imaginaire.

L’auteur français se garderait bien de mettre de telles bassesses dans leur bouche… C’est même beaucoup s’il ne leur ferait pas prononcer des maximes morales sur le respect dû au bien d’autrui.

Quels sont les effets de ces deux conduites ?

Nous sourions de plaisir de voir dans Shakspeare la nature humaine telle que nous la sentons au-dedans de nous. Nous nous mettons entièrement à la place de ses personnages et deux scènes plus loin nous frémissons avec eux de l’apparition d’un spectre.

L’auteur français nous glace, et nous laisse toute notre raison pour juger des moyens qu’il emploie.

Imiter Shakspeare ou plutôt la nature.

*

J’ai envie de ne plus m’astreindre à lire tel ou tel ouvrage de suite, et sans me permettre d’autre lecture. Je suivrai le conseil de Seychelles qui dit que le lecteur esclave ne vaut pas mieux que l’esclave citoyen. En effet jamais je ne suis tout entier à une lecture qui m’ennuie, et l’ouvrage fini, je n’y reviens pas de longtemps.

*

Les hommes instruits aiment la gloire pédantesque parce qu’elle flatte leur amour-propre. De la manie des citations : je suis sûr d’entraîner tel homme par une citation qu’il connaît, ou qu’il m’a apprise.

Une seconde raison des citations, c’est que souvent elles sont comiques, ou d’une douce mélancolie. Par exemple si ce soir au lieu de dire « Toutes les familles ressemblent donc à la mienne » j’eusse dit : « Tutto il mondo va come la nostra famiglia », un doux sourire me serait venu en relisant ce passage par la suite.

*

Les mémoires de Bussy-Rabutin, Louis XIV, sa cour et le régent par Anquetil montrent bien les misères de l’ambition subalterne dans une monarchie, les deux parties d’Ethwald de miss Baillie, les misères de l’ambition prise dans le grand. Les conspirations contre B[onaparte] sont encore un exemple vivant.

Coriolan de Shakspeare apprend bien à être modeste.

*

Je pense[20] qu’il m’est utile de lire les remarques des critiques sur les ouvrages de génie ; j’oublie les mauvaises, les bonnes restent gravées dans ma tête. À cela deux modifications : il me serait pernicieux d’en faire un recueil, il ne faut jamais les lire au moment de composer. À cet instant il faut être tout audace et ne pas même soupçonner la possibilité de la chute.

*

J’ai parcouru la Bibliothèque Britannique depuis son commencement jusqu’à l’année 1803 exclusivement. Je m’en suis retiré avec une grande admiration pour Jeanne Baillie, le désir de lire William Godwin qui pourrait bien être un homme de génie, et le Dr Aikin critique judicieux. J’y ai vu un morceau sur le ridicule de… et un sur le degré où la pitié est plaisir, du Dr Aikin, qui m’ont paru curieux. Les ouvrages d’Adam Fergusson sont traduits en français.

*

Je me confirme de plus en plus dans l’idée de ne plus tant m’assujettir pour mes lectures. Je dois désirer que les pensées et les images de l’auteur fassent la plus grande impression sur moi, ce qui n’arrive pas lorsque je m’y attends. Par exemple je suis disposé à une douce gaîté, je lis Rosmunda je gâte ma gaîté, et je ne goûte pas la tragédie.

Je crois que je ferai bien de faire des extraits de tout ce que je lirai. Non pas des extraits de faits, mais de résultats moraux.

Je crois que je ferai bien de suivre le, barreau des divers pays où je me trouverai. J’étudierai les hommes et si jamais il faut prendre un état je me ferai avocat.

Il faudrait que j’eusse une distraction toute, prête lorsque je suis fatigué de penser.

*

Le docteur Aikin dans ses mélanges. Sur la pitié : « En réfléchissant sur la pitié, nous voyons donc qu’il ne faut présenter aucune scène de malheur sans mélange d’excellence morale, ou de qualités aimables… C’est la compassion que nous voulons apprendre à ménager. »

*

Le… dimanche. J’arrive à une heure chez mon grand-father pour y dîner, de ce moment jusqu’à la fin du repas, ils n’ont cessé de grogner et de se lamenter. This is not family to be desired… is P[auline]’s advice.

