Pensées (Pascal)/2e éd. Desprez/IV

Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont esté trouvées après sa mort parmy ses papiers (1670)
Guillaume Desprez (p. 45-47).

IV.

Il n’est pas incroyable que Dieu s’unisse à nous.



Ce qui détourne les hommes de croire qu’ils soient capables d’être unis à Dieu n’est autre chose que la vue de leur bassesse. Mais s’ils l’ont bien sincère, qu’ils la suivent aussi loin que moi, et qu’ils reconnaissent que cette bassesse est telle en effet, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capable de lui. Car je voudrais bien savoir d’où cette créature qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L’homme sait si peu ce que c’est que Dieu, qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même : et tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu’il l’aime et le connaisse ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui, puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Car il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est, et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître, et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira de se communiquer à lui ? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente qui n’est ni sincère ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser, que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.