*

84. Quand on a véritablement[21] les qualités qui emportent l’estime du monde, il n’y a plus qu’à les rendre populaires pour leur concilier l’amour, et lorsque l’amour les adopte, il en sait relever le prix.

Grande maxime, equally good for the conduct and for the the book’s facture.

*

85. La reconnaissance est le sentiment d’un bienfait prochain.

Le remords se compose du souvenir d’un crime et de la crainte du châtiment.

Le repentir est le souvenir d’une faute.

La raillerie naît d’un mépris content. A remark for the two Men.

*

90. Qu’on me donne un esprit plus juste, plus aimable, plus pénétrant, j’accepte avec joie tous ces dons ; mais si l’on m’ôte encore l’âme qui doit en jouir, ces présents ne sont plus pour moi.

*

95. On suppose avec quelque raison que le cœur des hommes se forme sur leur condition…

Les grands n’ont pas moins de désirs que les hommes les plus abjects, ils ont donc autant de besoins : voilà dans l’inégalité une sorte d’égalité.

*

98. La plupart des vices concourent au bien public. Sans l’avarice, la vanité, etc., qui ferait fleurir le commerce ? Cela est trop vrai dans la décadence des mœurs, mais le bien produit par le vice est toujours mêlé de grands maux. S’il n’était gêné par les lois, il serait la ruine du monde. Si les vices font du bien, c’est qu’ils sont mêlés de vertu. Les vices qui font fleurir le commerce sont mêlés de patience, de tempérance, de courage, etc., etc. Et ces choses sont des vertus.

*

104. Le bien où je me plais change-t-il de nature ? Cesse-t-il d’être bien ?

h. Grande marque d’orgueil dans ceux qui ont l’opinion contraire à V. Grand moyen d’approfondir l’âme et l’esprit (le cœur et la tête) of happy qui pense que c’est par orgueil que Brutus fut vertueux.

*

h. La connaissance des passions donne aux saintes écritures des développements inconnus jusqu’ici, en substituant aux mots vertu, amour, etc., leur valeur démontrée d’avance.

*

h. Je sens que je dois former le style de mon âme sur la simplicité de Xénophon et Jean-Jacques, celui de mon esprit sur Bossuet, Pascal et Montesquieu. Voilà ceux que j’aime.

*

h. Octave avait un courage qui manquait à Antoine et il n’avait pas celui que possédait Antoine.

*

127. L’effet de l’art est d’affaiblir lors même qu’il polit et qu’il corrige. Sur quoi je remarque qu’à l’égard des lettres l’art est supérieur au génie de beaucoup d’artistes qui ne pouvant atteindre la hauteur des règles et les mettre toutes en œuvre ni rester dans leur caractère qu’ils trouvent très bas, ni arriver au beau naturel, demeurent dans un milieu insupportable, qui est l’enflure et l’affectation et ne suivent ni l’art ni la nature !

*

130. Nulle jouissance sans action.

*

134. N’est-ce pas l’évidence de la vérité qui nous fait discerner le faux comme le jour marque les ombres ? et qu’est-ce en un mot que la connaissance d’une erreur, sinon la découverte de la vérité.

*

135. Le défaut de la plupart des choses, c’est de n’être pas à leur place.

*

136. De l’âme, all my découverte is in this paragraphe.

*

138. Mais le faux que le grand leur cache dans le merveilleux les dégoûte au moment qu’il se laisse sentir ; on ne relit point un roman.

*

h. Peut-être la différence through a novel and an epic poem.

*

139. Tout nous démontre que le faux (connu) nous dégoûte et que nous ne cherchons tous ensemble que la vérité et la nature.

*

144. Les hommes se croient ordinairement en droit de refuser ce qu’il semble qu’on ait besoin de tenir d’eux.

*

145. Tout homme qui n’est pas dans son véritable caractère n’est pas dans sa force.

*

147. Les hommes ne sentent les choses qu’au degré de leur esprit et ne peuvent aller plus loin.

*

201. Here is a maxime que j’avais déjà découverte et appliquée à la T. la C. U. P. E.

S’ils cherchent à faire illusion sur quelque point principal, ce n’est qu’à force, si je l’ose dire, de sincérité et de vérités de détail.

*

h. La gloire des conquérants est dure à digérer dans les principes d’Helvétius.

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209. They that have nothing but witt but du goût pour les grandes choses et de la passion pour les petites.

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210. La plupart des hommes dans le fond du cœur méprisent la vertu, peu la gloire. La réputation ou les richesses donnent une vieillesse qui peut être heureuse.

Ni l’esprit ni la vanité ne peuvent donner le génie.

Voir la lettre sur l’éloquence de Fénelon.

*

h. Toute maxime générale ayant du faux, c’est un mauvais genre d’écrire que les maximes.

*

Voici une pensée qui peut faire rire :

330. Un versificateur ne connaît point de juge compétent de ses écrits. Si on ne fait pas de vers on ne s’y connaît pas ; si on en fait on est son rival.

*

Faire un cahier de 200 pages environ. Le diviser en parties de 10 pages, à la tête de chacune de ces parties, copier le nom d’une passion (d’après le petit traité de Lancelin) et indiquer dans les dix pages les traits de cette passion qu’on a occasion d’observer ou de lire dans l’histoire, et dans une classe à part ceux qu’on lit dans les fictions (poèmes, romans).

*

On disait à Montesquieu que Fontenelle n’aimait rien. Hé bien, répondit-il, il en est plus aimable. Trait profond.

  1. Ce cahier qui porte en tête la date du 21 thermidor an XI [9 août 1803] provient des manuscrits de Grenoble, R. 5896, tome 27. N. D. L. É.
  2. Les additions que je fais en copiant seront écrites en lettres rondes. (Dans cette édition elles sont imprimées en italique. N. D. L. É.)
  3. Vous vouliez donc que ma mère que j’eusse attendu… ho, vous me feriez dire quelque sottise.

    Ma mie on procède aussi contre les femmes.

  4. C’est par pudeur que mon oreill aime mieux brouille que brouillerie. Donc de proche eh proche c’est le gouvernement de sa patrie qui fait employer tel mot au lieu de tel autre.
  5. 20 prairial an XI [9 juin 1803].
  6. Par exemple que le critique quelque bon qu’il soit ne vaut jamais l’ouvrier (par sa critique) et le polisseur jamais l’inventeur. Qu’à talent égal le faiseur de tragédies étant plus utile au public que le faiseur de satire et de poèmes didactiques, Racine est supérieur à Boileau. Cela est évident car le public n’accorde aucune gloire à l’homme d’un grand talent dans un art inutile, par exemple à celui qui lançait devant Alexandre des grains de millet à travers le trou d’une aiguille (15 prairial an XI).
  7. 18 prairial XI [7 juin 1803].
  8. 26 floréal XI [16 mai 1803].
  9. 28 floréal XI [16 mai 1803].
  10. 15 prairial XI [4 juin 1803].
  11. 24 floréal XI.
  12. 13 prairial XI.
  13. 17 prairial XI.
  14. 15 floréal XI [5 mai 1803].
  15. Un blanc dans le manuscrit. N. D. L. É.
  16. Delmare, Charles, Chamoucy, Adèle sont des personnages de la pièce les deux Hommes que Beyle écrivait alors.

    N. D. L. É.

  17. 15 ventôse an XI [6 mars 1803].
  18. En marge : Molière né en 1620 fait jouer l’Etourdi à trente-huit ans, le 3 décembre 1658, à Paris.
  19. 15 floréal an XI [5 mai 1803].
  20. 8 mars 1804.
  21. Ces pensées qui font évidemment suite aux précédentes se trouvent non datées sur deux feuillets isolés des manuscrits de Grenoble, cotés R. 302. N. D. L. É.